ISLAMABAD CORRESPONDANTE
En l’absence des parlementaires de l’opposition qui avaient démissionné ou boycotté le scrutin, le général-président Pervez Musharraf a facilement remporté, samedi 6 octobre, l’élection présidentielle pakistanaise. Mais son sort reste suspendu à une décision de la Cour suprême, qui doit se prononcer sur la validité de sa candidature, M. Musharraf n’ayant pas renoncé à ses fonctions de chef d’état-major des armées. Même si la plupart des analystes s’accordent pour penser que la Cour ne va pas recaler le général, son élection ne pourra être validée, au mieux, que dans une dizaine de jours.
Cette incertitude n’a pas empêché les partisans de M. Musharraf de crier victoire et de se féliciter d’avoir réussi à diviser les partis d’opposition, qui n’ont pas été capables d’élaborer une stratégie commune contre le régime militaire.
« Nous avons pris des mesures politiques intelligentes et la division de l’opposition est un succès de notre stratégie », a affirmé, dimanche, le premier ministre, Shaukat Aziz. Celui-ci faisait allusion à « l’ordonnance de réconciliation nationale » taillée sur mesure pour satisfaire l’ex-premier ministre Benazir Bhutto et séparer son parti, le Parti du peuple pakistanais (PPP), des autres formations de l’opposition. Cette ordonnance prévoit l’amnistie pour tous les cas de corruption et blanchiment d’argent impliquant Mme Bhutto et son mari, Asif Zardari.
La réélection en pointillé du général Musharraf, qui a promis d’abandonner son uniforme de chef de l’armée avant le 15 novembre, date de l’expiration de son mandat actuel, est loin de mettre fin à la crise que traverse le pays. Même si, comme le général s’en est vanté samedi, « démocratie signifie majorité, que l’opposition soit là ou pas », son élection manque cruellement de légitimité.
« L’élection n’a pas de valeur morale ou constitutionnelle », affirme Raja Zafar ul-Haq, un des leaders de l’Alliance pour la restauration de la démocratie et fidèle de l’ex-premier ministre Nawaz Sharif. « Ni constitutionnellement ni selon les traditions et valeurs politiques, il n’était éligible pour être candidat ou être élu dans une élection présidentielle », affirme Iqbal Haider, secrétaire général de la commission indépendante des droits de l’homme.
Le désintérêt quasi total de la population pour cette élection est aussi un indice de l’écart grandissant entre la classe dirigeante et au moins la moitié des 160 millions de Pakistanais qui luttent quotidiennement pour survivre. Cet écart joue en faveur des partis religieux et ceci d’autant plus que le pouvoir a joué l’apaisement vis-à-vis des militants islamistes. « Le gouvernement a choisi de regarder ailleurs quand les militants ont dynamité des écoles de filles et des boutiques de vidéos, ont menacé des professeurs, des étudiants, des docteurs, des infirmiers, des travailleurs humanitaires et des barbiers », dénonce l’avocate très respectée des droits de l’homme Asma Jehangir.
Les incidents très violents qui ont opposé, samedi et dimanche, dans la zone tribale du Waziristan, frontalière de l’Afghanistan, les islamistes et l’armée montrent l’étendue de la présence et la force de ces talibans pakistanais qui ont longtemps bénéficié du soutien tacite des autorités. Selon les différents bilans, près de 100 personnes, dont au moins 20 soldats, des dizaines de civils et une cinquantaine d’islamistes ont été tués dans ces affrontements où l’armée est intervenue avec des chasseurs bombardiers et des hélicoptères de combat. Les actions des talibans, dont l’influence dépasse les seules zones tribales, font planer une ombre sur la tenue des élections législatives qui doivent avoir lieu au plus tard au début de l’année 2008.
Sur le plan politique, l’alliance voulue, sinon imposée, par les Etats-Unis entre le général Musharraf et Mme Bhutto risque d’être de courte durée. Les deux personnages se méprisent et ont dit par le passé pis que pendre l’un de l’autre. Mme Bhutto espère regagner son poste de premier ministre à l’occasion des élections législatives qu’elle veut « libres et honnêtes ». Le général Musharraf, qui sait sa popularité en perte de vitesse, à l’image de son parti, divisé et miné par les ambitions personnelles, va certainement, une fois de plus, tout faire pour obtenir le résultat qu’il souhaite au risque d’aggraver le désenchantement de la population vis-à-vis du système.
