Quand j’ai vu pour la première fois le rapport de Harvard sur l’antisémitisme et les biais anti-Israël, je ne m’attendais pas à m’y trouver. Mais j’y étais, toutefois sans que mon nom, mes recherches, ou même mon identité d’universitaire juive israélienne n’y soient reconnus.
Le rapport a été compilé et publié en réponse à une large pression de donateurs et de groupes de plaidoyer pro-Israël. Il affirme documenter une crise d’antisémitisme sur le campus. Mais ce qu’il révèle effectivement est la volonté de Harvard de redéfinir l’identité juive dans des termes étroits et idéologiques : d’exclure les juifs qui contestent le sionisme.
Je sais cela parce que je suis l’une d’entre eux. Pendant plusieurs années, j’ai enseigné dans la Religion, Conflict, and Peace Initiative (RCPI, Initiative sur la religion, le conflit et la paix), dans l’École de théologie de Harvard. Notre programme approche la construction de la paix par une analyse approfondie des histoires de violence structurelle et de pouvoir, Palestine/Israël étant notre étude de cas centrale. Nos étudiants lisent énormément, ont voyagé dans la région et rencontré des personnes aux voix variées — incluant des vétérans juifs israéliens de l’association Breaking the Silence, des artistes palestiniens résistant à l’effacement culturel, et des militants juifs mizrahim et éthiopiens contestant le racisme à l’intérieur de la société israélienne.
Notre programme était, par sa conception même, stimulant intellectuellement et politiquement. Il exposait les étudiants et étudiantes à la complexité de la région et aux manières diverses, souvent conflictuelles, dont les juifs et les Palestiniens racontent leurs passés et imaginent leurs futurs.
Mais selon les auteurs du rapport de Harvard, ce n’était pas une étude légitime ni une pédagogie responsable ; c’était, essentiellement, un simple endoctrinement idéologique antisémite.
La façon dont le rapport en arrive à cette caractérisation de notre programme et la façon dont cela est justifié illustrent comment des distorsions diffamatoires sont déployées pour supprimer les arguments et les identités des juifs de la « mauvaise sorte ». Le rapport cite des événements publics que nous avons organisés dans le cadre de RCPI, dont un webinaire à propos de mon livre sur les militants juifs américains qui se sont impliqués dans le travail solidaire avec la Palestine à cause de—et non malgré —leur identité juive. Le rabbin Brant Rosen, un rabbin reconstructionniste et fondateur de Tzedek Chicago, et Dr Sara Roy, une universitaire distinguée experte de la Palestine et fille de survivants de l’Holocauste, y ont proposé des réponses réfléchies.
Pourtant le rapport a réduit cet événement à une vague description d’un « intervenant » louant « les militants juifs pro-palestiniens », ignorant que l’intervenant était moi — professeure juive israélienne — et que mes interlocuteurs étaient aussi juifs. Les réflexions de Rosen sur sa désillusion avec le sionisme ont été écartées comme « un récit de conversion », comme si une évolution spirituelle ou éthique était une preuve d’antisémitisme.
Dans un autre webinaire que j’ai modéré, Rosen et l’universitaire juif Daniel Boyarin ont débattu de la place du sionisme dans la liturgie de la synagogue. Boyarin n’était pas d’accord avec les révisions liturgiques de Rosen, mais a réaffirmé que leurs engagements éthiques étaient partagés. Le rapport a sélectionné un petit morceau du commentaire de Boyarin — « Je suis en profonde sympathie avec vos positions politiques et éthiques » — pour suggérer que l’événement manquait de « diversité de points de vue ». Il est difficile de rater l’ironie : une conversation entre deux juifs, de traditions très différentes, devient la preuve non de la diversité, mais de son absence.
Ce cadrage sélectif n’est pas accidentel, ni un acte de malveillance isolé. Il reflète un schéma plus large : la décision de Harvard en janvier de cette année d’adopter la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (International Holocaust Remembrance Alliance, IHRA), qui assimile la critique des politiques israéliennes à de l’antisémitisme même. En faisant cela, l’université n’a pas seulement pris des mesures pour réprimer encore plus un discours politique et éthique important qui affronte la réalité de la violence israélienne contre les Palestiniens ; elle a aussi adopté de fait un test politique pour décider qui compte comme juif légitime sur le campus.
Il est clair que je fais partie du « mauvais genre de juif » à Harvard. À chaque stade, mes engagements universitaires et politiques m’ont placée hors des limites de l’acceptabilité. J’ai été trop critique, trop engagée, trop désireuse de contester les récits dominants. Et je suis loin d’être la seule.
Le rapport va encore plus loin. Il ne se contente pas de rejeter le travail, les identités et les expériences des enseignants et des chercheurs, il rejette aussi les expériences de nos étudiants juifs, y compris de ceux qui ont participé au voyage d’études de notre cours en Palestine/Israël. Un étudiant juif a décrit l’expérience comme « formatrice, douloureuse et puissante », racontant les manières dont l’apartheid israélien sape non seulement la politique mais la possibilité même d’une vie culturelle pour les Palestiniens. Le rapport présente cette réflexion non comme preuve de l’enseignement, mais comme preuve de l’endoctrinement.
