Le développement du télétravail est dû essentiellement à quatre facteurs. Il est d’abord lié à l’évolution technologique et des prix. Le développement de l’équipement informatique des foyers, des accès à haut débit et des technologies sans fil facilitent le travail coopératif et le travail à distance. Plus de 43 % des foyers ont aujourd’hui un ordinateur, et plus de six millions de personnes sont abonnées au haut débit. Enfin, 95 % des entreprises sont aujourd’hui connectées. Ces nouveaux outils facilitent le travail à distance.
Le télétravail se développe également en raison des évolutions des entreprises, qui peuvent trouver, dans cette organisation du travail, un des outils de flexibilité, une des solutions répondant à l’ajustement. L’évolution des mentalités est également un des facteurs de croissance du travail à distance. Peu de salariés, aujourd’hui, peuvent faire toute leur carrière professionnelle dans la même entreprise, les risques de pertes d’emploi se généralisant pour l’ensemble du salariat. Cette situation conduit certains salariés à rechercher un peu plus d’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Pour eux, le travail à distance peut répondre à cette aspiration. La dernière raison du développement du télétravail est liée à l’actualité sociale : le 16 juillet 2002, la Confédération européenne des syndicats (CES) a signé un accord-cadre européen qui est devenu, fin septembre, la base de l’accord interprofessionnel national.
Le télétravail se décline sous quatre formes. Le télétravail en réseau, où le salarié travaille sur un site précis mais relève d’un manager localisé sur un autre site. Cette organisation ne modifie pas fondamentalement le lien qui existe entre le salarié et l’entreprise. En revanche, elle a une incidence sur les équipes de travail et de management. Le télétravail dans des locaux partagés, où le salarié travaille à distance de son équipe, dans des télécentres où sont également présents des travailleurs d’autres entreprises. Une telle organisation crée une plus grande distance entre les salariés et l’entreprise puisqu’ils ne travaillent plus au sein de leurs locaux. Mais elle ne modifie pas en profondeur la relation du salarié au travail, puisque ce dernier continue de se réaliser dans un temps et un lieu déterminé.
Salariat qualifié
La troisième forme de télétravail concerne le télétravail nomade. Tout en conservant un poste de travail physique au sein de l’entreprise, le salarié peut utiliser les technologies de l’information et les outils mobiles pour travailler depuis n’importe quel lieu. Cette organisation « nomadise » le travail qui, jusque-là, était considéré comme ne pouvant s’exercer que dans les locaux de l’entreprise. La dernière forme de télétravail est sans doute la plus connue puisqu’il s’agit du télétravail à domicile. On distingue trois situations : le télétravailleur exerce de façon exclusive à son domicile ; le travail se fait en partie au domicile et en partie dans l’entreprise ; et enfin, certaines entreprises sont organisées autour du télétravail à domicile et ne possèdent pas de locaux.
D’après une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), le télétravail concerne aujourd’hui environ 7 % de la population active salariée en France. Parmi elle, 2 % - soit environ 440 000 salariés - sont des télétravailleurs à domicile. La progression du télétravail en France est lente mais régulière. Le travail à distance se met souvent en place de façon ponctuelle, pour répondre à des situations individuelles, et donc de façon informelle, peu ou pas formalisée par un contrat de travail en bonne et due forme.
Le télétravail concerne aujourd’hui surtout les « cols blancs », des salariés qualifiés. Pratiquement aucun ouvrier et peu d’employés peuvent être considérés comme des télétravailleurs. Près de la moitié des télétravailleurs à domicile sont des ingénieurs et des cadres ; près d’un tiers d’entre eux émanent des professions intermédiaires. Les femmes sont minoritaires parmi les télétravailleurs. Notons que le fait qu’une femme soit télétravailleuse à domicile ne dépend pas du fait qu’elle ait des enfants, ni du nombre d’enfants, contredisant la thèse selon laquelle le télétravail serait favorisé par le souhait des femmes de pouvoir mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle. Deux secteurs d’activités utilisent de façon importante le télétravail : le secteur financier et les services aux entreprises. Il existe également quelques entreprises pilotes où le télétravail est formellement mis en place. Parmi ces entreprises, on peut citer EDF-GDF, France Télécom et IBM France. Ces entreprises ont formalisé le télétravail par le biais de charte ou d’avenant au contrat de travail.
Le télétravail dans la fonction publique est très rare, et le plus souvent mené à l’initiative des agents eux-mêmes. Néanmoins, il existe un guide d’information sur le télétravail dans la fonction publique et des protocoles d’accord (rectorat de l’académie de Bordeaux en 1994).
Gains de productivité
La majorité des télétravailleurs nomades sont en contrat à durée indéterminée (CDI) et à temps plein. Mais les télétravailleurs à domicile peuvent être tout autant en CDI à temps plein ou à temps partiel qu’en contrat précaire (contrat à durée déterminée ou intérim). Les télétravailleurs ont des horaires plus souples : la majorité d’entre eux déterminent librement leurs horaires, mais cette « liberté » s’accompagne souvent de débordements du travail sur le temps privé. Les télétravailleurs sont nombreux à déclarer travailler la nuit et le week-end.
