Les BRICS+ [1] sont une coalition hétéroclite rassemblant 10 pays (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud auxquels se sont ajoutés en 2024 l’Égypte, les Émirats Arabes Unis, l’Éthiopie, l’Indonésie et l’Iran) dont certains sont directement alliés aux États-Unis.
Alors que les 10 pays membres des BRICS+ représentent la moitié de la population mondiale, 40% des ressources fossiles d’énergie, 30% du produit intérieur mondial et 50% de la croissance, ils ne proposent pas de mettre en œuvre un modèle de développement différent.
Les dirigeants des BRICS soutiennent le mode de production capitaliste qui nous a mené·es au désastre écologique actuel. Les BRICS sont favorables au maintien de l’architecture financière internationale (avec le FMI et la Banque mondiale en son centre) et commerciale internationale (OMC [2], traités de libre-échange…) telle qu’elle existe.
Que proposent les BRICS au niveau du système financier international ?
« Alors que les 10 pays membres des BRICS+ représentent la moitié de la population mondiale, 40% des ressources fossiles d’énergie, 30% du produit intérieur mondial et 50% de la croissance, ils ne proposent pas de mettre en œuvre un modèle de développement différent »
Les BRICS+ considèrent que le FMI [3] doit rester au centre du système financier international.
Dans la déclaration finale du sommet que les BRICS+ ont tenu à Rio de Janeiro (Brésil) début juillet 2025, ils écrivent au point 11 :
« Le FMI doit rester doté de ressources suffisantes et mobilisables rapidement, au cœur du Réseau de sécurité financière mondiale (RSFM), afin de soutenir efficacement ses membres, en particulier les pays les plus vulnérables. » [4]
Ils apportent aussi leur soutien à la Banque mondiale [5]. Ils affirment au point 12 de leur déclaration qu’ils veulent augmenter la légitimité de cette institution. Or, depuis leur fondation, la Banque mondiale et le FMI mènent une politique contraire aux intérêts des peuples et des équilibres écologiques.
Les BRICS se contentent de demander une meilleure représentation des pays dits en développement au sein du FMI et de la Banque mondiale. C’est tout. Comme l’ont démontré de nombreux auteurs et le CADTM [6], la Banque mondiale, tout comme le FMI imposent une sous-représentation antidémocratique des pays dits en développement et un mode de gouvernement favorables aux intérêts des grandes puissances économiques et des grandes entreprises privées.
Dans la déclaration finale, les BRICS n’expriment aucune critique à l’égard des politiques néolibérales que les deux institutions de Bretton Woods [7] s’activent à faire appliquer. À aucun moment ils ne remettent en cause les dettes que ces institutions réclament aux pays endettés.
Cette position des BRICS en faveur du FMI et de la BM va à l’encontre des intérêts des peuples et des positions des mouvements sociaux et/ou altermondialistes [8] (voir plus loin dans la série Q/R sur les BRICS, la partie sur le soutien des BRICS au sauvetage par le FMI du gouvernement d’extrême droite de Milei [9] en Argentine).
Quelle est la position des BRICS+ à l’égard de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ?
« Les BRICS+ n’émettent aucune critique à l’égard des politiques néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale aux pays qui font appel à leurs crédits »
Les BRICS sont devenus les principaux avocats de l’OMC qui est paralysée suite à l’action du président Trump au cours de son premier mandat. Dès 2017, l’administration Trump a refusé de nommer de nouveaux juges pour faire partie de l’organe d’appel (Appellate Body) de l’OMC. Cette sorte de « cour suprême » du commerce international tranche les litiges entre États une fois qu’un premier panel a statué. Comme cet organe est bloqué depuis 2017, l’OMC est mise hors d’état de fonctionner.
Au point 13 de la déclaration de Rio de juillet 2025, les BRICS+ affirment leur soutien aux règles de l’OMC et déclarent que l’OMC doit être au cœur du système commercial mondial. Les BRICS+ affirment :
« Nous soulignons que l’OMC, qui célèbre son 30e anniversaire, reste la seule institution multilatérale dotée du mandat, de l’expertise, de la portée universelle et de la capacité nécessaires pour mener des discussions sur les multiples dimensions du commerce international, y compris la négociation de nouvelles règles commerciales. » [10]
Rappelons que les mouvements sociaux, la Via Campesina [11] et le mouvement altermondialiste (le mouvement contre la globalisation capitaliste néolibérale) ont systématiquement critiqué et dénoncé l’OMC pour son rôle néfaste car son action va à l’encontre des intérêts des travailleur·euses, des paysan·nes, des économies locales et de la Nature (voir encadré sur l’OMC).
