La mort, le 28 août 2025, d’Affan Kurniawan, un conducteur de mototaxi âgé de 21 ans, renversé par un véhicule blindé de la police lors d’une manifestation organisée par des syndicats, a déclenché une vague de manifestations violentes. Au 3 septembre, l’ONG internationale Human Rights Watch dénombrait 10 morts, 20 disparus, plus de 1 000 hospitalisés et plus de 3 000 personnes arrêtées.
Ces événements avaient commencé par une manifestation d’étudiants devant le DPR (parlement) le 25 août avec pour slogan « Indonesia Gelap, Revolusi Dimulai, » « l’Indonésie est sombre, nous commençons la révolution. » Parmi les revendications figuraient notamment la démission du président Prabowo et de son vice-président Gibran – fils aîné du précédent président Joko Widodo, dit Jokowi – la dissolution du gouvernement et du parlement mais également le montant des salaires et indemnités des parlementaires.

Manifestation rue Malioboro à Yogyakarta le 1er septembre 2025. Source : Wikipedia, DR.
Les étudiants à l’avant-garde de la contestation
Le temps passant, le nombre de manifestants augmentait. La situation était devenue chaotique en milieu de journée, des étudiants voulant forcer les barrages des policiers et ces derniers répondant par des tirs de lacrymogènes et de canon à eau. Les manifestants avaient alors répliqué par des jets de bouteilles, de morceaux de bois, de pierres. La police avait donc interdit aux étudiants de participer à la manifestation syndicale, dont les revendications, outre l’emploi, incluaient également la lutte contre la corruption et la refonte du système électoral.
Le 28 août, la manifestation syndicale s’était terminée vers 13 heures. La police avait interdit aux étudiants de participer à cette manifestation, mais des centaines d’entre eux avaient commencé à se rassembler à leur tour devant le DPR. La situation s’était tendue quand ils ont tenté de franchir les grilles du parlement. La police avait alors répliqué par des lacrymogènes et un canon à eau. Le soir, un véhicule blindé Komodo de la Brimob (Brigade Mobil, l’unité de la police chargée du maintien de l’ordre) pesant 4,8 tonnes avait renversé un homme, s’était arrêté et avait redémarré pour rouler sur l’homme et s’enfuir. L’homme avait été emmené à l’hôpital mais n’avait pu être sauvé. Des manifestants furieux s’étaient alors dirigés vers le quartier général de la Brimob.
La victime, Affan Kurniawan, ne manifestait pas mais passait par là pour son travail. Le lendemain 29 août, des conducteurs de mototaxis s’en étaient pris au quartier général de la Brimob. De leur côté, des étudiants s’étaient rendus au siège de la police nationale. Les manifestants exigeaient qu’on juge ceux qui avaient renversé Affan et dénonçaient les brutalités policières . Des manifestations avaient également lieu dans d’autres villes d’Indonésie, où la foule avait mis le feu aux parlements régionaux et attaqué les sièges de la police régionale. A Makassar dans le sud de l’île de Célèbes, trois personnes étaient mortes dans l’incendie du parlement régional. Pour calmer les manifestants, la police avait alors annoncé que les sept policiers qui étaient à bord du véhicule qui avait renversé et tué Affan avaient été convaincus de violation du code éthique de la police.
Le samedi 30 août, on apprenait que plusieurs parlementaires étaient partis à l’étranger. Des individus s’en étaient alors pris aux domiciles de trois d’entre eux ainsi qu’à celui de la ministre des Finances Sri Mulyani Indrawati, et les avaient pillés. Il s’agissait des principales personnalités dont les propos avaient mis l’opinion en colère. Le dimanche 31 à Yogyakarta dans le centre de Java, un étudiant était mort durant une manifestation.
Prabowo entre concessions et crispation sécuritaire
Les raisons de la colère ne se limitent évidemment pas à la question du salaire et des avantages des parlementaires. Des premières manifestations d’étudiants contre les politiques du président Prabowo, investi en octobre 2024, s’étaient tenues en février 2025. Le mouvement avait pris le nom d’« Indonesia Gelap, » « l’Indonésie est sombre. » Les étudiants dénonçaient entre autres les coupes budgétaires affectant notamment l’éducation et la santé ainsi que des politiques jugées répressives. Prabowo avait accusé les manifestants d’être payés, ce qui avait fait dire aux représentants des étudiants de l’université d’Etat de Jakarta que le président était insensible aux aspirations de la population.
