Un soldat chinois gardant l’entrée sud de la Cité Interdite à Pékin, dominée par un portrait immense de Mao Zedong.
L’absence du général He Weidong a été notée à deux reprises au cours des dernières semaines. En tant que l’un des deux vice-présidents de la Commission Militaire Centrale (CMC 中央军事委员会), présidée par Xi Jinping lui-même, il est considéré comme le « numéro deux » de l’APL. On s’attendait donc à le voir faire acte de présence aux côtés du principal vice-président Zhang Youxia durant l’annuelle cérémonie de plantation d’arbres du 2 avril. Cette tradition, à laquelle prenait part pour la 43e année consécutive l’élite militaire chinoise, symbolise la participation de l’armée à l’effort national de reboisement et plus largement en matière écologique. Elle est également l’occasion parfaite pour les observateurs de prendre note des présences pendant que les caméras filment les hauts-placés du CMC.
Une semaine plus tard, He est à nouveau absent d’une réunion du politburo censée porter sur la politique régionale du pays. La dernière apparition publique du général de 68 ans date du 11 mars, lors de la cérémonie de fermeture des Deux Sessions qui réunit annuellement le Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois et l’Assemblée nationale populaire.
Cette absence a vite été remarquée et commentée jusqu’à ce que le Financial Times publie le 10 avril un article citant cinq sources officielles américaines et affirmant que He Weidong aurait été démis de ses fonctions.
Si elle était avérée, la purge de He serait une première touchant un vice-président de la CMC depuis que Zhao Ziyang, ouvert au mouvement étudiant de Tiananmen, fut démis de cette fonction par Deng Xiaoping en 1989.
Aucune confirmation officielle pour l’instant
Une absence prolongée hors de la vie publique n’est pas inhabituelle pour les généraux chinois, et en l’absence de confirmation officielle, les conclusions hâtives peuvent se fourvoyer. En novembre 2023, le même Financial Times avait annoncé que le ministre de la défense Dong Jun était sous enquête pour corruption. La nouvelle fut démentie par le ministère, et une semaine plus tard, Dong, après son absence à plusieurs événements officiels, réapparut et reprit ses fonctions. Le Financial Times maintient qu’une enquête aurait été ouverte puis refermée.
La réaction officielle au cas de He Weidong est bien moins péremptoire. Répondant à une question quant à la situation de He lors d’une conférence de presse le 27 mars, le porte-parole du ministère de la Défense Wu Qian a déclaré « ne pas avoir d’information sur le sujet » et « ne pas être au courant de la situation ». Comme remarqué par l’agence de presse Bloomberg, la question concernant He a même été omise de la retranscription officielle du briefing.
Par ailleurs, le cas de He suit de près l’annonce, quant à elle officielle, du limogeage du chef adjoint de l’unité anti-corruption de l’armée chinoise le Lieutenant Général Tang Yong datant du 26 mars.
Le contexte des purges qui traversent l’armée chinoise
Cet évènement doit être remis dans le contexte de la campagne anti-corruption des deux dernières années qui cible l’Armée Populaire de Libération. Il est bon de rappeler la signification de la notion de « corruption » dans le contexte chinois. Un récent rapport du Bureau du Directeur du renseignement national américain (DNI) sur le sujet rappelle que la « corruption » en Chine est comprise comme « un crime politique, un signe de déloyauté et d’impureté idéologique », pouvant ainsi inclure un large spectre d’activités et d’attitudes jugées répréhensibles par le Parti.
Les Commissions de contrôle de la discipline (CDI, 中国共产党中央纪律检查委员会), qui enquêtent sur la corruption, travaillent directement pour le Parti sans regard indépendant, rendant le choix et la conduite des dossiers souvent arbitraires.
En 2022, inaugurant son troisième mandat, Xi nomme six loyalistes à la CMC, l’organe commandant l’APL (tandis que le ministère de la Défense gère principalement les relations avec les forces armées étrangères).
Ce remaniement n’a pas garanti la sérénité du président Xi. Dès 2023, le Général Li Shangfu, alors ministre de la Défense (remplacé par Dong Jun) et son prédécesseur Wei Fenghe furent brutalement limogés et soumis à une enquête, à la suite de l’arrestation du commandant de La Force des missiles de l’APL ainsi que de neuf membres du personnel impliqués dans des enquêtes pour corruption.
