Comme des milliers de jeunes de leur génération, ils ont quitté leurs villages natals (Itzalzu et Sesma) pour s’installer à Iruñea, capitale de la Navarre et principal centre de son industrialisation tardive, qui s’est développée à partir des années 50. José de Carlos venait de la montagne, du pays de Salenques ; Julio Mayo venait du pays qui jouxte la Ribera navarraise, de Sesma, un village où poussaient uniquement la plante d’’alfa, les émigrants et, auparavant, les exilé.es. Tous deux ont commencé à travailler comme apprentis chez Imenasa, l’une des plus importantes usines métallurgiques (1 200 ouvriers), où ils sont entrés en contact avec la cellule d’ETA VI qui, par son activité dans et avec les CCOO , a fait de cette usine l’un des bastions les plus avancés et les plus dynamiques d’un mouvement ouvrier navarrais en plein essor.
Le premier noyau, avec « Kepa » (Iñaki Beorlegui) et « Arantza » (José Maria Solchaga) a grossi grâce à Felix Jimenez « Zugasti », Pedro Garbisu « Euskaldun », Felix Gomez Garralda « Jorge » ainsi que Julio et José. Ce n’est pas un hasard si c’est depuis cette usine, que nous appelions dans notre jargon clandestin « Santa María », comme un bateau pilote [nom d’un des trois bateaux de Christophe Colomb ndt], que les idées et propositions de la LCR-ETA VI ont, à travers les CCOO, irradié l’’ensemble du mouvement ouvrier navarrais tout au long de cette période de forte combativité que furent les années 1973-1980. Imenasa, qui avait déjà connu des grèves propres à l’usine depuis la grève générale de Navarre (en solidarité avec Motor Ibérica, en juin 1973), fut l’une des usines les plus actives dans la longue série de mobilisations qui eurent lieu tant à l’échelle provinciale qu’à l’échelle de tout le Pays basque (grèves en solidarité avec Indecasa, lors desquelles José de Carlos a été emprisonné ; en solidarité avec les mineurs de Potasas en janvier 1975 ; grève générale en Euskadi le 11 décembre 1974 ; grèves et manifestations contre les conseils de guerre d’août-septembre 1975 ; mobilisations générales pour l’amnistie en mars et mai 1977...).
Dans ce contexte de lutte quasi permanente et d’activité de sensibilisation et d’organisation des travailleurs, Imenasa a été la caisse de résonance de slogans tels que l’amnistie, l’autodétermination des nationalités, la dissolution des corps répressifs. Chatillo, au pied des machines dans l’usine, lors des réunions élargies des CCOO et de la LCR ETA VI ; Espartaco, en plus de l’usine, dans la lutte permanente dans la rue contre la répression. Julio Mayo lui prenait en charge l’organisation d’une « conférence provinciale » (c’est ainsi que nous appelions les assemblées internes clandestines) dans son village natal, et emmenait dans sa voiture, une 600 jaune, des militants sur le point d’être arrêtés (août 1975) pour les « enchopanar » (les cacher) dans sa maison familiale.
Si à l’usine il fabriquait des grues , il n’a pas rechigné à en escalader plus d’une, aux côtés des jeunes militants de la LCR ETA VI qui accrochaient à leurs flèches de grandes banderoles, tant lors de l’Aberri Eguna [« jour de la patrie » ndt] que lors des premiers mai ou lors des fréquents appels à la lutte de ces années-là. La restructuration et le démantèlement de l’usine ont séparé Espartaco et Chato, l’un partant pour Torfinasa, alors que l’autre était envoyé à Mapsa. Chato, qui a refusé le régime de faveur, en tant que membre du comité d’entreprise, de pouvoir être le dernier à quitter l’usine en cas de crise ou de remaniement chez Lieber (entreprise qui a remplacé et absorbé Imenasa), a été envoyé en punition à Mapsa, une usine qui était alors engagée dans un processus de reconversion sans issue.
Julio et José ont été affligés de maladies éprouvantes durant leurs dernières années. Les opérations et interventions chirurgicales qu’ils ont tous les deux subies n’ont pas pu empêcher leur déclin physique. Lorsqu’ils se sont éteints définitivement (José le 14 janvier 2024 et Julio le 10 juin 2025), ils nous ont organisé, sans le vouloir, d’autres « conférences provinciales » comme celles d’autrefois, avec la participation de nombreux et nombreuses camarades qui, maintenant, sans cagoules, sans textes à discuter ni tactiques à débattre, leur ont fait leurs adieux avec tristesse et une saine nostalgie de ces années de lutte intense et d’idéaux partagés.
Espartaco, Chato, Gogoan zaituztegu ! (votre souvenir est vivant)
Josu Txueka

Espartaco
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