Après 45 ans de régime militaire, la junte au pouvoir en Birmanie se trouve dans l’œil d’un cyclone social. La récente hausse du prix des carburants a provoqué un enchérissement insupportable du coût de la vie : elle a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la dictature. Dans un pays essentiellement bouddhiste, l’entrée en dissidence d’un nombre croissant de bonzes (surtout des jeunes en formation), a ouvert une brèche dans laquelle la population s’engouffre aujourd’hui. Les manifestations de rue ont pris une ampleur inégalée depuis 1988 rassemblant, selon des estimations de témoins, plus de cent milles personnes (et jusqu’à trente milles moines), notamment le 25 septembre 2007 à Rangoun et ses environs. D’autres rassemblements se sont produits dans le Centre et l’Ouest du pays.
Au fil des semaines, nourri par le malaise social, puis radicalisé par les violences subies par de jeunes bonzes (battus à coup de verges de bambous par des militaires), le mouvement de protestation a pris une dimension ouvertement politique : le dimanche 22 septembre, les manifestants se sont arrêtés devant la demeure d’Aung San Suu Kyi, principale figure de l’opposition, assignée à résidence depuis des années et qui a pu faire à cette occasion une brève apparition en public.
En 1988, quand le général-dictateur Ne Win avait été écarté du pouvoir sous la pression de la mobilisation populaire et des guérillas Karen, l’armée avait fini par noyer le mouvement démocratique dans le sang, au prix de trois mille morts. A cette fin, elle avait, envoyé des soldats déguisés en moines jouer les provocateurs dans les manifestations et justifier la répression. Elle avait aussi tout simplement ignoré les résultats des élections législatives de 1990, largement emporté par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) – le Parlement alors élu siége depuis en exil. Il est à craindre qu’aujourd’hui encore, les militaires n’usent de telles méthodes pour reprendre le contrôle de la situation. Le contexte international rend certes actuellement le recours à la force politiquement plus risqué pour la junte qu’il y a vingt ans. De Pékin (qui a d’importants intérêts en Birmanie) à Washington en passant par Bruxelles, les gouvernants s’inquiètent de la situation. Pour la première fois, un président français, Sarkozy, devait recevoir le 26 septembre 2007 le Dr Sein Win, Premier Ministre du gouvernement birman en exil — il était temps ! [1] Mais les capitales occidentales n’ont jusqu’à maintenant pris aucune mesure véritablement contraignante contre la dictature. L’Union européenne, malgré ses prises de positions en faveur de la démocratie, a de facto accepté de renouer avec la junte via l’intégration de la Birmanie à l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE ou ASEAN).
Le mouvement démocratique birman ne doit pas se retrouver une nouvelle fois victime de la realpolitik internationale et de la répression militaire. En ces heures décisives, il doit pouvoir compter sur notre solidarité.