TOKYO CORRESPONDANT
Elu premier ministre du Japon à une large majorité par la Chambre basse, Yasuo Fukuda a formé, mardi 25 septembre, un cabinet dont il ne cache pas qu’il est « dos au mur ». « A la moindre erreur, nous risquons de perdre le pouvoir », a-t-il reconnu au cours de sa première conférence de presse. La phase critique de la crise ouverte par la brusque démission, le 12 septembre, de son prédécesseur, Shinzo Abe, se referme. Mais le climat est loin d’être apaisé et un affrontement est attendu au Parlement. La Chambre basse est dominée par le Parti libéral démocrate (PLD), tandis que le Parti démocrate du Japon (PDJ, opposition) contrôle désormais la Chambre haute.
Sur la défensive, avec une opposition revigorée par sa victoire aux élections sénatoriales de juillet, contraint à plus ou moins brève échéance de provoquer des élections générales anticipées pour asseoir sa légitimité, le nouveau premier ministre a cherché à resserrer les rangs de son parti. Il a maintenu à leur poste la plupart des ministres du cabinet sortant, et nommé comme secrétaire du gouvernement et porte-parole, Nobutaka Machimura, chef du plus puissant clan du PLD, qui devient ainsi le numéro deux de l’exécutif.
Parmi les grands ministères, seules les affaires étrangères et la défense changent de titulaire : le premier revenant à Masahiko Komura, détenteur du portefeuille de la défense dans le précédent cabinet ; et le second à Shigeru Ishiba, qui avait déjà occupé ces fonctions en 2002-2003. Le quotidien Asahi (centre gauche) compare ce cabinet à une « photographie aux couleurs sépia ». En dépit de cette absence de renouveau, l’arrivée au pouvoir de Yasuo Fukuda, conservateur modéré, ouvre la voie à une salutaire mutation dans l’exercice du pouvoir et à un recentrage des priorités politiques.
Le principal adversaire de M. Fukuda est un autre vétéran de la politique, le pugnace Ichiro Ozawa, chef du PDJ. Leur affrontement, bien qu’il « manque de clinquant », permettra de revenir aux problèmes de fond, poursuit Asahi. Cette crise pourrait, en cela, avoir eu un effet bénéfique en relançant le débat démocratique étouffé par les formules chocs des années Koizumi (2001-2006), le fringant premier ministre qui avait promis de transformer le Japon.
Dans le quotidien des milieux d’affaires Nihon Keizai, le politologue Takashi Mikuriya voit dans la déconfiture du gouvernement Abe le résultat de la crise structurelle ouverte par la pratique de pouvoir de Junichiro Koizumi. Fort de sa popularité, ce dernier clouait au pilori ses opposants et étouffait les opinions divergentes au sein de la majorité pour trancher sans consulter. Le télégénique Shinzo Abe (surnommé « Poster Boy »), moins doué pour le marketing politique que son prédécesseur mais incarnant une nouvelle génération, fut l’avatar malheureux de cette politique fondée sur les sondages.
M. Fukuda n’est pas une « bête de scène » et sa désignation par les « caciques » du PLD peut paraître une régression. Mais conscients qu’en dépit de l’alliance avec le parti centriste Nouveau Komei, ils ne peuvent plus passer en force avec un Sénat passé à l’opposition, les libéraux démocrates sont contraints à une forme de cohabitation qui suppose la concertation.
Le premier bras de fer entre Yasuo Fukuda et Ichiro Ozawa doit porter sur le renouvellement du mandat (qui expire le 1er novembre) de la marine nippone chargée de ravitailler dans l’Océan indien les troupes alliées engagées en Afghanistan. Le PDJ y est opposé. Mais les plus graves problèmes sont d’ordre économique et social.
M. Fukuda prend les rênes d’un pays fragilisé. L’économie est repartie à un rythme modéré (2 %), mais l’Etat n’est plus en mesure de financer une politique volontariste en raison de l’énorme déficit public (170 % du PIB). Les inégalités s’accroissent et la société, vieillissante, s’inquiète de l’avenir des systèmes de pension.
Sous la houlette de M. Koizumi, le Japon est passé à un conservatisme de type néolibéral, privilégiant les mécanismes de marché et donnant la priorité aux intérêts financiers, rompant le contrat social des années 1960-1980 fondé sur un équilibre entre expansion et politiques de redistribution (non exemptes d’abus clientélistes). Le capitalisme nippon est devenu plus réactif au prix de la cohésion de la société.
