Quel est le sens de la sortie de Nicolas Sarkozy qui a appelé, mercredi, Total « à faire preuve de plus grande retenue, s’agissant des investissements en Birmanie » , appelant à leur gel ?
Le groupe pétrolier français l’ignore (ou feint de l’ignorer), puisqu’il n’a pas investi un dollar, dit-il, depuis 1998. « Le Président dit ce qu’il veut, mais cela ne nous a pas déstabilisés plus que ça, raconte une source proche du pétrolier. Pour compenser le fait de forer dans les pays peu démocratiques, on investit pas mal dans le social et le développement durable. »
« Ethique ». Total, dans un communiqué, fait valoir cela autrement : « A ceux qui nous demandent de quitter le pays, nous répondons que, loin de résoudre les problèmes de la Birmanie un retrait forcé n’aurait pour effet que notre remplacement par d’autres opérateurs probablement moins respectueux de l’éthique qui sous-tend toutes nos actions. Notre départ constituerait alors un risque d’aggravation de la situation pour les populations. »
Une thèse que défend Total depuis son arrivée en Birmanie, en 1992, sur le champ gazier de Yadana, où elle a investi plus d’un milliard de dollars. Et qui divise les avocats des droits de l’homme. Ainsi, William Bourdon (1) défenseurs de Birmans accusant Total de pratiquer le travail forcé et qui ont obtenu plus de 5 millions de dollars (3,5 millions d’euros) de dommages et intérêts, assure que « la mise en quarantaine peut-être un remède pire que le mal » et qu’ « il n’y a pas d’exemple historique d’un régime tombé comme un fruit mûr » des suites d’un boycott.
D’autres ONG militent, au contraire, pour des sanctions renforcées. C’est le cas de la FIDH (2). Ou des Amis de la Terre, qui font campagne depuis 1994 contre le commerce du bois de teck. « Aung Saan Suu Kyi elle-même déclarait en 1996 que la firme française Total est devenue le plus fort soutien du système militaire birman », rappelle ainsi Gwenael Wasse, qui assure par ailleurs : « Total, qui réalise 0,6 % de sa production en Birmanie, a fait 12,5 milliards d’euros de bénéfice en 2006. En quoi le gel de leurs investissements en Birmanie, qui n’étaient d’ailleurs apparemment pas prévus, va-t-il les gêner ? »
Reste une question relative au « nouvel ordre mondial » prôné par Nicolas Sarkozy : serait-il à géométrie variable ? « Tout faire pour vendre des centrales nucléaires à la dictature libyenne d’un côté, et de l’autre, préconiser le gel d’investissement d’un pétrolier en Birmanie, n’est-ce pas un peu schizophrène ? » s’interroge un haut fonctionnaire du Quai d’Orsay.
« Showroom ». Un diplomate français pense que, finalement, tout cela est très contrôlé. « Annoncer un gel de ce qui était déjà gelé, ce n’est pas révolutionnaire. Cela permet de surfer sur l’idée d’un new deal des droits de l’homme à la française tout en défendant les intérêts économiques de la France, qui n’entend pas se faire remplacer en Birmanie - ou ailleurs - par la Chine… » Ou par l’Inde, qui vient de rafler 150 millions de dollars (106 millions d’euros) de contrats pétroliers.
Une realpolitik que ne démentira pas Bernard Kouchner, auteur en 2003 d’un rapport complaisant financé par Total (3) dans lequel il assurait notamment que le « programme socio-économique » en Birmanie était « la meilleure publicité pour Total », recommandant la création d’un « bureau, un showroom » à Rangoun.
(1) Par ailleurs coprésident de la Société des lecteurs de Libération.
(2) Voir l’interview de Libé sur ESSF : « Total collabore directement avec le régime »
(3) Disponible sur le site de Total