Encadré : Pourquoi l’action de l’OMC est-elle négative ? Pourquoi faut-il s’y opposer ?
L’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui compte 166 pays membres est entrée en activité en 1995 et cherche à mettre fin à toutes les barrières que les États pourraient mettre en place pour protéger leurs producteur·ices locaux·ales.
Or, contrairement à ce que veut l’OMC, les barrières douanières devraient servir par exemple à protéger les petites exploitations paysannes, les petites et moyennes entreprises ou/et les entreprises publiques, qui pour différentes raisons ne sont pas en mesure de répondre à la compétition que représentent les produits exportés par les économies plus avancées technologiquement. Les protections douanières peuvent aussi servir à protéger les entreprises locales de la concurrence que constitue l’importation de produits exportés par les économies où les salaires sont plus bas à cause d’une surexploitation du Travail. Il peut s’agir aussi de protéger les économies dites en développement de l’invasion de marchandises provenant des pays qui subventionnent leurs productions nationales, notamment celles destinées à l’exportation. On sait que les grandes puissances économiques comme celle d’Amérique du Nord ou d’Europe occidentale n’hésitent pas à subventionner largement leurs grandes entreprises en contournant les règles de l’OMC alors qu’elles ont contribué à les établir.
À travers l’accord général sur le commerce des services [12], l’OMC favorise fortement la privatisation des services publics (eau, santé, éducation, transports, etc.), ce qui augmente la domination des multinationales et la marginalisation des petites structures locales. L’OMC joue aussi un rôle clé dans la défense des droits de propriété intellectuelle à travers l’Accord sur les ADPIC [13] (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce / TRIPS en anglais) y compris dans des domaines sensibles comme les médicaments, les semences, ou les technologies. On a vu dans le cas des vaccins anti-Covid, que l’OMC, sous la pression des grandes puissances et des multinationales pharmaceutiques, a refusé de suspendre ces règles, ce qui a freiné l’accès des pays pauvres aux vaccins. Concernant les variétés végétales, l’OMC a été l’instrument catalyseur qui a permis d’imposer un standard strict de droits de propriété intellectuelle et privatisation du vivant dans le domaine agricole à l’échelle mondiale, au détriment des droits des petits paysan·nes et de la souveraineté semencière [14] des pays. L’OMC collabore avec le FMI et la BM et les trois institutions agissent comme un trio qui promeut des politiques favorables aux multinationales et impose une orientation des économies du Sud vers plus d’intégration dans le marché mondial et par conséquent l’accentuation de leur dépendance économique, financière et alimentaire.
Si on se place du point de vue de l’intérêt des peuples, il faut que les pays (ou les groupes de pays) mènent des politiques contre les règles de l’OMC afin de renforcer leur production locale pour satisfaire les besoins du marché intérieur. Il s’agit ainsi de répondre aux besoins de leur population, notamment en subventionnant les producteur·ices locaux·ales. Contre les règles de l’OMC, il faut que les pays puissent protéger leurs services publics, leurs entreprises publiques contre la concurrence étrangère. Dans le passé toutes les économies qui ont réussi une diversification industrielle et une souveraineté alimentaire l’ont fait en protégeant leur marché intérieur de la concurrence.
Rappelons que la Grande-Bretagne n’est devenue libre-échangiste que dans la seconde moitié du 19e siècle que lorsqu’elle a atteint un niveau suffisant d’avancée technologique pour résister à la concurrence. Avant cela, la Grande-Bretagne a été très protectionniste et a protégé systématiquement son industrie locale (voir les travaux de Paul Bairoch [15] et de nombreux autres auteurs). Il en a été de même pour les États-Unis qui ne sont devenus timidement libre-échangistes que dans l’après seconde guerre mondiale lorsque leurs industries ont atteint une importante avancée technologique. De même pour la Corée du Sud dans les années 1960-1970 (lire : Éric Toussaint, « La Corée du Sud et le miracle démasqué » [16], https://www.cadtm.org/La-Coree-du-S...). Même chose pour le Japon du 19e siècle à la seconde moitié du 20e siècle. De même que la Chine qui a fortement protégé son marché et soutenu ses industries jusqu’à conquérir un avantage de compétitivité qui l’amène aujourd’hui à devenir une grande avocate du libre-échange.
