Séoul élude la question de la défense des droits de l’homme en Corée du Nord
LE MONDE | 06.10.07 | 14h37 • Mis à jour le 06.10.07 | 14h37
SÉOUL ENVOYÉ SPÉCIAL
La déclaration de paix entre les deux Corées, intervenue à l’issue du sommet entre les dirigeants du Nord et du Sud, qui a eu lieu à Pyongyang du 2 au 4 octobre, a été accueillie avec amertume par les organisations sud-coréennes de défense des droits de l’homme en République populaire démocratique de Corée (RPDC), ainsi que par les familles des 480 Sud-Coréens, pour la plupart des pêcheurs, disparus au Nord, et des 560 prisonniers de la guerre (1950-1953) survivants. Les droits fondamentaux apparaissent les grands oubliés de la détente dans la péninsule.
Comme beaucoup de dignitaires étrangers - la secrétaire Etat américaine Madeleine Albright en 2000 -, le président Roh Moo-hyun a assisté, à Pyongyang, au festival Ariran rassemblant au Stade du 1er-mai 100 000 participants dont de nombreux enfants. Gigantesque spectacle, mêlant chorégraphie et gymnastique, figurant au Livre Guinness des records, ses mouvements d’ensemble sont un instrument de glorification du régime contant sur le ton du mélodrame sa version de l’histoire nationale. Bien que des scènes gênantes pour le président Roh, - des soldats du Nord chassant des « impérialistes » américains et sudistes - aient été supprimées pour mettre l’accent sur l’unité de la nation coréenne, sa présence à ce spectacle a suscité des polémiques au Sud.
« Il est inapproprié pour le président de sembler donner son aval au régime », estime Kim Yun-tae, secrétaire général de NKnet, organisation non gouvernementale (ONG) favorable à la défense des droits de l’homme au Nord. « Le dur entraînement, des mois durant, des jeunes participants pour synchroniser à la seconde près leurs mouvements est une violation du droit des enfants », ajoute-t-il. « Assister au spectacle Ariran faisait partie des efforts pour construire une confiance et un respect mutuel entre les deux pays », dit-on dans l’entourage présidentiel.
Le réalisme vis-à-vis du Nord n’est pas le seul fait de Séoul. L’administration Bush, qui avait battu le tambour sur la violation des droits de l’homme en RPDC lorsqu’elle jouait la carte de l’étranglement du régime, a également mis la « pédale douce » sur cette question, sacrifiée sur l’autel des pourparlers nucléaires.
« UNE QUESTION ABSTRAITE »
En 2004, le Congrès américain a adopté le North Korea Human Rights Act, doté d’un budget annuel de 2 millions de dollars jusqu’en 2008, destiné à aider des ONG luttant pour les droits de l’homme en RPDC. Les Etats-Unis s’engageaient en outre à accepter des réfugiés nord-coréens. En trois ans, ce fut le cas de dix d’entre eux. Quant aux budgets d’aide aux ONG, « ils n’ont jamais été déboursés », commente Kim Yun-tae.
« La politique américaine a attiré l’attention du monde et de la Corée du Sud sur la question des droits de l’homme au Nord, commente le politologue Heo Mon-ho, mais l’utilisation politique de cette question suscite l’amertume. Les progrès économiques conduiront-ils à améliorer la situation ? C’est loin d’être automatique : la Chine en est un exemple. »
Séoul fait preuve de retenue sur la question des droits fondamentaux au Nord, faisant valoir que ceux-ci ne doivent pas être perçus dans une perspective universaliste mais dans leur contexte. « Je pense que les droits de l’homme doivent être interprétés en fonction des circonstances et des caractéristiques de chaque pays », déclarait peu avant son départ pour Pyongyang le ministre sud-coréen de l’unification, Lee Jae-joung.
Kim Yun-tae, de NKnet, estime que la question de la libéralisation des activités économiques est plus fondamentale en termes de droit que les camps de prisonniers sur lesquels se focalise la communauté internationale : « Pour la majorité de la population nord-coréenne, la question des droits est abstraite : ce qu’elle veut c’est pouvoir se déplacer, vendre, acheter. Les réformes économiques de 2002 (salaires, prix) sont insuffisantes. C’est sur ce point que toute politique d’engagement doit insister. »
Article paru dans le Monde, édition du 07.10.07.