M. Fukuda s’est engagé à poursuivre les réformes mais il doit aussi rassurer une opinion inquiète tout en remédiant au déficit des finances publiques, - qui suppose un impopulaire relèvement de la TVA.
Philippe Pons
* Article paru dans le Monde édition du 27.09.07.
LE MONDE | 26.09.07 | 16h14 • Mis à jour le 26.09.07 | 16h14
La droite japonaise choisit l’austère Yasuo Fukuda pour diriger le gouvernement
TOKYO CORRESPONDANT
On ne pouvait trouver personnalités plus dissemblables que Taro Aso et Yasuo Fukuda, les deux prétendants à la succession du premier ministre sortant, Shinzo Abe. Au gouailleur Aso, ancien ministre des affaires étrangères, volontiers provocateur, M. Fukuda oppose la pondération et la suavité. C’est cet homme austère, issu de la droite modérée que le collège électoral du Parti libéral-démocrate (PLD), réunissant 384 parlementaires et 529 représentants locaux, a porté, dimanche 23 septembre à la présidence d’une formation qui domine la vie politique depuis plus d’un demi-siècle. M. Fukuda deviendra premier ministre après un vote à la Diète, mardi, dont l’issue ne fait guère de doute étant donné la majorité qu’y détient le PLD.
Homme du sérail, fils de l’ancien premier ministre Takeo Fukuda (1976-1978), il n’est pas un dirigeant médiatique : « Je ne pense pas que j’exercerai le pouvoir avec le même genre d’autorité », a-t-il répondu à une question sur son flamboyant prédécesseur, Junichiro Koizumi (2001-2006). Pour avoir été quatre ans secrétaire du cabinet et porte-parole dans l’éphémère cabinet Mori (2000) puis dans les premiers gouvernements Koizumi, M. Fukuda connaît les limites de l’exercice. La déconfiture, aux élections sénatoriales de juillet, et la piètre sortie du « Poster boy » Abe n’incitent guère les libéraux-démocrates à rejouer la carte du leader charismatique.
En dépit de trente ans de carrière politique, M. Fukuda n’a jamais détenu de portefeuille important. Mais, « homme de l’ombre » tirant les ficelles au secrétariat du gouvernement - et de fait son numéro deux -, il a étendu son influence au-delà de ses fonctions, démontrant son habileté à désamorcer les crises.
QUALITÉS PRÉCIEUSES
Complet sombre et lunettes rectangulaires, austère - « ringard », selon son rival Taro Aso -, M. Fukuda ne fait pas rêver, et ne cherche pas à jouer les chefs supposés tenir toutes les manettes. Mais cet homme de la « vieille école » a deux qualités précieuses dans la crise de confiance actuelle : son habileté à négocier et sa capacité à rassurer. Le futur premier ministre devra notamment faire preuve de son sens de la concertation avec une opposition désormais majoritaire au Sénat, où sa principale formation, le Parti démocrate du Japon (PDJ), est devenue le premier parti. Il aura pour adversaire un homme de sa génération, le pugnace Ichiro Ozawa, un ancien du PLD et qui fut l’étoile montante du camp de Kakuei Tanaka, adversaire de son père dans la course à l’investiture pour le poste de premier ministre au début des années 1970. Première manche de ce combat : la prolongation du mandat de la marine nippone dans l’océan Indien - où elle ravitaille les forces alliées engagées en Afghanistan -, à laquelle s’oppose le PDJ.
M. Fukuda apparaît rassurant à une opinion inquiète d’inégalités sociales croissantes. « Il est erroné de penser que tout va bien si on confie le pouvoir aux économistes », a-t-il déclaré, mettant en garde contre une « forme excessive de rationalisme économique » qui, pour nombre de commentateurs, est à l’origine des maux actuels.
En tant que secrétaire du cabinet, il a enfin acquis une expérience dans son domaine de prédilection : la diplomatie. « Colombe », il est partisan de relations apaisées avec la Chine et la Corée. Les visites intempestives de M. Koizumi au sanctuaire Yasukuni - où sont honorés, parmi les morts pour la patrie, des criminels de guerre -, qui ont envenimé les relations avec Pékin, ont été l’une des raisons pour lesquelles il a quitté le gouvernement en 2004. Il a déjà annoncé qu’il ne se rendrait pas au sanctuaire.
* Article paru dans le Monde, édition du 25.09.07.
LE MONDE | 24.09.07 | 14h09 • Mis à jour le 24.09.07 | 14h09