Si Trump est aussi protectionniste et aussi agressif en matière de droits de douane, c’est que l’économie des États-Unis a perdu énormément en compétitivité et que sur le marché mondial et sur le marché intérieur les industries locales ne sont plus en mesure de répondre à la concurrence des produits chinois et d’autres pays. Cette évolution provoque la paralysie de l’OMC notamment parce que Trump lors de son premier mandat (suivi par Biden [17]) n’a pas désigné de juges des États-Unis pour compléter le tribunal de l’OMC, ce qui bloque son fonctionnement.
Croire à gauche qu’au nom du multilatéralisme, il serait bon de relancer l’OMC est une erreur. Il ne faut pas accepter l’orientation pro-OMC des BRICS+. Cette orientation des BRICS+, en particulier soutenue par la Chine, le Brésil, les Émirats Arabes Unis, coïncide également à la volonté de multiplier des traités de libre commerce qui vont à l’encontre des producteur·ices locaux·ales et favorisent les intérêts des grandes entreprises transnationales (principalement du Nord mais aussi certaines du Sud). La Chine multiplie les signatures de Traités de libre commerce, le Brésil veut aboutir à la ratification du traité de libre commerce MERCOSUR [18]-Union européenne alors que les mouvements sociaux en Europe et dans le MERCOSUR s’y opposent.
À l’opposé des traités de libre commerce, il faut promouvoir des accords entre groupes de pays qui cherchent ensemble comment mettre en pratique des politiques économiques, sociales et culturelles qui favorisent la satisfaction des droits humains dans le respect de la Nature avec comme priorité la justice sociale et environnementale. Ces accords doivent inclure le commerce dans un ensemble plus large basé sur les principes de solidarité et de complémentarité. Augmenter le commerce n’est pas un but en soi, loin de là. Promouvoir des échanges non commerciaux doit devenir une priorité : échange de savoirs, transfert gratuit de technologie et de savoir-faire, réparations, restitution de biens mal acquis…
Il faut que les pays puissent protéger l’environnement, la biodiversité en imposant des règles strictes pour stopper la surexploitation des ressources naturelles et le saccage du milieu naturel.
Soulignons que l’OMC a refusé en 2022 de soutenir la proposition soutenue par plus d’une centaine de pays du Sud de lever l’application des brevets sur les vaccins. Il s’agissait de permettre leur fabrication à grande échelle pour protéger les populations victimes de la pandémie.
Dans la déclaration finale de Rio des BRICS+ qui est longue d’une quarantaine de pages et contient 126 points, nulle part, il n’est demandé de suspendre l’application des brevets pour la production de vaccins. Or ces brevets favorisent les intérêts particuliers des grandes entreprises privées pharmaceutiques dont la principale motivation est la recherche des profits maximums.
Pour comprendre cette position des BRICS+, il faut avoir en tête que la Chine a pris l’avantage sur les États-Unis et sur l’Europe en termes de production et de commerce tant au niveau des coûts que de la productivité et des avantages technologiques dans un nombre important de secteurs. La Chine est devenue une fervente avocate du libre-échange, des traités de libre commerce, des règles de l’OMC, de la libre concurrence tandis que les États-Unis, l’UE, la GB, le Canada, sont devenus de plus en plus protectionnistes [19]. Les autres BRICS suivent la Chine.
Au nom du respect des règles de l’OMC, les BRICS+ dénoncent les mesures protectionnistes, les sanctions commerciales prises par les États-Unis et par les puissances européennes. Bien sûr, la Russie et l’Iran qui sont directement visés par des sanctions sont très favorables au discours libre-échangiste, anti-protectionniste et anti-sanctions (voir notamment le point 14 de la déclaration finale).
« Les BRICS sont devenus les principaux avocats de l’OMC qui est paralysée depuis le premier mandat de Trump »
En plus, les gouvernements d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale, qui sont entrés en guerre commerciale avec la Chine, ont abandonné le discours et les actions en faveur de la globalisation qu’ils avaient présentée comme une voie royale vers la prospérité pendant la période qui va des années 1990 au milieu des années 2010. À cette période, de 1997 à 2013, la Russie avait été invitée par le G7 [20] (États-Unis, Canada, Japon, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie) à ses réunions. Du coup, le G7 a été rebaptisé G8 pendant toute cette période. La Chine, de son côté, était considérée par les États-Unis comme un partenaire économique et commercial intéressant (voir Benjamin Bürbaumer, Chine/États-Unis, le capitalisme contre la mondialisation, La Découverte, Paris, 2024, 302 pages).
