
Jeunes Israéliens brûlant leurs convocations militaires pour protester contre le génocide à Gaza, à Tel Aviv, le 15 juillet 2025. (Oren Ziv)
En collaboration avec LOCAL CALL
Mi-juillet, quelques dizaines de jeunes militants juifs israéliens ont défilé dans les rues de Tel Aviv pour protester contre le génocide en cours à Gaza. La manifestation s’est terminée sur la place Habima, au centre-ville, où dix participants ayant reçu des convocations de l’armée les ont brûlées et ont publiquement déclaré leur refus de s’enrôler.
L’acte a provoqué un véritable tollé sur les réseaux sociaux israéliens, déclenchant une vague de messages privés — certains de soutien, d’autres hostiles— ainsi que des appels à la violence lancés par des pages de droite.
« Tous les jours après avoir brûlé nos convocations, je recevais des appels », raconte Yona Roseman, 19 ans, l’une des participantes, dans un entretien avec +972. « Je ne sais pas si ce geste à lui seul peut changer les choses, mais si ne serait-ce qu’un seul soldat prend parti contre ce génocide, c’est déjà une victoire. »
Roseman est l’un.e des sept jeunes Israélien.nes emprisonné.es en août pour avoir refusé d’effectuer leur service militaire, en signe de protestation contre le génocide et l’occupation menés par Israël. Selon le réseau d’objecteurs de conscience Mesarvot, il s’agit du nombre le plus élevé d’objecteurs incarcérés au cours de la même période depuis la création du collectif en 2016. Leurs peines varient de 20 à 45 jours, probablement suivies de nouvelles convocations, et de plusieurs autres peines de prison avant d’être officiellement exemptés.
Au total, 17 jeunes Israéliens ont été emprisonnés pour avoir publiquement refusé la conscription depuis le début de la guerre. Le premier, Tal Mitnick, a passé 185 jours derrière les barreaux. Un autre, Itamar Greenberg, est resté incarcéré près de 200 jours — la plus longue peine infligée à un objecteur de conscience depuis plus d’une décennie. Ces deux situations reflètent le durcissement de la position de l’armée : selon Mesarvot, celle-ci semble avoir abandonné sa politique précédente de libération des réfractaires après 120 jours, faisant désormais des peines prolongées la nouvelle norme de la répression.
Si l’objection de conscience parmi les jeunes appelés reste rare dans la société israélienne, l’agression d’Israël contre Gaza a déclenché une vague de refus plus conséquente parmi les réservistes . Plus de 300 d’entre eux, la plupart ayant été rappelés pour servir dans la guerre contre Gaza, ont demandé du soutien au mouvement de refus Yesh Gvul (« Il y a une limite »).
« Ce qui distingue cette vague de refus, contrairement à celles liées à la Première guerre du Liban ou aux Intifadas, c’est qu’à l’époque, il s’agissait de réfractaires sélectifs, qui refusaient de partir au Liban ou en Cisjordanie », explique Ishai Menuchin, président de Yesh Gvul. « Aujourd’hui en revanche, la plupart des réfractaires refusent en bloc de participer à l’armée, et donc à la machine du génocide. »
Parmi les 300 réservistes soutenus par Yesh Gvul, seuls quatre d’entre eux ont été traduits en justice. En effet, l’armée choisit généralement soit de libérer rapidement les réservistes réfractaires, soit de trouver d’autres arrangements, à l’inverse du traitement réservé aux jeunes objecteurs n’ayant pas encore été appelés .
« La décision de refuser est beaucoup plus simple aujourd’hui »
Le 17 août, le jour où Roseman a annoncé son refus, environ 150 manifestants se sont rassemblés devant le bureau de recrutement de sa ville natale, Haïfa. Roseman, elle-même arrêtée six fois lors de manifestations dirigées par des Palestiniens à Haïfa, a assisté à l’intervention rapide de la police qui a déclaré la manifestation illégale et, comme c’est régulièrement le cas lors des rassemblements anti-guerre palestiniens dans la ville, a violemment arrêté dix personnes.