En effet, depuis le début de 2025, diverses mesures, parfois légitimes, souvent injustes, ont choqué l’opinion indonésienne. En particulier en août, on annonçait que les taxes foncières, qui relèvent des kabupaten (départements) et non du gouvernement central, seraient augmentées, déclenchant un mouvement de protestation à Pati dans la province de Java central puis dans d’autres kabupaten.
Mais ce qui a déclenché le mouvement, c’est le spectacle, le 15 août, de parlementaires dansant dans l’enceinte du parlement dans la situation économique actuelle, alors qu’ils venaient de se voir accorder une allocation logement de 50 millions de rupiah (2 600 euros).
Le 31 août, lors d’une conférence de presse au palais présidentiel, Prabowo annonce que les directions des partis représentés au DPR annuleront plusieurs politiques, y compris le montant des indemnités et les voyages à l’étranger des parlementaires.
Néanmoins, il qualifie les violences de « trahison et terrorisme » et annonce avoir donné des instructions à la police et à l’armée d’agir contre. Dès le lendemain de cette conférence de presse, des soldats sont déployés à Jakarta. En réaction, 344 professeurs d’université pressent Prabowo de ne pas recourir à la loi martiale (darurat militer). Au même moment, le ministre de la Défense Sjafrie Sjamsoeddin, un ancien commandant de la région militaire de Jakarta et proche de Prabowo, annonce que l’armée s’efforcera d’assurer la sécurité et l’ordre. Toutefois le général Tandyo Budi Revita, chef d’état-major adjoint des armées assure qu’il n’y a pas de scénario prévoyant la loi martiale.
La liste des 17 + 8
Le 1er septembre, trois influenceurs ont établi une compilation des demandes exprimées par diverses organisations. Le résultat en est une liste baptisée « 17 + 8 Tuntutan Rakyat », « 17 + 8 demandes du peuple ». La formule « 17 + 8 » est symbolique : le 17 août est en effet la date anniversaire de la proclamation de l’indépendance de l’Indonésie. Les 17 premières demandes s’adressaient au président Prabowo, au parlement, aux directions des partis, à la police, à l’armée, et aux ministères liés à l’économie. Elles avaient comme échéance le 5 septembre 2025, alors que les 8 autres demandes ont une échéance à un an.
Le 4 septembre, la présidente du DPR Puan Maharani – fille de l’ancienne présidente de la république Megawati Sukarnoputri – convoque une réunion des partis représentés au DPR à l’issue de laquelle ces derniers acceptent la suppression de l’indemnité logement et les voyages à l’étranger des parlementaires, ce qui ne répond qu’à une des revendications d’une longue liste.
Le 7 septembre, en réponse aux demandes les concernant, à savoir le retour dans les casernes, la non-implication dans des questions de sécurité relevant de la police et l’engagement à ne pas pénétrer dans les espaces civils pendant ce qu’elles qualifient de « crise démocratique, » les forces armées déclarent qu’elles respecteront la suprématie du civil.
L’héritage de Joko Widodo
Cette crise a en réalité commencé dans les derniers mois du deuxième et dernier mandat du président Joko Widodo, dit « Jokowi », pendant lesquels on constatait un retour vers l’autoritarisme. En août 2024, des manifestations contre Jokowi avaient éclaté. Durant la campagne présidentielle de février 2024, le candidat Prabowo avait annoncé qu’il poursuivrait la politique de Jokowi.
La société civile indonésienne a fini par réagir. Mais le 8 septembre, Prabowo a annoncé le remplacement de cinq ministres, dont la ministre des Finances Sri Mulyani Indrawati, à laquelle succède Purbaya Yudhi Sadewa. Ce dernier est proche de Luhut Binsar Pandjaitan, ministre coordinateur des Affaires maritimes et de l’investissement sous le président Joko Widodo, dit « Jokowi ». Il est favorable à l’investissement chinois, notamment dans l’industrie du nickel.
Il est trop tôt pour dire quelle sera la réaction de la société civile à cette nomination et à celles qui suivront. Il est également trop tôt pour dire quelles mesures prendra Prabowo pour répondre aux revendications et l’effet qu’elles auront. Une réponse répressive créerait une situation semblable à celle de mai 1998, quand les émeutes qui avaient suivi la mort de quatre étudiants avaient mené à la démission de Soeharto.
Anda Djoehana Wiradikarta
Europe Solidaire Sans Frontières


Twitter
Facebook