Les BRICS sont aussi les principaux avocats de la globalisation/mondialisation capitaliste elle-même en pleine crise
Maintenant, les BRICS sont devenus les principaux avocats de la globalisation/mondialisation capitaliste, elle-même en pleine crise. Au point 8 de la déclaration finale du sommet de Rio 2025, ils affirment :
« Nous reconnaissons que la multipolarité peut élargir les possibilités pour les pays en développement et les marchés émergents (PDME) de développer leur potentiel constructif et de bénéficier d’une mondialisation et d’une coopération économiques universellement avantageuses, inclusives et équitables. » [21]
Au point 43 de la déclaration, on peut lire :
« Nous réaffirmons l’importance de veiller à ce que les politiques commerciales et de développement durable soient mutuellement bénéfiques et conformes aux règles de l’OMC. » [22]
Conclusions
« Les BRICS+ ont déclaré qu’ils veulent renforcer les capacités financières du FMI et augmenter la légitimité de la Banque mondiale »
L’élargissement des BRICS en 2024 (BRICS+) a fait naître des attentes quant à leur capacité à proposer une alternative au système économique mondial dominé par les puissances impérialistes traditionnelles sous le leadership des États-Unis. Pourtant, malgré leur poids démographique et économique — près de la moitié de la population mondiale, 40 % des ressources fossiles, 30 % du PIB mondial et 50 % de la croissance —, les BRICS+ ne cherchent pas à rompre avec l’architecture néolibérale internationale.
Sur le plan financier, la déclaration finale du sommet de Rio (juillet 2025) réaffirme le rôle central du FMI et de la Banque mondiale, les BRICS+ se limitant à revendiquer une meilleure représentation des pays en développement sans remettre en cause les politiques d’ajustement structurel [23], les dettes imposées ou l’orientation néolibérale de ces institutions. Concernant le commerce, les BRICS+ défendent l’Organisation mondiale du commerce (OMC), paralysée depuis le blocage américain initié par Donald Trump en 2017. Ils en soulignent la légitimité et souhaitent la placer au cœur du système commercial mondial, sans critiquer ses effets néfastes sur les économies locales, les droits sociaux ou l’environnement.
Dans la pratique, la Chine, appuyée par d’autres membres, multiplie les traités de libre-échange et promeut une mondialisation capitaliste fondée sur le libre-échange, alors même que les anciennes puissances du Nord virent désormais vers le protectionnisme. Ainsi, loin de représenter un contre-modèle, les BRICS+ se présentent comme les nouveaux défenseurs d’un système capitaliste mondialisé en crise, au détriment des mouvements sociaux et des alternatives fondées sur la justice sociale, la souveraineté économique et la protection écologique.
En soutenant le FMI, la Banque mondiale et l’OMC, ils s’inscrivent dans la continuité du néolibéralisme globalisé plutôt que d’en proposer une alternative. Cette posture traduit une volonté d’accroître leur influence à l’intérieur des institutions dominantes, sans rompre avec leurs logiques destructrices pour les peuples et la planète.
Loin de représenter une chance d’émancipation pour les pays du Sud, les BRICS+ apparaissent comme des partenaires de la gestion d’un capitalisme en crise qui a entraîné la planète vers la catastrophe écologique, vers une accentuation des conflits armés et une aggravation massive des crimes contre l’Humanité. Face à cela, il revient aux mouvements sociaux et altermondialistes de continuer à porter des propositions alternatives : protection des biens communs, solidarité entre peuples, souveraineté économique, bifurcation écologique et justice sociale.
L’auteur remercie pour leur relecture et pour leurs conseils Omar Aziki, Sushovan Dhar, Jawad Moustakbal et Maxime Perriot. L’auteur est entièrement responsable des opinions qu’il exprime dans ce texte et des erreurs éventuelles qu’il contient.
À propos de l’auteur
Eric Toussaint
Docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France [24].
Il est l’auteur des livres, Banque mondiale - Une histoire critique, Syllepse, 2022, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2020, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège.
Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.
Europe Solidaire Sans Frontières


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