LE MONDE | 06.10.07 | 14h37 • Mis à jour le 06.10.07 | 14h37
Compte rendu
Les deux Corées veulent conclure un accord de paix après un armistice de 54 ans
SÉOUL ENVOYÉ SPÉCIAL
Les dirigeants des deux Corées ont solennellement déclaré, jeudi 4 octobre, que leurs pays n’étaient plus en état de guerre et ont demandé à la Chine et aux Etats-Unis d’engager des pourparlers afin de transformer l’armistice de 1953 en un « régime de paix permanente » dans la péninsule.
A l’issue du sommet qui a débuté il y a deux jours à Pyongyang, le président sudiste Roh Moo-hyun et le dirigeant nordiste Kim Jong-il ont signé une « déclaration de paix et de prospérité » par laquelle ils annoncent que « les deux Corées entendent mettre fin à la situation d’antagonisme militaire dans la péninsule et coopérer pour appeler les nations concernées à signer une déclaration mettant fin à l’état de guerre ». Les deux pays « partagent l’opinion qu’il faut passer de l’armistice à un régime de paix permanente dans la péninsule ».
Intervenant au lendemain de l’acceptation officielle par Pyongyang de l’accord intervenu dans le cadre des pourparlers à six (deux Corées, Chine, Etats-Unis, Japon et Russie), qui prévoit la désactivation de ses installations nucléaires avant la fin de l’année, la déclaration de fin des hostilités entre les deux pays est une étape importante du processus de réconciliation dans la péninsule amorcé lors du premier sommet en juin 2000. Elle ouvre la voie à une détente dans la péninsule, difficilement imaginable en octobre 2006, lorsque Pyongyang effectuait son essai nucléaire.
La déclaration qui vient d’être signée va plus loin que celle de juin 2000 en appelant les pays concernés à mettre fin à « l’état de guerre ». Un appel qui reflète la situation anachronique de la péninsule : seul un armistice a été signé en 1953 figeant les deux Etats coréens dans une situation d’antagonisme qui a survécu à la fin de la guerre froide. La Corée du Sud n’est pas signataire de cet armistice contrairement aux Etats-Unis (au nom des Nations unies), à la Chine et à la Corée du Nord. La déclaration qui vient d’être signée à Pyongyang appelle la signature d’un acte de paix par « trois ou quatre chefs d’Etat » en précisant qu’elle doit avoir lieu dans la péninsule. Une précision qui implique l’éventuelle participation du chef de l’Etat sud-coréen en plus de ceux de la Chine, des Etats-Unis et de la Corée du Nord.
Même si elle est symbolique, n’ayant pas d’effet contraignant du point de vue international, cette déclaration de paix entre des deux Corées est significative : un armistice est un mécanisme ayant pour but de séparer les belligérants ; or, aujourd’hui, ceux-ci déclarent qu’ils ne sont plus en état de guerre et que l’armistice n’a plus de raison d’être. En franchissant à pied, mardi, la ligne de démarcation entre les deux pays M. Roh a déclaré : « Cette ligne interdite est appelée à s’effacer. »
Un traité de paix entre les Etats-Unis et la République populaire démocratique de Corée (RPDC) - demande constante de Pyongyang - s’impose d’autant plus que les deux Corées annoncent mettre un terme à l’état de belligérance. Jusqu’à présent, le président George Bush a repoussé cette possibilité, en faisant valoir qu’il examinerait la possibilité de négocier un traité de paix avec la RPDC une fois que celle-ci aurait rempli ses engagements de dénucléarisation. L’avancée inter-coréenne le place aujourd’hui en porte-à-faux.
L’engagement des deux pays de coopérer pour « mettre fin à l’état hostilité militaire » implique en outre une réduction progressive des forces massées de part et d’autres des 248 kilomètres de la zone démilitarisée qui en font la dernière poudrière de la guerre froide. Il se complète d’une volonté commune de « respect mutuel et de confiance réciproque au-delà des différences idéologiques et des systèmes politiques » et d’une série de mesures visant à favoriser la coopération économique.
La déclaration de paix et de prospérité énumère plusieurs engagements de coopération entre les deux pays : la création d’un complexe industriel dans la région du port de Haeju (nord de la zone démilitarisée) ; la rénovation de la voie ferroviaire entre la ville de Kaesong et celle de Sinuiju (près de la frontière chinoise) et de l’autoroute Kaesong-Pyongyang, et la mise en service de la voie ferrée raccordant le Sud et le Nord à travers la zone démilitarisée. Ces voies de chemin de fer seront utilisées, précise la déclaration de paix, pour transporter les supporteurs sud-coréens lors des Jeux olympiques de Pékin en 2008.