L’implication est claire : les étudiants juifs qui en arrivent à des conclusions critiques sur Israël ne sont pas des penseurs indépendants. Ils ont été induits en erreur. Manipulés. Infantilisés.
Ironiquement, c’est en lui-même un trope antisémite : les juifs ne peuvent pas penser pour eux-mêmes, sauf s’ils se conforment à une idéologie validée.
Le rapport efface aussi la riche diversité des voix juives que nous faisons entendre dans nos classes. Il affirme que notre programme est focalisé sur « des perspectives juives non conventionnelles », rejetant des gens comme Noam Shuster Eliassi, un acteur juif misrahi israélien dont le travail a été soutenu par notre programme d’invitations et qui est maintenant présenté au Festival de cinéma de Sundance. Il ignore des événements qui ont impliqué profondément les expériences juives misrahim et éthiopiennes, dont notre commémoration de la Haggada de Pessah par des Black Panthers israéliens—un puissant symbole de la lutte anti-raciste dans l’histoire israélienne.
Et il omet entièrement notre programmation sur l’antisémitisme lui-même, incluant une discussion de définitions alternatives de l’antisémitisme, comme la Déclaration de Jérusalem, qui, contrairement à celle de IHRA, distingue soigneusement entre critique d’Israël et haine des juifs.
En résumé, le rapport de Harvard ne se contente pas de dénaturer notre programme. Il essaie de redessiner les bornes de la légitimité juive.
Il envoie un message glaçant aux étudiants et aux enseignants : si vous êtes un juif qui met en question le sionisme, vous êtes suspect. Si vous vous impliquez dans la solidarité avec les Palestiniens, vous n’êtes pas l’un de nous. Si vos études compliquent le récit moral bien ordonné d’un Israël assailli, vous n’êtes pas seulement indésirable — vous êtes dangereux.
Ce n’est pas une défense de la sécurité juive. C’est un effort pour contrôler la dissidence juive.
Mais je refuse d’être contrôlée. Je continuerai à enseigner, à écrire et à organiser avec des juifs et des Palestiniens luttant pour la liberté, la justice et la dignité. Je continuerai à contester les institutions qui affirment nous défendre contre l’antisémitisme tout en perpétuant d’autres formes de racisme et de répression.
Et je ne le ferai pas bien qu’étant juive, mais parce que j’en suis une.
Atalia Omer est professeure de religion, de conflit, et d’études sur la paix à l’École Keough des Affaires mondiales de l’université de Notre Dame. Elle est une enseignante centrale de l’Institut Kroc des Études internationales sur la paix de l’École Keough.Quand j’ai vu pour la première fois le rapport de Harvard sur l’antisémitisme et les biais anti-Israël, je ne m’attendais pas à m’y trouver. Mais j’y étais, toutefois sans que mon nom, mes recherches, ou même mon identité d’universitaire juive israélienne n’y soient reconnus.
Le rapport a été compilé et publié en réponse à une large pression de donateurs et de groupes de plaidoyer pro-Israël. Il affirme documenter une crise d’antisémitisme sur le campus. Mais ce qu’il révèle effectivement est la volonté de Harvard de redéfinir l’identité juive dans des termes étroits et idéologiques : d’exclure les juifs qui contestent le sionisme.
Je sais cela parce que je suis l’une d’entre eux. Pendant plusieurs années, j’ai enseigné dans la Religion, Conflict, and Peace Initiative (RCPI, Initiative sur la religion, le conflit et la paix), dans l’École de théologie de Harvard. Notre programme approche la construction de la paix par une analyse approfondie des histoires de violence structurelle et de pouvoir, Palestine/Israël étant notre étude de cas centrale. Nos étudiants lisent énormément, ont voyagé dans la région et rencontré des personnes aux voix variées — incluant des vétérans juifs israéliens de l’association Breaking the Silence, des artistes palestiniens résistant à l’effacement culturel, et des militants juifs mizrahim et éthiopiens contestant le racisme à l’intérieur de la société israélienne.
Notre programme était, par sa conception même, stimulant intellectuellement et politiquement. Il exposait les étudiants et étudiantes à la complexité de la région et aux manières diverses, souvent conflictuelles, dont les juifs et les Palestiniens racontent leurs passés et imaginent leurs futurs.
Mais selon les auteurs du rapport de Harvard, ce n’était pas une étude légitime ni une pédagogie responsable ; c’était, essentiellement, un simple endoctrinement idéologique antisémite.
La façon dont le rapport en arrive à cette caractérisation de notre programme et la façon dont cela est justifié illustrent comment des distorsions diffamatoires sont déployées pour supprimer les arguments et les identités des juifs de la « mauvaise sorte ». Le rapport cite des événements publics que nous avons organisés dans le cadre de RCPI, dont un webinaire à propos de mon livre sur les militants juifs américains qui se sont impliqués dans le travail solidaire avec la Palestine à cause de—et non malgré —leur identité juive. Le rabbin Brant Rosen, un rabbin reconstructionniste et fondateur de Tzedek Chicago, et Dr Sara Roy, une universitaire distinguée experte de la Palestine et fille de survivants de l’Holocauste, y ont proposé des réponses réfléchies.