En novembre dernier, Pékin confirmait la suspension du directeur du Département du Travail politique de la CMC, le général Miao Hua, ainsi qu’une « enquête en cours pour suspicions de violations disciplinaires graves », un euphémisme courant pour la corruption.
Bien qu’il n’y ait encore aucune déclaration officielle sur le sujet, le cas de He Weidong a été accompagné de multiples rumeurs quant à d’autres généraux de la Marine de l’APL et du théâtre oriental notamment chargé de Taïwan. Des rumeurs que certains experts pensent être appuyées par des indices concordants provenant des récents discours officiels. En 2024, Xi Jinping soulignait lors d’un discours aux commandants militaires que « les canons des armes doivent toujours être entre les mains de ceux qui sont loyaux et fiables envers le Parti », appuyant la loyauté attendue par l’armée envers le Parti. Plus récemment, le rapport des récentes Deux Sessions d Premier ministre Li Qiang annonçait l’effort continu de l’APL visant à maintenir la « direction absolue du Parti sur l’armée populaire, mettre en œuvre de manière complète et approfondie le système de responsabilité du président de la Commission militaire centrale, et continuer à approfondir la formation politique ». L’institut international des Études stratégiques (IISS) considère cette dernière expression comme une probable référence voilée aux enquêtes anti-corruption en cours à travers l’armée.
Pourquoi cette affaire suscite-t-elle tant de spéculations ?
Si le cas de He Weidong attire tant l’attention médiatique, c’est, au-delà de son rang, en raison de son appartenance à la « clique du Fujian » : un groupe politique loyal à Xi Jinping dont le nom évoque la province dans laquelle le président Xi ainsi que d’autres figures telles que He ont fait leur ascension dans les administrations locales dans les années 1990 et le début des années 2000.
Ces liens étroits et leur loyauté présumée envers le président Xi ont inspiré des spéculations imaginant une « contre-purge » revancharde orchestrée par Zhang Youxia, hors des mains du président Xi et cherchant à l’affaiblir en écartant ses alliés. Mais si cette théorie semble enthousiasmer certains internautes et commentateurs peut-être imprudents tel que l’américain Gordon G. Chang (qui depuis 2001 a « prévu » a plusieurs reprises l’écroulement de la République populaire de Chine) – les experts semblent quant à eux, écarter cette hypothèse.
Si les campagnes de corruption ont permis à Xi Jinping de consolider son pouvoir en écartant ses opposants politiques, He ne serait pas le premier proche de Xi à passer sous le coup d’une enquête pour corruption. Le rapport du DNI fait référence à des études académiques selon lesquelles « les connexions politiques ainsi que des liens personnels avec Xi lui-même n’ont pas protégé les fonctionnaires soupçonnés de corruption. »
Des noms circulent, mais aucun n’est confirmé officiellement
Sur X (ex-Twitter), plusieurs noms de hauts gradés potentiellement touchés circulent, mais aucun n’est confirmé officiellement. Les spéculations mentionnent notamment Lin Xiangyang, commandant du théâtre oriental et ancien subalterne de He Weidong, Wang Houbin, actuel commandant de la Force des fusées, et Wang Xiubin, ancien commandant du théâtre sud.
Drew Thompson, chercheur à la Rajaratnam School of International Studies (RSIS) à Nanyang évoque d’autres noms dans une publication LinkedIn : le général Wang Haijiang du théâtre occidental, l’amiral Wang Zhongcai de la marine du théâtre oriental, et le général Ding Laifu, commandant du 73e groupe d’armées du théâtre oriental, qui feraient l’objet d’enquêtes.
Une conclusion toute provisoire
L’engouement des spéculations des internautes chinois sur les réseaux sociaux occidentaux et sur les sites d’informations alternatifs est pour une bonne part lié à l’opacité des campagnes anti-corruption, particulièrement quand il s’agit des hautes sphères du pouvoir. Les experts s’accordent sur le fait que cette purge est le signe d’un manque de confiance problématique entre Xi et ses généraux.
L’impact de la purge en cours sur les opérations de l’APL est sujet à débat, mais on établit généralement un lien entre cette campagne anti-corruption et l’ambition de Xi quant à la préparation et la modernisation de son armée en vue de 2027 et d’une éventuelle invasion de Taïwan qui serait loin de faire l’unanimité dans les rangs des milieux dirigeants de l’APL.
Emma Belmonte