Les deux pays entendent en outre développer en commun un nouveau site touristique, le Mont-Paektu, à la frontière chinoise, en ouvrant une ligne aérienne directe depuis Séoul.
Article paru dans le Monde, édition du 05.10.07.
LE MONDE | 04.10.07 | 14h23 • Mis à jour le 04.10.07 | 14h23.
Le sommet entre les deux Corées suscite le scepticisme à Séoul
LE MONDE | 02.10.07 | 10h13 • Mis à jour le 02.10.07 | 12h04.
Séoul, envoyé spécial
Foules en liesse brandissant des gerbes de fleurs en papier mauve et criant leur bienvenue le long des rues : le président sud-coréen Roh Moo-hyun est arrivé mardi 2 octobre à Pyongyang, en Corée du Nord, pour le second sommet intercoréen en sept ans, dans une de ces chorégraphies de liesse populaire orchestrée dont le régime a le secret. Accueilli par le dirigeant Kim Jong-il, M. Roh a emprunté la route pour se rendre à Pyongyang, à quelque deux cents kilomètres de Séoul, alors qu’en juin 2000 son prédécesseur, Kim Dae-jung, avait voyagé en avion.
En parcourant à pied une trentaine de mètres pour franchir la ligne de démarcation entre les deux Corées, M. Roh a accompli un geste historique : c’est la première fois depuis plus d’un demi-siècle qu’un dirigeant sudiste passe cette ligne qui serpente sur 248 kilomètres à la hauteur du 38e parallèle et coupe en deux la péninsule. Elle fut tracée en fonction de la ligne de front lors de la signature de l’armistice de 1953 mettant fin à une guerre fratricide. Séparées par une zone démilitarisée, les deux Corées sont théoriquement toujours en guerre.
Pour le second sommet inter-coréen, qui a pour but d’établir un « régime de paix permanent » dans la péninsule, M. Roh a choisi d’emprunter la nouvelle route à quatre voies ouverte à travers les quatre kilomètres de la zone démilitarisée séparant les deux pays. Elle mène à la zone industrielle de Kaesong en République populaire démocratique de Corée (RPDC) où ont investi des entreprises de l’industrie légère sud-coréennes.
« COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE »
Après une brève cérémonie d’accueil de l’autre côté d’une grosse ligne jaune peinte sur la chaussée indiquant la limite entre les deux pays, le cortège présidentiel est reparti, sans escorte, en direction de Pyongyang. Seuls une cinquantaine de journalistes sud-coréens ont été autorisés à l’accompagner.
Le franchissement de la ligne de démarcation par le président du Sud se veut symbolique de l’unité de la nation coréenne, divisée par les Etats-Unis et l’URSS à la suite de la défaite du Japon. Ce geste consacre le rapprochement entre les deux pays amorcé lors du premier sommet, en juin 2000, qui s’est poursuivi en dépit de la crise nucléaire. Le nouveau sommet ne suscite pas au Sud les mêmes attentes que le premier.
L’opinion est partagée, la presse sceptique et l’opposition hostile. A trois mois de l’expiration du mandat présidentiel, cette visite au Nord apparaît comme le « chant du cygne » d’un chef de l’Etat en chute dans les sondages à Séoul. Et l’on voit mal ce qui en sortira sinon une « déclaration de paix » établissant les « grands principes » de coexistence, a précisé le ministre de l’unification, Lee Jae-joung.
Ce sommet est entaché d’arrière-pensées de politique intérieure pour le sud : renforcer le parti gouvernemental, Uri, à la veille de l’élection présidentielle alors que l’opposition conservatrice semble avoir le vent en poupe. Le régime de Pyongyang a tout intérêt de son côté à chercher à influencer, par un geste de bonne volonté envers le président sudiste sortant, le résultat de ce scrutin. C’est aussi une opportunité pour obtenir une assistance importante du Sud : des grands projets d’infrastructure d’un montant de 20milliards de dollars sont à l’étude.
Le sommet devrait permettre de donner un cadre institutionnel à la coopération économique entre les deux pays, prélude à une « communauté économique inter-coréenne ». Un premier pas pourrait être la signature d’un accord commercial semblable à celui passé en 2003 entre la Chine et Hongkong. Les échanges commerciaux entre les deux Corées se chiffreront en 2007 à 1,7 milliard de dollars, soit quatre fois plus qu’en 2000.
Le succès de la zone industrielle de Kaesong incite, en outre, à en créer d’autres à Nampo, Wonsan et Sinuiju ainsi que dans l’estuaire du fleuve Imjin sur la côte ouest.