« Une véritable prise de conscience de l’ampleur de la destruction que notre État orchestre, de la souffrance qu’il inflige à ses citoyens, exige une action en conséquence », a déclaré Roseman à la foule avant que la manifestation ne soit dispersée. « Si vous percevez l’ampleur des atrocités et que vous vous considérez comme des êtres moraux, vous ne pouvez pas continuer à faire comme si de rien n’était, quelque soit le coût social ou légal de vos actions. »
Roseman avait pris la décision de refuser la conscription dès début 2023, alors qu’elle participait aux manifestations hebdomadaires contre les efforts du gouvernement pour affaiblir le pouvoir judiciaire. À l’époque, elle défilait avec le « bloc anti-occupation », une petite section qui militait pour établir le lien entre la réforme judiciaire et l’occupation continue par Israël des territoires palestiniens — au grand dam des organisateurs de manifestations plus traditionnels. Elle faisait également partie des 230 jeunes ayant signé, quelques semaines avant le 7 octobre, la lettre « Jeunesse contre la dictature », s’engageant à « refuser de rejoindre l’armée tant que la démocratie ne sera pas garantie pour tous ceux qui vivent sous la juridiction du gouvernement israélien ».
« Je pense que la décision de refuser est bien plus simple aujourd’hui, dit Roseman. Le militarisme et l’obéissance ne sont plus des sujets de débat, car un génocide est en cours, et il est évident qu’on ne s’engage pas dans une armée qui commet un génocide. »
Déjà très impliquée dans l’activisme avec les Palestiniens — en assurant une “présence protectrice” dans les communautés rurales palestiniennes de Cisjordanie face à la violence des colons et de l’armée, et en rejoignant les manifestations contre le génocide à Haïfa — Roseman a déclaré que ses relations personnelles avec des militants palestiniens n’ont fait que renforcer sa décision de ne pas s’engager sous les drapeaux. « Si vous voulez être partenaire des Palestiniens, vous ne pouvez pas intégrer l’armée qui les tue, dit-elle. Ce sont des personnes que vous connaissez, dont on a détruit les maisons, ou qui sont assassinées ».
Son œuvre de solidarité avec les Palestiniens lui a également fait comprendre les limites de toute tentative de réformer le système de l’intérieur. « Il arrive qu’un soldat me lance une grenade assourdissante, ou m’arrête, j’ai assisté à la démolition de maisons dans lesquelles j’avais dormi, les maisons de camarades militants palestiniens. Cela change vraiment votre perspective, vous comprenez réellement que cette armée n’est pas la vôtre, qu’elle est en fait contre vous. »
Outre les effets sur sa vie de militante, la décision de Roseman de refuser l’appel a également un coût personnel. « Certain·es camarades de classe ont coupé les ponts avec moi à cause de cela. J’ai quitté mon programme d’année de césure plus tôt en raison des difficultés liées à mon refus, » expliqua-t-elle. Sa famille « est restée à ses côtés en tant que fille, mais ce n’est pas une décision qu’ils ont soutenue. »
Contrairement à la plupart des objecteurs emprisonnés dans les prisons militaires israéliennes, Roseman passe la majeure partie de ses journées en isolement. En tant que prisonnière trans, elle n’est autorisée à sortir que pour de courtes pauses, en dernier dans la file, conformément à la politique de l’armée, également subie cette année par une autre objectrice trans, Ella Keidar Greenberg.
« Il est important pour moi de le souligner, surtout après avoir été traitée de manière humiliante lors de mon arrestation pendant des manifestations : l’attitude de l’État à l’égard des personnes queer n’est libérale et progressiste que dans des conditions bien précises, dit-elle. Dès que vous ne correspondez plus aux critères nationaux, vos droits vous sont retirés. »
« Nous n’en sommes pas là par hasard »
Le 31 juillet, quelques semaines avant l’incarcération de Roseman, deux Israéliens de 18 ans — Ayana Gerstmann et Yuval Peleg — ont été condamnés respectivement à 30 et 20 jours de prison pour avoir refusé de s’enrôler. Gerstmann a depuis été libérée, tandis que Peleg a écopé d’une peine supplémentaire de 30 jours. Au vu de cas similaires, il est probable que sa peine soit prolongée 4 ou 5 fois avant qu’il ne soit libéré de ses obligations militaires.
« Je suis ici pour avoir refusé de prendre part à un génocide et pour envoyer un message à quiconque veut bien l’entendre : tant que le génocide continue, nous ne pouvons pas vivre dans la paix et la sécurité », a déclaré Peleg avant d’entrer en prison.
