Je voudrais répondre ici à des questions qui ont été posée, concernant la campagne d’Attac france sur l’AGCS et sur l’analyse des enjeux dans les négociations de l’OMC.
A qui s’adresser ?
Il est inutile d’espérer se faire directement entendre par l’OMC car, même si l’on peut de loin en loin retarder les négociations, ce n’est pas un organisme démocratique. En tant que secrétariat qui applique les règles, elle se moque de l’opinion publique. Il est presque aussi inutile de s’adresser à la Commission européenne, qui n’est pas democratique non plus ; je n’élabore pas plus ce point. Il nous reste un seul niveau de démocracie : c’est l’Etat-nation, c’est-à-dire les pays membres de l’UE et de l’OMC.
L’AGCS existe, il est ratifié. Pour changer quelqe chose, il faut changer le mandat de Mandelson, ce qui ne peut etre fait que par le Conseil. La France à notre avis peut a terme être influencée par les opinions des élus, d’ou la campagne des « Zones Hors AGCS ». Encore une fois, ce n’est pas parfait mais personne ne nous a suggéré une meilleure méthode pour essayer de changer un traité ratifié : nous ne sommes pas dans le cadre de l’accord multilatéral sur l’investissement (AMI) négocié dans le cadre de l’OCDE, où rien n’était encore conclu. Le combat est aujourd’hui plus difficile. Nous ne sommes hélas pas au stade d’abattre l’OMC ni de la remplacer par autrechose, ce qui n’exclut pas, loin de la, d’y penser maintenant. Mais ce n’est pas la tâche immédiate pour Hongkong. Pour remplacer l’OMC, je commencerais personnellement par reprendre beaucoup des éléments de Keynes de l’International Clearing Union [1943] qui nous aurait évité à la fois la dette et bon nombre de difficultés du Sud au sein de l’OMC actuelle. Notre problème immédiat, c’est d’empêcher le Nord de triompher a la fois contre le Sud et contre nous, citoyens du Nord. Si le Sud s’unit, comme à Cancun, cela peut se faire. Ce serait un bon pas - trois échecs depuis Seattle, ça commencerait à faire mal et ouvrirait une brèche pour d’autres idées. Mais nous (Attac) n’avons pas besoin de produire toutes ces idées dans les dix jours, et arriver a un consensus autour avec tous ceux qui doivent être dans le coup.
Sur les 15 sujets de négociation dans l’OMC, ceux qui seront réellement négociés à Hongkong concerne l’agriculture, les « NAMA » et les services (en notant aussi, très loin derrière,les questions de développment et le « Trips »).
Maintenant voici les positions qui me paraissent raisonnables et que j’énonce dans les très nombreuses conférences que je fais a ce sujet, le plus souvent organisées par les comités locaux d’Attac. Il y a d’autres part 10 propositions entre les pages 93-98 du livre Attac chez 1001 Nuits : « Remettre l’OMC à sa Place », qui me semblent aussi valables que quand je les ai initialement formulées.
Sur l’Agriculture.
Comme nous n’avons pas de campagne propre d’Attac à ce sujet, nous avons toujours épousé en gros les positions de la Confédération paysanne (et de Via Campesina). Je ne sais pas si elle a pris position spécifiquement, en vue de Hongkong, sur les dernières déclarations de Mandelson. Nous serons, à Hongkong, en gros sur les mêmes positions que Via Campesina dont la Conf’ est membre [85 membres nationaux en tout]. Comme eux, nous n’avons pas soutenu à Cancun l’intégralité de la position du G-20 [Brésil, Inde, Chine, Argentine....] dont le souci est d’exporter le maximum, car ce n’est pas notre rôle d’aider les transnationales de l’agribusiness [Cargill, Bunge, Archer-Daniels etc] ; les mêmes qui exportent dans le monde entier. Nous n’avons pas à défendre non plus l’agriculture latifundista ou les grosses exploitations même quand il s’agit, géographiquement, du « Sud ». Notre position est beaucoup plus proche du G-33 [pays en développement] ou du G-10 [pays développés comme la Suisse, la Norvège, le Japon] dont la préoccupation essentielle concerne les importations et la protection de leurs paysanneries contre le dumping ou la concurrence de l’agriculture fortement subventionnée.
Le dossier agricole à l’OMC est d’une complexité byazantine, mais voici l’essentielle :
Il y a trois « piliers » qui sont les subventions à l’exportation, les soutiens internes et l’accès aux marchés. Pour les deux premiers, les soutiens accordés par les pays riches [essentiellement USA, EU, Japon] sont divisés en « boites » de couleur orange, bleue et verte. Les soutiens dans la boite orange sont ceux qui faussent le plus le commerce [« distort »] et doivent être éliminés. Le bleus sont considérés comme transitoire ; les verts ne faussent pas en principe le commerce. Dans la pratique, les pays passent leur temps à bouger leurs subventions d’une boite à l’autre pour ruser avec les engagements pris.
Nous sommes pour l’élimination des subventions à l’exportation, qui sont d’ailleurs une assez faible partie des soutiens. Comme dit la Coordination SUD, les éliminer ne coûterait pas grand chose et aurait un effet psychologique considérable. En ce qui concerne les soutiens internes [subventions], il est connu que le Prince Albert de Monaco et les usines sucrières touchent des sommes énormes de la PAC, ou environ 80% des subventions vont a 20% des cultivateurs. Attac n’est pas en faveur d’un tel système, ça va de soi ; nous ne sommes pas sur les mêmes bases que la FNSEA, mais nous n’avons pas non plus une campagne au sujet de la PAC. La Conf’ est membre fondateur d’Attac et doit nous faire savoir quand elle a besoin de nous. Il vaudrait bien mieux prendre des mesures pour sauvegarder la petite paysannerie en France qui n’est pas « archaique » du tout et qui continue a disparaitre à un rhythme accélérée.