Ces jeux politiques, qui vont durer jusqu’au début 2008, risquent de détourner l’attention des vrais problèmes que sont la lutte contre l’extrémisme islamique et contre une pauvreté qui s’accroît. Appelé à succéder au général Musharraf comme chef de l’armée, le général Ashfaq Parvez Kiani devra prouver qu’il sera plus efficace dans la lutte contre les islamistes radicaux qu’il ne l’était lorsqu’il dirigeait, de 2004 à 2007, l’Inter Services Intelligence (ISI), le service de renseignement.
Article paru dans le Monde, édition du 09.10.07.
LE MONDE | 08.10.07 | 11h49 • Mis à jour le 08.10.07 | 11h49.
Victoire sans surprise de Pervez Musharraf à l’élection présidentielle
Le chef de l’Etat Pervez Musharraf a largement remporté, samedi 6 octobre, sans surprise, l’élection présidentielle au suffrage indirect au Pakistan, mais il ne peut être proclamé officiellement réélu avant un jugement de la Cour suprême sur son éligibilité attendu dans 11 jours au mieux.
« C’est une victoire écrasante pour le président Pervez Musharraf », s’est félicité auprès de un haut responsable du gouvernement, sous couvert de l’anonymat, après les votes des deux chambres du Parlement et de quatre assemblées provinciales du pays. La télévision publique PTV a également annoncé la victoire du général Musharraf à l’élection présidentielle. M. Musharraf a remporté 252 des 257 suffrages exprimés dans les deux chambres du Parlement, a décompté le chef de la commission électorale, Qazi Mohammad Farooq, en direct sur PTV.
Le chef de l’Etat sortant « a remporté 99 % des suffrages exprimés dans les quatre assemblées provinciales », a assuré pour sa part le responsable gouvernemental. D’autres hauts fonctionnaires ont confirmé, mais sans donner de chiffres exacts, la victoire de M. Musharraf dans les assemblées du Pendjab, du Sindh, du Baloutchistan et de la Province de la frontière du nord-ouest (NWFP), qui lui étaient largement acquises. L’un de ses deux rivaux, le juge à la retraite Wajihdduin Ahmad, a recueilli deux suffrages seulement au Parlement et le reste des bulletins ont été rejetés, a ajouté le président de la commission électorale. Quelque 30% d’élus du collège électoral, membres de l’opposition, avaient démissionné de toutes les assemblées pour protester contre la candidature de M. Musharraf.
Mais même massivement vainqueur dans les urnes, le général-président pourrait être juridiquement disqualifié dans deux semaines. En effet, dans un arrêt inattendu vendredi, la Cour suprême avait autorisé la tenue de l’élection mais ordonné que ses résultats ne soient pas officiellement proclamés avant qu’elle ne statue sur des recours de l’opposition. Et la haute juridiction ne commencera à les examiner que le 17 octobre. La Cour est appelée à se prononcer à la fois sur l’éligibilité du général Musharraf et sur la validité même du scrutin. L’élection s’est déroulée dans le calme, malgré de fortes craintes d’attentats, 15 jours après qu’Oussama ben Laden eut déclaré le « jihad » au général Musharraf et son armée.
Seuls quelque 500 avocats ont affronté la police à Peshawar (nord-ouest), criant « Musharraf, va-t-en ! », jetant des pierres et tentant d’incendier un véhicule de police.
Mais l’enjeu principal pour le Pakistan n’est pas tant la présidentielle, que les législatives prévues début 2008, au suffrage universel direct. Le camp Musharraf n’est en effet pas assuré d’emporter la majorité nécessaire pour gouverner. C’est dans cette optique que le chef de l’Etat a signé vendredi un décret amnistiant l’ancien Premier ministre Benazir Bhutto des accusations de corruption qui l’avaient poussée à l’exil en 1999, ouvrant la voie à un partage du pouvoir, grâce à une alliance avec le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) de Mme Bhutto aux législatives.
LEMONDE.FR avec AFP | 06.10.07 | 14h01 • Mis à jour le 06.10.07 | 14h02
Imbroglio juridique au Pakistan pour l’élection présidentielle
ISLAMABAD DE NOTRE CORRESPONDANTE EN ASIE DU SUD
Les opérations pour l’élection du onzième président pakistanais ont débuté sous très haute sécurité samedi 6 octobre à Islamabad, Lahore, Peshawar, Karachi et Quetta.
Assuré d’être élu puisque les députés de l’opposition ont pour la plupart démissionné de leur siège - le chef de l’Etat est élu par un collège de grands électeurs composé du Parlement et des assemblées locales - le général-président Pervez Musharraf ne connaîtra toutefois son sort qu’après le 17 octobre. C’est en effet à partir de cette date que la Cour Suprême reprendra ses débats sur la validité de sa candidature en tant que chef de l’armée.
