Bangkok, de notre correspondant
Par ARNAUD DUBUS
A la nuit tombée, la peur s’empare de Rangoun. Une semaine après la répression du soulèvement des moines bouddhistes, les arrestations de participants aux manifestations se poursuivent dans l’ancienne capitale, le plus souvent la nuit. « D’après nos informations, les arrestations continuent. De nombreux Birmans nous disent qu’une sœur, un frère ou un père ont été emmenés par la police au milieu de la nuit », indique Shari Villarossa, la chargée d’affaires américaine à Rangoun, jointe par téléphone.
Toutes les nuits après le couvre-feu (qui est décrété à partir de 22 heures), des véhicules militaires patrouillent en ville en diffusant un message menaçant : « Nous avons les photos. Nous allons venir vous arrêter. »
Une employée de l’ONU, deux membres de sa famille et un chauffeur interpellés dans la nuit de mercredi ont été libérés hier, a indiqué le principal responsable de l’ONU en Birmanie, Charles Petrie.
Quatre catégories. Selon Bo Kyi, un Birman vivant en Thaïlande qui dirige l’Association pour l’assistance aux prisonniers politiques, des raids ont été lancés, la nuit dernière, sur deux monastères de Rangoun et tous les bonzes ont été emmenés. Ces arrestations ont eu lieu quelques heures après le départ de Birmanie de l’envoyé spécial des Nations unies, Ibrahim Gambari, venu pour appeler les dirigeants du pays à stopper la répression.
Durant les défilés, des policiers en civil avaient sys tématiquement photographié et filmé les manifestations qui se sont déroulées entre le 18 et le 27 septembre. Ce sont ces images qui servent maintenant de « base de données » pour la chasse aux opposants. « Ils arrêtent tous ceux sur lesquels ils ont le moindre soupçon », confie Shari Villarossa.
Les organisations birmanes d’opposition basées en Thaïlande ont identifié quatre principaux lieux de détention : la prison d’Insein, dans le nord de Rangoun ; l’Institut technique gouvernemental situé à proximité de la prison ; l’hippodrome dé saffecté de Kyaikkasan et le quartier général de la police dans le district de Hmawbi, dans la banlieue de Rangoun. Hier, les autorités ont indiqué que 2000 per sonnes avaient été arrêtées depuis le début des événements. Selon une femme qui a été libérée, les détenus qui sont interrogés sont répartis en quatre catégories : les passants, ceux qui regardaient les manifestations, ceux qui ont applaudi et ceux qui se joints aux défilés.
Peu d’informations sont disponibles sur les conditions de détention. « Si l’on se réfère au passé, il est probable qu’elles sont particulièrement dures : très peu de nourriture, de mauvaises conditions sanitaires, l’utilisation de la torture », estime la diplomate américaine. Certaines personnes arrêtées durant les manifestations ont été blessées par balles ou à coups de bâtons et n’ont pas encore pu recevoir de soins.
Camps de travail. Bo Kyi, le directeur de l’Association d’assistance aux prisonniers politiques, s’inquiète particulièrement du sort d’un millier de moines et de nonnes qui sont actuellement détenus dans un bâtiment sans fenêtres de l’Institut technique gouvernemental. Une partie des bonzes auraient entamé une grève de la faim, poursuivant de cette manière leur campagne de boycott contre la junte. « Ils refusent la nourriture que leur donnent les gardes et les gens de l’extérieur sont empêchés de leur en fournir. Certains des moines pourraient mourir en prison », dit Soe Aung, porte-parole d’une coalition de mouvements d’opposition.
Bo Kyi craint également que les bonzes soient déplacés loin de Rangoon, peut-être dans des camps de travail infestés par le paludisme dans le nord du pays. Amnesty international s’est fait l’écho de ses inquiétudes, affirmant qu’il était « du devoir du gouvernement du Myanmar [nom officiel de la Birmanie] de justifier tous les cas de détention ».
« Encerclés ». Conséquence de cette vague d’arrestations, les bonzes en robe rouge qui, habituellement, sont omni présents le matin à Rangoon au moment de leur tournée destinée à recueillir des offrandes, ont pratiquement disparu. « Plusieurs monastères sont vidés de leurs occupants, les autres sont encerclés de barricades militaires. On voit très peu de bonzes à l’extérieur », confirme Shari Villarossa.
Sur la frontière birmano-thaïlandaise, la première désertion d’un officier de l’armée birmane depuis la répression confirme les rumeurs selon lesquels certains militaires ont refusé de faire feu sur les bonzes malgré les ordres. Le commandant Htay Win, qui a été aidé par la minorité des Karen pour passer la frontière, a déclaré : « En tant que bouddhiste, j’ai été très en colère quand j’ai entendu que l’armée avait tué des bonzes dans les rues. » Il a déposé une demande d’asile politique auprès de la Norvège.
