Suite aux suicides à Peugeot Mulhouse [1], le syndicat CGT et l’union départementale (UD) du Haut-Rhin ont pris l’initiative de réunir, le jeudi 13 septembre à Mulhouse, des syndicalistes de l’automobile. Une cinquantaine d’entre-eux était là, représentant, outre PSA Mulhouse, les sites Peugeot de Sochaux, Vesoul, Charleville-Mézières, les sites Renault de Rueil, Le Mans, Sandouville, Guyancourt, ainsi que Toyota, General Motors, EHR France, et des sous-traitants (Faurestia, Gefco, UMV Valenciennes, Delphi, Wagon). S’y ajoutaient des représentants de la fédération métallurgie CGT, une médecin du travail, un cheminot, Claude Dupin, impliqué dans les comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT). La journée fut passionnante, ouvrant la possibilité de mise en place d’un réseau militant durable pour faire sortir ces questions du silence habituel où elles restent confinées, y compris dans le syndicalisme lui-même.
La secrétaire de l’UD CGT du Haut-Rhin a ouvert la journée : « Nous devons sortir d’ici avec du concret. On sait faire les constats. Mais il faudra aller vers des actions communes, prolongées dans le temps. Et travailler dans l’interprofessionnel, sinon on n’avance pas. La souffrance au travail, ce n’est pas que chez PSA. » Vincent Duse, de la CGT PSA Mulhouse, a dénoncé les récents propos du PDG de PSA, Christian Streiff, préparant encore 3000 licenciements par an sur trois ans, au nom des gains de productivité générateurs de souffrance « à un degré inacceptable » et d’une « politique de terreur ». Il a proposé un corps de revendications globales, dont une enquête publique de la caisse régionale d’assurance maladie (Cram) sur les conditions de travail.
Claude Dupin, expert CHSCT, a poursuivi : « Il y a des choix de gestion qui détruisent l’individu. Il faut maintenant prendre en compte la souffrance mentale au même titre que les atteintes physiologiques. » Et d’expliquer comment imposer un « droit d’alerte » sur les souffrances et sur les cas de « délinquance patronale », exemples concrets à l’appui. Fabien Gache, de Renault Le Mans, a rendu compte d’activités syndicales sur le site et invite à se coordonner en s’épaulant de chercheurs (comme Yves Clot, psychologue du travail). David, de General Motors, a décrit une bagarre de trois mois afin de maintenir des sièges dans l’atelier, notamment pour les salariés ayant un handicap aux jambes. Il a appelé à utiliser les capacités d’expertise de la Cram, en décrivant ce qui se passe dans les ateliers de peinture (malaises cardiaques liés à la poussière de fer).
Bruno Lemerle (PSA Sochaux) a insisté sur la « sous-estimation » chronique du psychique dans l’activité syndicale. Il a dénoncé l’importance de la « suppression des espaces de convivialité » dans les ateliers (décrivant l’action directe de la CGT, cet été, pour rétablir des chaises supprimées en catimini). Il a proposé un « temps fort » de débat public, de « libération de la parole », avec films, médecins, débouchant sur des liens interentreprises. Une femme médecin du travail a appuyé cette approche : « Nier le sens des suicides au travail, c’est enterrer les gens deux fois. » Or, « rien n’est plus difficile que d’approcher le “réel” du travail » et d’écouter la partie « émotive » des paroles prononcées.
Patrick Schweizer (Renault Rueil) évoque le travail d’analyse effectué par Christophe Dejours (autre psychologue du travail) sur Renault, et appelle aussi à « travailler en réseau, et à rompre le mur du silence ». C’est bien cette idée et cet engagement qui font consensus entre les présents, même si des débats doivent se poursuivre (par exemple, sur le rapport entre utilisation des lois, des structures du type CHSCT, et action syndicale de terrain). La journée s’est conclue par l’appel à participer aux manifestations du 13 octobre, lancées par la Fédération des accidentés de la vie (Fnath) et l’Association des victimes de l’amiante (Andeva), avec le soutien de la CGT.
* Paru dans Rouge n° 2219 du 20 septembre 2007.
CONDITIONS DE TRAVAIL
Tout repenser
Lors de sa conférence de presse du 4 septembre, le PDG de PSA, Christian Streiff, a parlé de « marge opérationnelle multipliée par trois » (être « le meilleur en Europe »). Mais il n’ pas dit un mot sur les cinq ouvriers qui se sont donné la mort dans ses usines récemment. Il ne parle qu’aux marchés financiers, dans « une logique de décroissance des effectifs, jusqu’à ce que nous ayons atteint les meilleurs niveaux de rentabilité ». Il appelle cela « les méthodes qui sont les nôtres à PSA, dans le respect des personnes ».
Respect ? Marcel Mérat (CGT) explique que, sur le site de Sochaux, « on a profité des vacances pour enlever les tables et les bancs utilisés pendant les microcoupures. Tout est fait pour que les salariés ne puissent pas communiquer entre eux » (L’Humanité). À Mulhouse, la méthode de travail Hoshin consiste à organiser la délation : les aléas de production doivent être analysés par les salariés, jusqu’à dénoncer des collègues qui ne sont pas « au top ». Des chefs d’atelier chronomètrent le temps passé aux toilettes, y compris en exigeant les dates de menstruation des femmes… Suite aux suicides, la CGT-PSA Mulhouse devait organiser, le 13 septembre, une rencontre de syndicalistes de l’automobile, pour mettre en commun les informations et les moyens de lutte sur les conditions de travail.
Le 3 septembre, le ministre du Travail, Xavier Bertrand, ouvrait la phase préliminaire d’une des trois conférences tripartites de l’automne, celle sur les conditions de travail. « La réhabilitation de la valeur-travail » est le point numéro un de la lettre de mission que lui a envoyée Sarkozy cet été. Le ministre reconnaît que les conditions de travail « se sont dégradées ». La conférence doit évaluer les risques professionnels et réformer l’efficacité de la « prévention » (médecine du travail). Les risques physiques se multiplient. Mais c’est toute l’organisation du travail elle-même qui est dangereuse pour la santé physique et mentale, parce que fondée sur la concurrence, la délation, jusqu’à la brutalité et l’inhumanité. Les salariés bénéficient, en théorie, d’un « droit de retrait » face à des situations dangereuses. Il faut généraliser ce droit : faire halte, obtenir le droit de se réunir, avec des médecins, des regards extérieurs, et tout mettre sur la place publique. Bref, ouvrir enfin la boîte noire du travail.
* Rouge N° 2218, 13/09/2007.