Vendredi, les juges avaient décidé de laisser se dérouler l’élection mais ont enjoint la Commission électorale d’attendre l’annonce des résultats. C’est dans une chambre à la moitié des fauteuils inoccupés et dans un calme inhabituel que le vote se déroule à Islamabad, le président du scrutin appelant chaque député par ordre alphabétique.
Des centaines de policiers encerclent le Parlement. A quelque distance de là se tiennent silencieusement les familles des personnes arbitrairement enlevées par l’armée ou la police qui brandissent les photos de leurs disparus.
La situation est très calme à Islamabad où la journée n’est pas fériée. Pour la population occupée à trouver de quoi célébrer dans une semaine la fête de l’Aïd qui marque la fin du Ramadan, ce scrutin est un jeu entre politiciens dont elle n’a rien à attendre.
Dans leur immense majorité les Pakistanais sont plus préoccupés par l’augmentation des prix, l’accroissement de la pauvreté et de l’insécurité. « Cela ne changera rien pour nous. Le roti (pain) a augmenté et mon problème est de nourrir ma famille » affirme Indreas, un balayeur municipal. « Les politiques s’arrangent toujours entre eux et nous sommes toujours les victimes » dit pour sa part Rafiq, un ancien soldat reconverti dans le gardiennage.
« RÉCONCILIATION NATIONALE »
Au lendemain de la signature par le premier ministre, M. Shaukat Aziz de « l’ordonnance de réconciliation nationale » qui met fin à toutes les poursuites pour corruption visant la présidente du Parti du Peuple Pakistanais (PPP) Benazir Bhutto et son mari Asif Zardari, les députés du PPP n’ont pas démissionné de la chambre mais ils ne voteront pas pour le général Musharraf. Candidat lui même, le vice président du PPP, Makhdoom Amin Fahim, a affirmé devant le Parlement réuni avant l’ouverture du scrutin qu’il « ne pouvait pas voter pour une personne en uniforme comme président ». L’autre candidat, présenté par les avocats, l’ancien juge Wajihuddin Ahmad, a pour sa part affirmé : « Aujourd’hui les représentants du peuple doivent décider s’ils ont besoin d’un général d’active ou d’un membre de la société civile comme président ».
La décision de la Cour suprême laisse planer le doute sur l’avenir du processus même si les partisans du président Musharraf ont marqué un point puisque les juges ont accepté que les assemblées dont le mandat expire le 15 novembre puissent élire un président pour les cinq prochaines années. La lutte du général Musharraf pour garder le pouvoir est toutefois loin d’être finie et son sort dépendra sans doute plus du prochain parlement qui doit être élu au plus tard en février 2008. L’accord conclu avec Mme Bhutto pourrait ne pas livrer tout ce que chacun en attend tant cette alliance est impopulaire y compris chez beaucoup de fidèles du PPP. De plus le général s’est engagé devant la Cour suprême à abandonner l’uniforme et donc les pouvoirs qui s’y attachent avant le 15 novembre, date de l’expiration du mandat présidentiel.
Françoise Chipaux
Encart
UN SCRUTIN INDIRECT
COLLÈGE ÉLECTORAL.
Le président est élu par le Parlement fédéral (l’Assemblée nationale, 342 membres, et le Sénat, 100 membres) et les quatre assemblées provinciales : assemblée du Pendjab à Lahore (297 membres) ; du Sind à Karachi (168 membres) ; de la Province frontalière du nord-ouest à Peshawar (119) ; et du Baloutchistan à Quetta (68). Environ 200 députés de l’opposition ont démissionné pour protester contre la candidature du président Musharraf tant qu’il n’a pas renoncé à sa fonction de chef de l’armée.
OPÉRATIONS DE VOTE.
Le scrutin à bulletin secret est organisé simultanément de 10 heures à 15 heures locales
(GMT + 5) dans toutes les assemblées concernées. Il n’y a pas de quorum et le candidat qui recueille le plus grand nombre de voix est élu.
LES PRINCIPAUX CANDIDATS
Le général Pervez Musharraf, 64 ans, au pouvoir depuis le coup d’Etat militaire de 1999 ; Makhdoom Amin Faheem, du Parti du peuple pakistanais (PPP), de l’ex-premier ministre Benazir Bhutto ; Wajihuddin Ahmed, 69 ans, ancien juge de la Cour suprême et candidat des avocats.
Article paru dans le Monde, édition du 07.10.07.
LE MONDE | 06.10.07 | 14h32 • Mis à jour le 06.10.07 | 15h30