Malgré les appels du nouveau régime pro-occidental, l’Afghanistan continue à être bombardé. Des innocents meurent chaque jour. Oussama Ben Laden est toujours en liberté, mais l’attention s’est déjà déplacée sur le Pakistan. Les effets déstabilisateurs de la guerre en Afghanistan étaient toujours susceptibles d’être ressentis ici d’abord. Les raisons sont évidentes.
La population pachtoune de la province nord-ouest du Pakistan a des liens linguistiques et ethniques avec la région qui a constitué la principale base des Talibans en Afghanistan. Le même courant islamique deobandi est fort des deux côtés de la frontière. (...) Une assez grande partie des forces talibanes sont simplement rentrées au Pakistan. Certains sont sans aucun doute démoralisés et heureux d’être en vie, mais une importante minorité est sans doute irritée par la trahison d’Islamabad et compte s’allier avec les groupes fondamentalistes armés déjà existants dans le pays.
Les chefs des sectes les plus virulentes qui prônent le jihad ont été arrêtés, mais qui désarmera leurs militants ? Jusqu’à la toute fin de l’an dernier, quelques leaders islamistes se vantaient d’avoir choisi 20 villes où la loi islamique serait imposée. La menace voilée était claire. Si une autorité quelconque essayait de s’y opposer, ils déclencheraient une guerre civile. Lorsque la dernière guerre afghane a éclaté, Washington n’a pas caché sa crainte qu’une intervention occidentale massive en Afghanistan, qui utiliserait ouvertement le Pakistan comme rampe de lancement, pourrait déclencher des troubles majeurs, voire même un coup d’Etat contre un régime collaborateur. Les USA ont tout fait pour ne pas faire perdre la face au général Musharraf, le maître du Pakistan, tout en s’assurant de la loyauté pratique d’Islamabad. En retour, les sanctions ont été levées et l’argent et les armes les plus récentes ont à nouveau coulé à flots au Pakistan.
Un régime contesté...
Mais maintenant que les Talibans ont été vaincus, qui peut être sûr que les divers cache-sexe éviteront vraiment au Pakistan les foudres des fidèles ? Tout dépend de l’unité du corps des officiers. Le fondamentalisme sunnite s’est aussi infiltré dans les rangs des forces armées, à un point difficile à évaluer. A travers le pays, l’islamisme radical d’un courant ou d’un autre fait du bruit, bien qu’étant minoritaire. De plus, le régime militaire du général Musharraf est lui-même une création très récente et pas très solide, qui n’a que peu d’appui civil réel.
L’abandon de leur propre création en Afghanistan sera une pilule amère pour de nombreux membres de l’armée, spécialement dans les rangs subalternes, où l’influence religieuse est la plus forte. Cependant, même des officiers aux positions plus laïques ne sont pas satisfaits du résultat. La prise de pouvoir des Talibans à Kaboul était la victoire de l’armée du Pakistan seule. En privé, l’élite dirigeante - officiers, bureaucrates et politiciens - s’était mutuellement congratulée d’avoir gagné une nouvelle province. L’Aghanistan avait presque compensé la défection du Bangladesh en 1971. Comme pour remuer le couteau dans la plaie, l’Alliance du Nord et son premier ministre choisi par Washington, Hamid Karzaï, viennent de manifester leur intention de bâtir des relations étroites avec l’Inde, comme c’était le cas de 1947 à 1989. (...)
Il est vrai que dans des hautes sphères, la croisade américaine contre les Talibans a été vue comme une bénédiction. Car d’un seul coup elle a permis aux généraux pakistanais de retrouver leur priorité traditionnelle régionale pour Washington, leur a assuré des crédits dont ils avaient désespérément besoin et a levé les oppositions à leur arsenal nucléaire. (...)
... mais durable
Cependant, l’étendue de la défaite du Pakistan est telle, qu’une fois que le flot d’armes et d’argent aura cessé, le général Musharraf pourrait bien être renversé de l’intérieur. Les généraux avides de pouvoir n’ont jamais été une denrée rare au Pakistan.
C’est ce qui rend la tension avec l’Inde potentiellement dangereuse. L’ironie est que le Pakistan est dirigé par un général laïque et l’Inde par un politicien fondamentaliste hindou, une combinaison idéale pour faire la paix. Pourtant, dans un sens, cela arrangerait les deux parties d’avoir une petite guerre. Le général Musharraf pourrait prouver qu’il n’est pas qu’un pion. Et Atal Behari Vajpayee, le Premier ministre indien, pourrait gagner une élection. Les habitants du Cachemire continueraient à souffrir. Mais qu’est-ce qui pourrait garantir une petite guerre ?
Cachemire : la pomme de discorde
Le fait est que l’infiltration par le Pakistan de groupes jihadistes, comme le Lashkar-e-Tayyiba et le Jaïsh-e- Mohammed, dans le Cachemire occupé par l’Inde a créé un instrument militaire alternatif, qu’Islamabad finance et équipe, mais ne peut contrôler totalement - comme les Talibans. Il est clair que l’attaque contre le parlement indien a été menée par l’un de ces groupes pour provoquer un conflit plus sérieux. Quelques jihadis ne se soucient pas beaucoup du Pakistan comme d’une entité. Leur but est de restaurer le pouvoir musulman en Inde. Des fous ? Oui, mais armés et capables de faire des ravages dans les deux pays. Si le général Musharraf ne s’occupe pas de cette menace, M. Vajpayee le fera.
Si Washington peut mener sa « guerre contre le terrorisme », pourquoi Delhi ne le peut-elle pas ? (..) La menace d’une guerre indo-pakistanaise a attiré l’attention de Washington : comment satisfaire les Indiens sans déstabiliser le Pakistan ? Le temps est peut-être venu de sacrifier le général Musharraf au nom d’un retour à la démocratie au Pakistan. Le problème est qu’aucun politicien civil n’est assez fort pour défier l’armée, qui a dirigé le pays plus longtemps que n’importe quel parti politique.
La véritable solution est au Cachemire, enjeu d’une dispute qui pourrait conduire à un conflit nucléaire. Les habitants de cette région ont souffert suffisamment longtemps. La brutalité de l’occupation indienne en a chassé beaucoup vers le Pakistan, mais le comportement des infiltrés islamistes a choqué la plupart des Cachemiris. La seule pensée d’une talibanisation a causé la fuite de nombreux professionnels instruits, hommes et femmes. Ils voudraient se débarrasser de leurs deux grands voisins.
Un Cachemire autonome, qui partagerait sa souveraineté tout à la fois avec l’Inde, le Pakistan, et même la Chine, pourrait devenir un havre de paix dans la région. Tôt ou tard, la situation exigera une solution semblable, mais doit-on attendre une guerre pour ramener les politiciens à la raison ?