Evénement
« La répression est désormais insidieuse »
Par CHRISTIAN LOSSON
En poste à Rangoun depuis deux ans, Emmanuel Goué est chef de mission pour MSF-Suisse. Il a en charge deux programmes sur les pandémies (sida tuberculose et paludisme).
Que savez-vous de l’ampleur de la répression de la junte ?
Dans le centre-ville, où je vis, le couvre-feu a été allégé de deux heures, mais on ignore ce qu’il se passe la nuit. Les gens ont peur : la répression est désormais insidieuse. Dans les discussions, avec les ambassades ou les rares insti tutions internationales, on brasse les mêmes chiffres sur le nombre de morts, de blessés ou d’arrestations qui circulent à l’étranger. La réalité, c’est qu’on n’en sait rien.
Etes-vous intervenus lors des affrontements et depuis ?
Oui, on était au milieu des manifs. Les cortèges étaient composés de moines encadrés par des civils. Les habitants aux fenêtres applaudissaient. les militaires ordonnaient aux manifestants de rentrer chez eux sous peine de tirer à vue. Des dizaines ont été battus, des centaines embarqués dans des camions.
Vous avez eu accès à ces manifestants ?
Les cliniques privés étaient plutôt d’accord pour que nous les aidions. Les hôpitaux publics, eux, nous ont fermé la porte. On s’était pourtant préparés à la répression. Dès début septembre, on avait acheté des stocks de médicaments. Mais apparemment, les blessés ne voulaient pas aller dans les hôpitaux, surtout publics, de peur d’être enregistrés et dénoncés.
Dans les villages où vous travaillez, la répression a-t-elle frappé aussi ?
Moins. Même si les soldats sont armés, et en position. Dans ces zones de guérilla nettoyées où des villages sont encore déplacés, la situation est celle d’une urgence chronique et silencieuse. Les villageois ont besoin d’autorisation pour aller cultiver. La dictature est parfois ubuesque : le gouvernement vient de décréter que tous les fonctionnaires devaient planter 3 millions d’hec tares de jatropha pour produire du biodiésel. Résultat : les enseignants ou les médecins s’absentent pour aller bêcher.
Comment les Birmans voient-ils la suite ?
Ils ont un point de référence : 1988 et ses 3 000 morts. Ils savent aussi que la donne a changé et qu’Internet joue un rôle presque aussi important que les négociations diplomatiques. Ils oscillent désormais entre désabusement et crainte.
« En Birmanie, une longue et sourde répression commence »
Une Française, qui réside à Rangoun, témoigne de la répression qui s’abat sur la Birmanie.
Par Arnaud Vaulerin
LIBERATION.FR : jeudi 4 octobre 2007
Les informations sont rares en provenance de la Birmanie soumise à un sévère répression militaire et policière. Une française, qui vit dans le centre-ville de Rangoun et souhaite rester anonyme, raconte le quotidien des Birmans. Voici son témoignage recueilli jeudi matin par Liberation.fr
« Depuis mercredi, des listes de noms de personnes recherchées sont dressées dans les commissariats de quartiers. Les autorités disposent de photos prises lors des manifestations qui permettraient de procéder aux arrestations. C’est une longue et sourde répression qui commence.
L’armée semble un peu débordée par l’ampleur des arrestations. Apparemment, elle ne sait plus très bien comment gérer le flux de ces personnes. Des prisonniers ont été parqués dans des stades et sur un champ de course.
J’ai appris que certains membres de la police ou de l’armée proposaient aux personnes d’acheter leur libération fixée entre 40.000 et 50.000 kyatts (40 dollars environs, une somme conséquente).
La ville est pacifiée, mais il y a encore parfois des petits rassemblements sporadiques. Certains ont permis de protéger des bonzes que l’armée voulaient arrêter, notamment au monastère de Taketa, dans le quartier Kamayut. Un nouveau couvre feu a été décrété entre 22 heures et 4 heures du matin. La population est amère et déçue.
Il y a des militaires à tous les coins de rue. En cas d’altercation, les menaces contre les occidentaux qui voudraient témoigner peuvent être rapides. Il y a toujours eu une importante propagande anti-étrangère en Birmanie. Aujourd’hui, elle s’amplifie. Parfois, les Birmans n’osent plus regarder ou être vu avec un étranger dans la rue. Nous devenons une menace pour eux. La population a peur. »