Issu d’une famille sioniste libérale de la ville aisée de Kfar Saba, Peleg explique que sa décision de refuser la conscription est récente. « À la maison, on ne parlait jamais du refus. On parlait beaucoup de Bibi [Netanyahou], et un peu de l’occupation », a-t-il expliqué dans une interview commune avec Gerstmann avant leur incarcération.
Pour Peleg, la découverte de médias en ligne non israéliens, dans les premiers jours de la guerre, a constitué un tournant. « Cela m’a donné une perspective que je n’avais pas en grandissant. À un moment donné, j’ai compris que l’armée israélienne n’était pas l’armée droite, protectrice et juste que je croyais. »
Peu à peu pendant la guerre, à mesure que l’ampleur de l’offensive israélienne contre Gaza devenait plus claire, « la décision de ne pas m’enrôler est devenue relativement facile, » explique-t-il. Le refus lui a aussi offert une possibilité d’exprimer sa dissidence. « Il n’y a pratiquement aucun endroit dans ce pays où l’on peut dire ce genre de choses. »
Pour Gerstmann, qui a grandi dans la banlieue de Tel-Aviv, à Ramat Gan, la décision de refuser l’appel s’est construite sur plusieurs années. « En cinquième, on nous avait donné un devoir pour la Journée de Jérusalem : écrire sur des lieux de Jérusalem. C’était censé éveiller des sentiments patriotiques, mais pour moi, cela a eu l’effet inverse », se souvient-elle.
Bien que l’occupation ait souvent été discutée à la maison, elle ne l’avait réellement découverte qu’à ce moment-là. « Ma mère m’a suggéré d’aller voir le site de B’Tselem et de lire sur Jérusalem-Est pour le projet scolaire, » a-t-elle raconté à +972. « C’était la première fois que je voyais ce qui s’y passait. J’ai été choquée. »
Dans le système éducatif israélien, ajoute-t-elle, « on parle toujours de Jérusalem-Est uniquement dans le contexte de ‘l’unification’ de la ville, et on glorifie la guerre de 1967 [au cours de laquelle Jérusalem-Est a été prise]. Soudain, j’ai découvert toutes les injustices et les souffrances que cela impliquait. »
À 16 ans, elle avait déjà pris la décision de ne pas s’enrôler dans l’armée. « J’ai dit à une amie que je voulais obtenir une exemption pour raison de santé mentale parce que je m’opposais à l’occupation, » raconte-t-elle. Son amie l’a mise au défi : « Si ce sont tes convictions, pourquoi ne pas simplement les assumer et les dire ? Pourquoi as-tu besoin de te cacher derrière des mensonges ? »
« C’est à ce moment-là que ça a fait tilt pour moi, » se souvient-elle. « J’ai compris qu’elle avait raison — que je devais crier mon refus haut et fort, clairement et publiquement. »
À l’instar de Roseman et Peleg, Gerstmann a réalisé que les raisons de refuser l’appel devenaient évidentes, et ce dès le début de la guerre à Gaza, avec l’intensification de l’offensive israélienne contre le peuple palestinien. « Il est devenu beaucoup plus clair que ce refus était le bon choix, qu’il ne fallait en aucun cas coopérer avec les agissements de l’armée à Gaza ».
Gerstmann et Peleg espèrent que chaque soldat envoyé à Gaza lira leur refus comme un message exprimant la liberté de choisir. « Pendant des années, on nous a conditionnés à croire qu’il fallait s’enrôler, qu’il était impossible de remettre cela en cause. Mais ce que nous voyons aujourd’hui à Gaza, c’est la ligne rouge qui prouve qu’il existe bel et bien un choix. »
« Nous avons atteint un niveau de violence et de destruction inégalé dans l’histoire de cette terre, » a déclaré Peleg. « Israël ne redeviendra jamais ce qu’il était le 6 octobre 2023. Il est clair qu’un génocide se déroule autour de nous. Face à cela, nous refusons. »
Pour Peleg, il était important de souligner que la campagne d’anéantissement d’Israël à Gaza ne surgit pas de nulle part. « Nous n’en sommes pas arrivés là par accident, » explique-t-il. « Israël a toujours porté en lui des éléments d’occupation, de fascisme et de racisme envers les Palestiniens — depuis 1967 bien sûr, mais depuis la Nakba en réalité. Le génocide actuel contre les Palestiniens suit la même logique ».
