La construction des syndicats de locataires comme outils de lutte
Ces mobilisations ne sortent pas du néant. Elles résultent d’un mouvement pour le logement actif depuis des années, en particulier grâce aux syndicats de locataires qui comptent aujourd’hui des milliers d’adhérents (plus de 3000 à Madrid et plus de 5000 en Catalogne), malgré un contexte politique défavorable. Fondés en mai 2017, ces syndicats émergent à la fin du cycle 15M, au moment où Podemos commence à se subordonner au PSOE et que les grandes mobilisations précédentes déclinent.
Ces syndicats ont réussi à surmonter les limites traditionnelles des mouvements sociaux en adoptant une structure hybride entre activisme social et syndicalisme ouvrier. Ils misent sur l’affiliation, la stabilité organisationnelle et la libération de personnes dédiées. Ces choix ont été décisifs pour leur durabilité, leur croissance et leur consolidation, même pendant la pandémie qui a affaibli de nombreux mouvements sociaux.
Le succès des syndicats repose aussi sur leur capacité à articuler collectivement les conflits des locataires contre les propriétaires, créant des outils syndicaux permettant des victoires concrètes. Résoudre des problèmes pratiques (dépôts non restitués, frais illégaux, manque d’entretien, harcèlement) a été essentiel à leur développement. Rien ne démontre mieux l’utilité de ces syndicats que leurs succès concrets. Remporter des victoires face aux propriétaires augmente l’adhésion, la légitimité et améliore les rapports de force.
Face aux augmentations de loyers et aux non-renouvellements de contrats, ils ont développé la stratégie « Nos quedamos/Ens quedem » (« Nous restons »), où les locataires restent dans leur logement après l’expiration du contrat en payant le même loyer, négociant collectivement des renouvellements sans hausse.
Malgré le discours présentant les propriétaires comme de petits particuliers dépendants de leurs revenus locatifs, la réalité est plus complexe. Depuis la crise de 2008, le marché locatif attire des fonds d’investissement et de grands propriétaires, concentrant ainsi la propriété immobilière.
Les syndicats organisent ainsi des immeubles entiers possédés verticalement, adoptant une approche proactive en suscitant le conflit plutôt qu’en attendant passivement l’arrivée des locataires. Ils identifient les problèmes, mobilisent des immeubles entiers et mènent la lutte collective avant que les crises ne deviennent aiguës.
Articuler le conflit contre le rentisme et la lutte institutionnelle
Un autre pilier essentiel consiste à combiner les luttes sur le terrain avec l’action institutionnelle, afin d’obtenir des réformes législatives comme l’allongement des contrats, le plafonnement des loyers dans certaines communes, etc. Ces changements sont des victoires obtenues par la lutte mais restent insuffisants, la législation actuelle favorisant toujours largement les intérêts des rentiers.
Ces réformes doivent être vues comme des outils, non comme des objectifs ultimes, pour renforcer la position des locataires en vue de futurs conflits. Les mobilisations récentes ont mis en avant des revendications largement partagées, comme la baisse urgente des loyers (minimum 50 %), et dénoncé les gouvernements prétendument progressistes défendant les profits immobiliers.
Parmi les autres mesures urgentes nécessaires :
Des contrats stables, de longue durée et à renouvellement automatique pour sécuriser la vie des locataires.
L’expropriation des logements vacants, touristiques ou détenus par des fonds d’investissement, pour créer un parc public sous contrôle social.
Une régulation réelle ajustant le loyer à un maximum de 10 % des revenus des ménages.
Ces mesures sont indispensables pour résoudre la crise du logement, mais le droit réel au logement exige que celui-ci soit retiré de la logique marchande, un changement impossible sous le capitalisme.
Reconstruire la conscience de classe et combattre l’extrême droite
Au-delà d’améliorer les conditions matérielles, les syndicats de locataires peuvent jouer un rôle clé pour reconstruire une conscience de classe intégrant des perspectives féministes et antiracistes, et combattre l’extrême droite.
Les locataires ne forment pas une classe distincte, mais une fraction de la classe ouvrière privée du contrôle de son logement, situation comparable à celle des propriétaires hypothéqués ou des squatteurs. La lutte oppose donc la classe ouvrière aux rentiers, plutôt qu’une simple question générationnelle.
Nouveaux défis pour le syndicalisme du logement
Les syndicats de locataires et le mouvement du logement font face à plusieurs défis majeurs :
Développer efficacement la grève des loyers pour obtenir des victoires et des baisses significatives.
Dépasser les syndicats existants en créant de nouvelles organisations territoriales et nationales, unifiant locataires, propriétaires hypothéqués et squatteurs dans un syndicalisme intégré.
La grève des loyers est déjà en cours, notamment contre Nestar Homes et La Caixa, touchant directement les grands propriétaires.
Enfin, il faut profiter du moment politique actuel pour porter des revendications fortes comme l’expropriation de logements et des baisses universelles de loyers. L’objectif final reste un syndicalisme intégral du logement, capable de rassembler tous les secteurs concernés et de proposer une alternative sociale et politique forte garantissant un droit universel et digne au logement.
Alex Francés et Blanca Martínez sont militants pour le droit au logement dans les syndicats de locataires en Catalogne et à Madrid et membres d’Anticapitalistas.