Si toutefois la France devait refuser d’aller plus loin que la réforme de la PAC 2003 et acceptait de « casser » les négociations àa Hongkong sur cette base, j’avoue que, personnellement, j’applaudirais n’importe quoi qui les fasse capoter. Mais ce n’est pas là une « position » d’Attac.
Attac doit aller au-dela du concept de la « sécurite alimentaire » élaboré par la FAO [chaque citoyen d’un pays donne doit avoir accèes à une nourriture suffisante en qualité et en quantité, en respectant les traditions locales, etc.] qui est très bien mais insuffisant, car il ne se préoccupe pas de savoir qui produit, à quel prix, pour une distribution par qui, en utilisant quelles semences, etc., etc. Nous préférons le concept de Via Campesina de souveraineté alimentaire qui veut que le pays garde la maitrise de son système alimentaire, de la semence jusqu’au consommateur final.
NAMA : Accès aux marches non-agricoles, y compris les produits miniers, de la pêche et des forêts.
Ici, Attac doit être sur les positions des amis du Sud [Focus on the Global South, Third World Network, etc.] Les formules « suisses » proposées par les pays développés sont inacceptables : il s’agit de couper tous les tariffs douaniers par un pourcentagle x et plus le tariff est élevé, plus le pourcentage de réduction doit l’être aussi. L’Europe est particulieerement aggressive dans ce domaine. Il y a plusieurs raisons de se ranger aux positions du Sud :
– Les PeD, surtout les moins développés, recoivent une part importante de leurs revenus nationaux des taxes sur les produits à l’importation - en moyenne 40% en Afrique et 50% pour les économies des iles. Ce sont ces revenus qui contribuent aux budgets santé, éducation, etc. Les éliminer, c’est plonger ces pays encore plus profondement dans la misère.
– Tous les pays développés sans exception ont protégé leurs jeunes industries par des barrières tariffaires. On veut interdire aux Sud d’en faire autant. Des industries feront faillite, avec des conséquences évidentes pour l’emploi, le niveau technologique, la possibilité de diversification, etc.
– Cest une perte de souplesse garantie, car si un pays accepte de reduire ses barrières sur telle ou telle ligne du Standard Industry Classification, il ne pourrait plus les remonter si l’expérience n’est pas probante.
En plus le Nord demande l’élimination totale des tariffs [qu’il n’obtiendra pas, mais c’est pour l’argument] dans les secteurs des produits de la pêche et minier, les textiles-vêtements, le cuir, l’électronique et les pièces détachées de véhicules - justement les secteurs où les pays du Sud pourraient réussir.
Bref, Attac doit s’aligner sur les membres-Sud de nos partenaires dans l’OWINFS-Our World is Not For Sale (le réseau « Notre monde n’est pas à vendre »)..
AGCS
Sur ce dossier, je crois que tout le monde sait à peu près ce que nous voulons : que l’éducation, la santé & les services sociaux, la culture, l’eau soit définitivement retirés de l’AGCS ; que tous les pays aient le droit de déclarer quels services sur leur territoire sont des services publics et de ce fait non-négociables ; qu’il y ait un moratoire sur ces négociations en attendant qu’un vaste debat public ait pu avoir lieu.
La nouvelle formule de Mandelson, le benchmarking, est a combattre avec la dernière énergie : il veux pour les pays développés imposer des engagements dans 139 des 163 sous-secteurs des services, soit 85% et 93% pour les PeD. Avec une telle formule, il est impossible de laisser intacts les services publics.
Sur le Mode 4
Mandelson lâche du lest sur ce poste, sachant que le mouvement des personnes naturelles ou physiques intéresse au plus haut point des pays comme l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, les Philippines. Sa demande enlèverait aussi la limite de 49% appliquée par beaucoup de pays aux investissements. Le ministère francais estime pour sa part que les propositions de Mandelson ne représentent pas une « rupture » avec les modalités de négociation mises en œuvre jusqu’ici [méthode dite des demandes et offres] et que le Mode 4 ne porterait que sur des nombres très réduits de travailleurs. Je ne vois pas de raison de lui faire confiance sur ces points.
Impact
Je voudrais signaler en conclusion que nos campagnes ont déjé eu un impact, même s’il s’agit de victoires « en creux ». A partir de 1998, des gens haut placés dans les services de la Commission [sous Leon Brittan ou Lamy] parlait fréquemment de la liberalisation de l’éducation et de la santé. Lamy a compris qu’il ne pouvait les mettre en jeu sous l’AGCS sans provoquer un tollé et il a pris la peine d’annoncer que ces secteurs ne figureraient pas ni dans les demandes ni dans les offres de l’UE. Nous l’avons également obligé,, avec le concours des parlementaires europeens, à divulguer ces demandes-offres. Je garde précieusement le mail de son Directeur de cabinet, Pierre Defraigne, me disant que ces demandes-offres « doivent être et resteront secrètes ». Ce n’est peut-être pas grand’chose, mais sans la campagne nous n’en serions même pas là.