Au troisième jour de la répression, par les autorités birmanes, des mouvements de protestation qui mobilisent le pays depuis deux semaines, les Etats-Unis ont adopté, vendredi 28 septembre, de nouvelles sanctions contre la junte militaire. Près d’une quarantaine de responsables de cette junte et leurs familles ont été déclarés « inéligibles à l’obtention de visas pour voyager aux Etats-Unis » par le département d’Etat. Le président George Bush, par la voix de sa femme, Laura, a également invité « tous les pays, en particulier ceux qui sont les plus proches de la Birmanie et qui ont le plus d’influence sur le régime, à soutenir les aspirations des Birmans et à se joindre à la condamnation du recours à la violence par la junte ».
Cet appel indirect à la Chine a coïncidé avec les entretiens téléphoniques qu’ont eus le nouveau premier ministre japonais, Yasuo Fukuda, et son homologue chinois, Wen Jiabao, à propos de la Birmanie. La Chine est le principal allié et soutien de la junte, tandis que le Japon est le premier fournisseur d’aide. Pour l’instant, ces deux pays n’envisagent pas de remettre en cause leurs engagements.
En dépit de la mort d’un journaliste japonais à Rangoun, tué jeudi à bout portant par balle, Tokyo, fidèle à sa politique « d’engagement constructif », exclut pour l’instant de suspendre son aide, essentiellement humanitaire (1,7 milliard de yens en 2006), mais envisage de retirer son ambassadeur. Les deux pays entretiennent des « relations spéciales », fait-on valoir à Tokyo en raison de leur passé.
Le Japon forma en effet l’élite indépendantiste. Ce fut le cas de Ne Win, l’homme fort du régime socialiste (1962-1988), ou du père d’Aung San Suu Kyi. De l’indépendance à la fin des années 1980, le Japon fut le plus généreux fournisseur d’aide à une Birmanie qui avait adopté une position neutre entre les superpuissances américaine et soviétique. Par la suite, il fut l’un des premiers grands pays à reconnaître la junte, mais il a peu à peu limité son aide à l’assistance humanitaire. Le Japon avait voté en 2006 une résolution du Conseil de sécurité dénonçant la junte, rejetée par la Chine.
La Birmanie est ensuite devenue l’un des terrains de rivalité entre Pékin et Tokyo en Asie du Sud-Est. La position japonaise a commencé à décliner avec la fin de la guerre froide. « L’Ouest n’a plus eu besoin de soutenir des dictatures face à la menace communiste et la question des droits de l’homme est devenue une condition de l’aide au développement. La Birmanie fut l’un des premiers cas d’application de la nouvelle Charte de l’assistance japonaise (1992) », explique Toshihiro Kudo, spécialiste de la Birmanie à l’Institut des économies en développement.
La Chine a tiré parti du profil bas adopté par le Japon pour devenir le principal allié de Rangoun. Tout en maintenant une aide substantielle, Tokyo a louvoyé entre attitude conciliante et fermeté, tandis que la coopération chinoise a mis Rangoun à l’abri de l’effet de sanctions internationales. Selon M. Kudo, si le Japon se résout à des sanctions, il perdra tout levier de négociation avec la junte.
Les monastères bouddhistes cibles des militaires
Le black-out imposé par la junte birmane sur les communications avec l’étranger se faisait fortement sentir, samedi 29 septembre, jour de l’arrivée prévue à Rangoun de l’émissaire des Nations unies, Ibrahim Gambari, qui a espéré que sa visite serait « fructueuse ». Les sources privées qui ont abreuvé les médias extérieurs en informations et en photographies sur la répression, ces derniers jours, sont pour une grande part devenues silencieuses après la fermeture, la veille, de la principale connexion d’accès Internet de la Birmanie par les militaires.
Sans fournir de détail, le quotidien anglophone The Nation, de Bangkok, a affirmé, samedi, que l’armée birmane avait pénétré vendredi à l’intérieur de plusieurs monastères bouddhistes de Rangoun, une action grave en termes religieux. Le journal a précisé que les abords immédiats de temples et monastères à Rangoun et à Mandalay, la deuxième ville du pays, avaient été déclarés « zones interdites » et entourés de chevaux de Frise et de barbelés.
Selon l’organisation américaine US Campaign for Burma, la répression des manifestations, jeudi et vendredi, aurait fait jusqu’à 200 morts et quelque 700 personnes auraient été arrêtées.
Le bilan officiel n’est que de 9 morts. Mais le premier ministre britannique, Gordon Brown, a repris à son compte la crainte que le nombre de victimes soit « bien plus élevé ». - (Corresp.)
Birmanie : les pressions internationales restent sans effet sur le régime
LEMONDE.FR avec Reuters et AFP | 28.09.07 | 20h04 • Mis à jour le 29.09.07 | 08h14
Les pressions internationales sur la Birmanie se sont poursuivies, vendredi 28 septembre, sans toutefois parvenir à faire fléchir le régime militaire. Dans la journée, la junte militaire a eu de nouveau recours à la force contre plusieurs milliers de personnes qui manifestaient dans le centre de Rangoun.
L’ONU a d’ores et déjà annoncé la tenue d’une session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur la situation en Birmanie, mardi, à Genève. De leur côté, les dirigeants internationaux ont également appelé à la discussion, critiquant la répression des manifestants.
Le premier ministre britannique, Gordon Brown, a condamné dans un communiqué, vendredi, « les violences employées contre les manifestants birmans désarmés qui exercent avec un grand courage leur droit à protester de manière pacifique ». Il a souhaité que « de nouvelles sanctions de l’UE soient appliquées le plus vite possible ». M. Brown a également estimé que le nombre de victimes de la répression en Birmanie était « bien plus important » que le bilan officiel. Neuf personnes, dont un photographe japonais, ont trouvé la mort jeudi, et au moins quatre moines ont été tués par les forces de l’ordre mercredi.
« UNE AFFAIRE INTERNE », SELON MOSCOU
La Maison Blanche a également pressé la junte birmane de permettre à l’émissaire spécial de l’ONU, Ibrahim Gambari, de rencontrer qui il voudra en Birmanie, y compris la figure de l’opposition Aung San Suu Kyi.
Paris appelle « tous les pays qui peuvent avoir une influence sur le comportement des autorités de Birmanie à utiliser leurs contacts et leurs canaux de communication afin que la retenue soit exercée », a déclaré le porte-parole adjoint des affaires étrangères, Frédéric Desagneaux.
Des propos qui visent à mots couverts la Russie et la Chine. La diplomatie russe campe sur ses positions, estimant les sanctions « prématurées ». Moscou avait déjà déclaré, mercredi, que les manifestations birmanes étaient une « affaire interne » qui ne menaçait pas la « sécurité régionale et internationale ».
La Chine, accusée en Europe et aux Etats-Unis de ne pas faire pression sur le régime, s’est contentée d’appeler, jeudi, la junte militaire et les manifestants à faire preuve de « modération ».