Même si l’opinion publique israélienne tend de plus en plus vers la droite, Gerstmann espère toujours que ses actes auront une influence. « La phrase « Il n’y a pas d’innocents à Gaza » est entendue fréquemment, elle se banalise. C’est très inquiétant ; mon refus de l’appel est en réalité une façon de lutter contre le désespoir », a-t-elle expliqué. « J’espère que cela ouvrira les yeux de certains et leur permettra de réfléchir et de comprendre ce que l’armée fait en leur nom. »
Toutes deux disent avoir peur de déclarer publiquement leur refus de la conscription, dans une société où un tel acte est assimilé à de la trahison. « Bien sûr, c’est effrayant, mais cela ne m’a pas dissuadée », a déclaré Gerstmann. « Au contraire, ce que nous voyons depuis le début de cette guerre m’a fait comprendre que je devais absolument m’opposer à la conscription »
« Je ne peux plus en faire partie »
Deux autres objecteurs de conscience ont été emprisonnés le mois dernier. Ils se sont confiés à +972, tout en choisissant de rester anonymes pour des raisons personnelles et familiales.
R., un jeune homme de 18 ans originaire de la ville de Holon, a été condamné à 30 jours de prison. « J’ai décidé de refuser l’appel avant le 7 octobre, mais après avoir vu la destruction à Gaza, j’ai compris que je ne pouvais plus continuer à hésiter », a-t-il déclaré. « À partir de là, m’enrôler était tout simplement hors de question pour moi. »
Son message à l’intention des autres jeunes est direct : « Refusez, tout simplement. Dans le climat actuel, au vu de ce qui se passe à Gaza, il faut résister. »
Un autre objecteur, B., a suivi un parcours plus atypique. À 19 ans, il s’était enrôlé dans l’Administration Civile — l’organisme militaire qui dirige les Palestiniens en Cisjordanie. Il a toutefois décidé, après huit mois de service, de refuser l’appel, ce qui lui a valu une peine de 45 jours de prison.
« Avant de m’enrôler, j’étais allé en Cisjordanie, j’y ai rencontré des gens et j’ai compris la situation sur place », se souvient B. « C’était déjà difficile pour moi à ce moment-là, je n’avais vraiment pas envie de rejoindre l’armée. [Mais ensuite] j’ai parlé avec certaines personnes, et elles m’ont convaincu de le faire malgré tout. »
Ce qu’il a vu à la base militaire a confirmé son choix de refuser la conscription. « Pendant l’entraînement et sur le terrain, j’ai vu beaucoup de choses et je me suis dit : “Waouh, je ne peux plus faire partie de ça.” L’attitude des autres soldats — la manière dont ils parlaient, dont ils se comportaient — des gens animés par un racisme extrême, a motivé ma décision en grande partie. »
La brutalité, selon lui, était omniprésente. « J’ai vu des Palestiniens se faire frapper sans aucune raison. Ils les attachent, les laissent menottés en plein soleil pendant 24 heures, face contre terre, à genoux, sans eau ni nourriture. Les soldats passaient à côté et leur donnaient des coups de pied. J’étais choqué. »
« Dès mon deuxième jour, j’ai vu un détenu et j’ai demandé ce qu’il avait fait. On m’a dit qu’il ‘n’avait pas obéi’. Puis j’en ai vu un autre attaqué à coups de pied. On m’a dit : ‘Il le mérite.’ Ces situations étaient fréquentes. »
Un incident le hante encore. « Un soldat parlait en hébreu à un Palestinien, et quand celui-ci répondait en arabe, le soldat lui a violemment cogné la tête contre un mur en disant : ‘Tu es en Israël, parle hébreu.’ Je lui ai dit : ‘Il ne comprend pas.’ On voyait ce genre de violence tout le temps. »
Personne n’est à l’abri de tels abus— pas même les personnes âgées. « J’ai vu un Palestinien de 70 ans battu comme plâtre. Quand j’ai demandé aux autres soldats ce qu’il avait fait, ils m’ont répondu qu’il avait ‘manqué de respect aux militaires’. »
« Ils n’avaient rien à lui reprocher, alors ils l’ont retenu pendant 14 ou 15 heures, sans nourriture ni eau, puis lui ont dit : ‘La prochaine fois, ne le refais pas.’ Ils ne l’ont même pas transféré à la police — qu’auraient-ils bien pu lui reprocher ?
Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call, et membre fondateur du collectif de photographie Activestills.
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