« Les OGM sont sans danger puisque les experts le disent. » C’est le genre de déclaration que font les décideurs politiques avant que n’éclate un grand scandale alimentaire ou environnemental. C’était le cas pour la maladie de la vache folle et sa prétendue non-transmissibilité à l’homme, mais aussi pour l’hécatombe des abeilles butinant les plantes arrosées par l’insecticide Gaucho.
Des études montrant l’existence d’un risque sanitaire sont publiées, mais elles n’ont pas voix au chapître. À l’opposé, les comités d’experts désignés par les gouvernements rendent souvent des avis favorables aux dossiers déposés par les industriels demandeurs. Les experts officiels représentent la vérité pour les décideurs politiques, et ces derniers le font savoir avec bruit et fracas. Le cas des OGM est particulièrement révélateur des dysfonctionnements en matière d’expertise.
Il faut tout d’abord avoir à l’esprit que les dossiers concernant les plantes transgéniques à évaluer sont entièrement fournis par les demandeurs, à savoir les multinationales, qui entendent commercialiser leurs produits. Ces dossiers comprennent la description de la variété mais aussi, et c’est inquiétant, l’ensemble des analyses (composition alimentaire, risque environnemental et sanitaire) réalisées par les laboratoires industriels eux-mêmes. Le conflit d’intérêts est évident.
Des décisions non démocratiques
Pour avoir le droit de commercialiser un OGM sur le marché européen, l’industrie doit recueillir un avis favorable d’une des deux instances européennes, le Conseil des ministres ou, à défaut, la Commission européenne.
Les demandes d’autorisation passent, dans un premier temps, par les comités d’experts propres à chacun des États membres de l’Union - pour la France, il s’agit de la Commission du génie biomoléculaire (CGB). En s’appuyant sur les avis publiés par ces comités, le Conseil des ministres des États membres décide, à la majorité qualifiée, s’il adopte ou rejette le dossier. Jusqu’à maintenant, les États ont été tellement divisés sur les demandes d’autorisation d’OGM qu’il a été impossible d’atteindre cette majorité pour ou contre un OGM. Dans ce cas, c’est la Commission européenne qui décide. Elle demande alors à son propre comité d’experts d’évaluer le dossier. Créée en 2002, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Aesa) est chargée d’évaluer les dossiers et de rendre son avis à la Commission. De par le fonctionnement même du processus d’autorisation, l’avis de l’Aesa supplante complètement celui des États membres. Depuis sa création, l’Aesa n’a rejeté aucun dossier et la Commission européenne s’appuie sur son avis, malgré les avis divergents entre les États membres. L’Aesa n’est donc rien d’autre qu’un outil de communication du risque, mis en place par la Commission au-dessus des États membres, c’est la clé de voûte du processus d’autorisation des OGM. Dans le cas du maïs Bt11, par exemple, pour lequel la Commission a accordé l’autorisation, seulement six États membres étaient favorables.
Les vingt membres du groupe OGM de l’Aesa ne sont que des scientifiques, il n’y siège aucun représentant de la société civile, ni aucune association de consommateurs. Afin de garantir la transparence et l’indépendance des experts de l’Aesa, ceux-ci sont priés de remplir une déclaration d’intérêt, mais d’anciens membres du comité scientifique OGM de l’Aesa ne remplissaient pas cette déclaration. Le scientifique allemand Hans-Jörg Buhk, par exemple, faisait partie du comité de pilotage de la Conférence internationale des biotechnologies agricoles de 2004. Cette conférence pro-OGM, très médiatisée, était sponsorisée notamment par Bayer et BASF. Il semble évident que des scientifiques qui participent à un comité aussi influent ne devraient avoir aucun engagement qui puisse prêter à suspicion. De plus, Hans-Jörg Buhk et son collègue Detlef Bartsch, tous deux très connus pour leurs positions pro-OGM, ont participé à une vidéo produite par l’industrie des biotechnologies pour en faire la promotion. Est-il normal que des gens qui ont fait publiquement la promotion des biotechnologies puissent jouer un rôle clé dans les autorisations d’OGM ?
Un autre élément troublant concerne les experts extérieurs appelés, par le comité, à contribuer à l’évaluation des dossiers. Le comité utilise fréquemment les services du docteur Richard Phipps, de l’Université de Rochester (USA). Celui-ci est connu pour son soutien à l’introduction d’OGM et comme signataire d’un texte pour soutenir les biotechnologies agricoles. Il a mené des recherches pour les compagnies de biotechnologies, comme Monsanto et Bayer. Il a même été cité dans un communiqué de presse de Monsanto, en 1999, dans lequel il affirmait que les producteurs de lait des États-Unis « avaient de la chance » de pouvoir shooter leur bétail aux hormones de croissance.
Collusion et compromission
Pour terminer, intéressons-nous au président du comité scientifique OGM de l’Aesa, le professeur néerlandais Harry Albert Kuiper. Cet homme, ainsi que plusieurs membres du comité scientifique, a participé au projet ENTRANSFOOD, financé par l’Union européenne. Le but de ce projet était de s’accorder sur des procédures d’évaluation et de gestion des risques et de communication afin de « faciliter l’introduction des OGM en Europe et d’amener ainsi l’industrie européenne dans une position compétitive ». Le professeur Kuiper, qui coordonna le projet ENTRANSFOOD, participait à un groupe de travail qui comprenait des représentants de Monsanto, Bayer et Syngenta.
Certes, un esprit convaincu de l’honnêteté intellectuelle des experts peut penser qu’une collusion avec l’industrie alimentaire ne signifie pas pour autant compromission. Si seulement... Le professeur Gilles-Éric Seralini (experts de la CGB et auteur d’une étude pointant la toxicité du maïs OGM mon863, pourtant autorisé à la mise sur le marché) met les pieds dans le plat. Il avoue dans un reportage (« Envoyé Spécial », France 2) d’avril 2007 : « On a tous été approchés par des cabinets privés qui nous proposent quelques milliers d’euros de l’heure, voire plus, selon la responsabilité que vous avez, pour [...] être favorable aux biotechnologies. » Même s’il est possible qu’il y ait un gel des cultures OGM à l’issue du Grenelle de l’environnement, il est en revanche plus qu’improbable que ces cyniques procédures d’évaluation soient remises en cause.