Le télétravail se développe également en Europe (lire encadré ci-dessous). Les pays scandinaves ont une pratique du télétravail plus développée : il concerne environ 10 % de la population active et principalement les salariés qui travaillent en alternance au bureau et au domicile. En Angleterre, la dernière enquête, qui date de 2001, démontrait que 2,2 millions de salariés, soit 7,4 % de la population active, étaient concernés par le télétravail. Mais dans la plupart des pays européens, il n’existe pas de cadre législatif particulier. En revanche, certains pays, comme l’Angleterre et l’Irlande, se sont dotés de codes de bonne conduite, parfois inspirés de l’accord-cadre européen de 2002.
Le développement du télétravail, en Europe en général et en France en particulier, est dû essentiellement à des recherches de gains supplémentaires de productivité, voulues par les patrons. Le télétravail réduirait le taux d’absentéisme et les salariés seraient plus concentrés... Cette organisation du travail permet également aux entreprises de développer leurs gains dans le domaine de l’immobilier. Pour les travailleurs, le télétravail permettrait également d’avoir une meilleure qualité de vie, en permettant une certaine autonomie et une plus grande souplesse dans le travail. Mais le développement du télétravail facilite également l’accès au travail des personnes handicapées.
Accord normatif
En dépit de ces « avantages », le télétravail suscite de nombreuses interrogations. Comme nous l’avons noté plus haut, en France, le télétravail se développe surtout de façon informelle et soulève donc des problèmes qui avaient été résolus pour le travail classique au sein de l’entreprise. C’est le cas des accidents de travail. Le télétravailleur déclarant un accident de travail au domicile doit faire la preuve que l’accident est imputable à l’activité professionnelle, ce qui n’est pas le cas dans le cadre normal. De plus, comment vérifier que le télétravailleur ne dépasse pas ses horaires de travail et qu’il bénéficie bien de son temps de repos, que les heures supplémentaires soient effectivement payées, même si aujourd’hui les technologies de l’information représentent un moyen de preuve très efficace, car elles permettent de garder des traces de son activité. Comment éviter aussi la rupture avec le collectif de travail ? Le télétravail suppose une distance avec le collectif de travail, qui peut entraîner une rupture d’égalité de traitement avec les autres travailleurs. Cette rupture d’égalité peut intervenir à tous les niveaux : celui de l’équipement, de la formation, du déroulement de la carrière, de la stabilité de l’emploi ou encore de l’accès aux institutions représentatives du personnel et aux organisations syndicales.
La croissance des technologies de l’information et de la communication permet un développement du télétravail qui modifie en profondeur l’organisation même du travail. Le télétravail offre des opportunités importantes aux entreprises et un certain nombre de salariés s’y retrouvent. Mais de nombreux problèmes subsistent. L’accord interprofessionnel normatif national signé par toutes les confédérations syndicales, fin septembre, y répond partiellement puisqu’il formalise les règles sociales du télétravail. Cet accord définit celui-ci comme « une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information dans le cadre d’un contrat de travail et dans laquelle un travail, qui aurait pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière ».
L’accord souligne que le télétravail ne peut en aucun cas être imposé aux salariés. Il rend obligatoire le principe de réversibilité, selon lequel un salarié choisissant le télétravail a le droit de demander à revenir à tout moment dans les locaux de l’entreprise. Les salariés concernés bénéficieront d’une priorité d’accès aux postes vacants. De plus, l’accord confère aux télétravailleurs les mêmes droits, ainsi que les mêmes avantages légaux et conventionnels, que ceux qui sont applicables aux salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise. Certes, cet accord est une avancée. Il améliore l’accord-cadre européen et considère un peu plus le télétravailleur comme un salarié à part entière. Mais beaucoup d’interrogations demeurent. Notamment sur l’accès à la formation, sur l’appartenance au collectif et les liens avec les autres salariés.
ENCART
Le télétravail en Europe
France. On estime le nombre de télétravailleurs à 7 % de la population active.
Royaume-Uni. En 2001, 2,2 millions de salariés étaient concernés par le télétravail, soit 7 % de la population active salariée.
Allemagne. 2,2 millions de salariés en 2003, soit 6,9 % de la population active salariée.
Suède. 450 000 salariés, soit environ 10 % de la population active salariée.
Espagne. Les seules données officielles disponibles concernent les salariés travaillant dans le cadre d’un contrat de télétravail. Leur nombre est estimé à 27 500, soit 0,2 % du nombre total des salariés.
Irlande. En 2002, on estimait à environ 40 000 le nombre de télétravailleurs à domicile, soit 2,3 % de la population active. Les travailleurs nomades sont exclus de cette enquête.
Autriche. Le télétravail est compris comme étant du travail à la fois au domicile et au bureau, avec un à deux jours maximum de présence au domicile. La dernière enquête date de 2002, où il était estimé que 3,9 % des salariés étaient en télétravail alterné.