Manifestant.e.s de Palestine Action à Bristol à la suite de leur taguage sur l’immeuble d’Allianz, le 14 avril 2025. Photo : Martin Pope/Zuma Press Wire/Rex/Shutterstock
Il n’y a personne à qui l’on puisse accorder toute sa confiance quand il s’agit de pouvoir. Tout gouvernement opprimera son peuple s’il n’est pas contesté sans répit et avec habileté. De plus, cette obligation s’impose avec une urgence croissante à mesure que de nouvelles technologies de surveillance et de contrôle se déploient.
Le gouvernement britannique est dirigé par un ancien avocat spécialisé dans les droits de l’homme. Sa ministre de l’Intérieur, Yvette Cooper, a exprimé devant le Parlement son admiration pour les suffragettes. Néanmoins, ces références ne nous protègent en rien contre les atteintes à nos droits fondamentaux. Forte d’une majorité solide, de l’absence de contrôle constitutionnel effectif et d’une machine gouvernementale brutale et qui a peu de comptes à rendre, cette administration abuse de son pouvoir encore plus que ses prédécesseurs conservateurs.
Bien que la concurrence pour le podium soit rude, la décision de Mme Cooper d’interdire l’organisation contestataire Palestine Action en vertu de la loi antiterroriste de 2000 est probablement la mesure la plus liberticide prise par un ministre de l’Intérieur en 30 ans. Si le recours juridique de Palestine Action contre cette décision échoue, n’importe qui pourrait encourir 14 ans de prison pour terrorisme simplement pour avoir exprimé son soutien. Il s’agit d’une menace considérable pour le droit de manifester et la liberté d’expression.
En 2001, lorsque cette loi est entrée en vigueur, j’avais prévenu qu’elle pourrait être utilisée pour interdire les groupes de protestation non violents et emprisonner ceux qui les soutiennent. Des soutiens du gouvernement de Tony Blair m’avaient répondu que je racontais n’importe quoi : cette loi avait pour but de nous protéger contre ceux qui voulaient nous tuer et nous mutiler. À l’époque, Cooper était secrétaire d’État. Elle aurait dû être au fait de ce que cette loi pouvait provoquer. Aujourd’hui, elle donne raison à mes avertissements.
Tout comme la rédaction des lois anti-manifestation des conservateurs, cette application de la loi semble être une réponse aux demandes de certains groupes d’influence. Les laboratoires d’idées frelatées de Tufton Street, de concert avec les médias à la botte des milliardaires, ont appelé à des mesures toujours plus extrêmescontre les manifestants qui protestent contre le génocide à Gaza. Il semble bien que le gouvernement a partagé les informations de la police et des magistrats de la Couronne avec l’ambassade d’Israël : il semble y avoir une profonde intrication entre les forces de l’ordre nationales et les intérêts d’un État étranger.
Pour satisfaire à ces pressions, le Royaume-Uni est devenu sans doute le plus répressif de tous les pays qui se prétendent démocratiques es. Tant par sa législation que dans son application, il évoque davantage une autocratie répressive. Cela se révèle non seulement dans la lourdeur des peines infligées à la suite de manifestations pacifiques, mais aussi dans l’application d’un double standard hors du commun, une marque classique du mode de pensée autoritariste : « tout pour mes amis, la loi pour mes ennemis ».
Alors que des manifestant.e.s pour le climat sont arrêtés pour avoir mis un pied sur une route, lorsqu’un groupe d’agriculteurs en tracteurs a bloqué la route où Keir Starmer prononçait un discours, le forçant à s’enfuir, non seulement aucune arrestation n’a été effectuée, mais, pour autant que je sache, aucun ministre n’a dit un mot à ce sujet.
Loin d’abroger les lois anti-manifestations draconiennes imposées par les conservateurs, le Parti travailliste les renforce avec une clause (section 124) glissée dans l’actuel projet de loi sur la criminalité et la police.
À peine remarqué par les législateurs et l’opinion publique, il renforce considérablement la capacité de la police à étouffer les actions de protestation. La police pourra interdire les manifestations à proximité d’un lieu de culte qu’elle juge susceptible d’effrayer les fidèles. Comme presque toutes les zones urbaines comptent un lieu de culte, cela donne à la police le pouvoir, à sa seule discrétion, de réprimer toute expression d’opposition.