Pourtant le rapport a réduit cet événement à une vague description d’un « intervenant » louant « les militants juifs pro-palestiniens », ignorant que l’intervenant était moi — professeure juive israélienne — et que mes interlocuteurs étaient aussi juifs. Les réflexions de Rosen sur sa désillusion avec le sionisme ont été écartées comme « un récit de conversion », comme si une évolution spirituelle ou éthique était une preuve d’antisémitisme.
Dans un autre webinaire que j’ai modéré, Rosen et l’universitaire juif Daniel Boyarin ont débattu de la place du sionisme dans la liturgie de la synagogue. Boyarin n’était pas d’accord avec les révisions liturgiques de Rosen, mais a réaffirmé que leurs engagements éthiques étaient partagés. Le rapport a sélectionné un petit morceau du commentaire de Boyarin — « Je suis en profonde sympathie avec vos positions politiques et éthiques » — pour suggérer que l’événement manquait de « diversité de points de vue ». Il est difficile de rater l’ironie : une conversation entre deux juifs, de traditions très différentes, devient la preuve non de la diversité, mais de son absence.
Ce cadrage sélectif n’est pas accidentel, ni un acte de malveillance isolé. Il reflète un schéma plus large : la décision de Harvard en janvier de cette année d’adopter la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (International Holocaust Remembrance Alliance, IHRA), qui assimile la critique des politiques israéliennes à de l’antisémitisme même. En faisant cela, l’université n’a pas seulement pris des mesures pour réprimer encore plus un discours politique et éthique important qui affronte la réalité de la violence israélienne contre les Palestiniens ; elle a aussi adopté de fait un test politique pour décider qui compte comme juif légitime sur le campus.
Il est clair que je fais partie du « mauvais genre de juif » à Harvard. À chaque stade, mes engagements universitaires et politiques m’ont placée hors des limites de l’acceptabilité. J’ai été trop critique, trop engagée, trop désireuse de contester les récits dominants. Et je suis loin d’être la seule.
Le rapport va encore plus loin. Il ne se contente pas de rejeter le travail, les identités et les expériences des enseignants et des chercheurs, il rejette aussi les expériences de nos étudiants juifs, y compris de ceux qui ont participé au voyage d’études de notre cours en Palestine/Israël. Un étudiant juif a décrit l’expérience comme « formatrice, douloureuse et puissante », racontant les manières dont l’apartheid israélien sape non seulement la politique mais la possibilité même d’une vie culturelle pour les Palestiniens. Le rapport présente cette réflexion non comme preuve de l’enseignement, mais comme preuve de l’endoctrinement.
L’implication est claire : les étudiants juifs qui en arrivent à des conclusions critiques sur Israël ne sont pas des penseurs indépendants. Ils ont été induits en erreur. Manipulés. Infantilisés.
Ironiquement, c’est en lui-même un trope antisémite : les juifs ne peuvent pas penser pour eux-mêmes, sauf s’ils se conforment à une idéologie validée.
Le rapport efface aussi la riche diversité des voix juives que nous faisons entendre dans nos classes. Il affirme que notre programme est focalisé sur « des perspectives juives non conventionnelles », rejetant des gens comme Noam Shuster Eliassi, un acteur juif misrahi israélien dont le travail a été soutenu par notre programme d’invitations et qui est maintenant présenté au Festival de cinéma de Sundance. Il ignore des événements qui ont impliqué profondément les expériences juives misrahim et éthiopiennes, dont notre commémoration de la Haggada de Pessah par des Black Panthers israéliens—un puissant symbole de la lutte anti-raciste dans l’histoire israélienne.
Et il omet entièrement notre programmation sur l’antisémitisme lui-même, incluant une discussion de définitions alternatives de l’antisémitisme, comme la Déclaration de Jérusalem, qui, contrairement à celle de IHRA, distingue soigneusement entre critique d’Israël et haine des juifs.
En résumé, le rapport de Harvard ne se contente pas de dénaturer notre programme. Il essaie de redessiner les bornes de la légitimité juive.
Il envoie un message glaçant aux étudiants et aux enseignants : si vous êtes un juif qui met en question le sionisme, vous êtes suspect. Si vous vous impliquez dans la solidarité avec les Palestiniens, vous n’êtes pas l’un de nous. Si vos études compliquent le récit moral bien ordonné d’un Israël assailli, vous n’êtes pas seulement indésirable — vous êtes dangereux.
Ce n’est pas une défense de la sécurité juive. C’est un effort pour contrôler la dissidence juive.
Mais je refuse d’être contrôlée. Je continuerai à enseigner, à écrire et à organiser avec des juifs et des Palestiniens luttant pour la liberté, la justice et la dignité. Je continuerai à contester les institutions qui affirment nous défendre contre l’antisémitisme tout en perpétuant d’autres formes de racisme et de répression.
Et je ne le ferai pas bien qu’étant juive, mais parce que j’en suis une.
Atalia Omer