Palestine Action ne représente pas un danger pour la démocratie. Mais Cooper, oui. Je ne doute pas que, si elles étaient en activité aujourd’hui, la ministre de l’Intérieur qualifierait d’organisation terroriste les suffragettes qu’elle prétend honorer.
L’une des causes des reculs de la démocratie au plan mondial est l’augmentation rapide de l’écart en matière d’armement entre les gouvernements et leurs populations. À l’époque de la Révolution française, les gouvernements craignaient le peuple, car la distance entre les piques et les fourches n’était pas si grande. Mais à mesure que les États se dotaient d’armes de plus en plus sophistiquées, leur supériorité ne pouvait plus être contestée par ceux qu’il voulaient soumettre. En combinaison avec la technologie de reconnaissance faciale, aujourd’hui largement déployée au Royaume-Uni et dans de nombreux autres pays, les systèmes d’armes autonomes, à usage militaire ou civil, creuseraient encore davantage le fossé entre le pouvoir de l’État et celui des citoyens. C’est vers cet avenir que nous semblons nous ruer, sans véritable débat démocratique.
Partout dans le monde, des systèmes d’armes autonomes sont en cours de développement, principalement à des fins militaires. L’Ukraine et la Russie sont engagées dans une course aux armements robotisés qui s’accélère à une vitesse effrayante. À Gaza, Israël a automatisé la sélection de ses cibles, avec des résultats terrifiants.
Comme l’ont expliqué des spécialistes en sécurité au magazine +972 en avril 2024, le programme israélien Lavender AI avait identifié environ 37 000 Palestiniens comme des « militants du Hamas » présumés, les sélectionnant comme cibles potentielles d’assassinats. Un autre programme, au nom sinistre de « Where’s Daddy ? » (Où est papa ?), les suivait jusqu’à leur domicile en vue de les frapper pendant la nuit, tuant souvent non seulement leur famille mais aussi de nombreuses autres personnes dans le même quartier. « Une fois que vous passez à l’automatisation, la génération de cibles s’emballe », a déclaré l’une de ces sources au journal. Presque tou.te.s les habitant.e.s de Gaza avaient reçu une note Lavender comprise entre 1 et 100. Dès que le système d’IA avait enregistré un certain score, le nom était ajouté à la liste des personnes à abattre. Il s’agissait alors de l’équivalent d’un ordre donné par un militaire, et cela même si les opérateurs savaient qu’au moins 10 % des cibles étaient identifiées à tort.
Quiconque imagine que de tels systèmes ne seraient jamais adoptés par des gouvernements pour être utilisés contre leurs citoyen.ne.s se berce d’illusions. La sélection autonome des cibles s’accompagnant de la livraison autonome de munitions, qui peuvent aller des gaz lacrymogènes aux balles en caoutchouc ou en alliage métallique, les gouvernements disposeront de nouveaux pouvoirs terrifiants pour contenir la dissidence. Les véritables robocops auront probablement des hélices à la place des jambes.
Comme le montre clairement la campagne Stop Killer Robots, ces machines nous déshumanisent : nous devenons une collection de paramètres de données analysés par un algorithme. Une fois qu’un système d’armes autonome a été programmé, les régimes oppressifs peuvent se décharger de toute responsabilité pour ce qu’il fait. L’IA renforce les préjugés et la discrimination : son mode de développement permet d’assurer que les personnes non-blanches et les autres minorités ciblées par la police seront sélectionnées de manière disproportionnée.
Une fois mis en place, ces systèmes seront très difficiles à démanteler. Lorsque l’on crée un marché, on crée un groupe d’intérêt qui fera tout pour conserver et accroître ses investissements. Les systèmes d’armes autonomes, à usage militaire ou civil, devraient être interdits par le droit international avant qu’ils ne se propagent davantage.
Les technologies de contrôle se développent tandis que les droits démocratiques reculent. Nous dérivons vers une répression politique extrême, poussée par les exigences du capital et des États étrangers, accélérée par l’automatisation. C’est pourquoi nous devons nous y opposer, maintenant, tant que nous le pouvons encore.