Champion de la « responsabilité sociale » des entreprises dans la mondialisation, apôtre du « développement durable » et zélateur du « dialogue social » avec les organisations syndicales, le leader mondial du ciment, le groupe français Lafarge, si prompt à ripoliner son image sur son site Internet ou dans ses rapports d’activité, n’a en tout cas guère le sens de l’hospitalité. Depuis vingt jours, une poignée de travailleurs sud-coréens, ex-salariés d’un sous-traitant filialisé par Lafarge en 2000 et licenciés en mars 2006 après avoir tenté de monter un syndicat dans leur entreprise, campent devant le siège du géant du BTP, dans le 16e arrondissement de Paris. Et, jusqu’ici, la direction de Lafarge fait semblant de rien. « Ils ne sont vraiment pas très accueillants, confie Chae Hee-jin, bandeau de lutte serré sur le crâne. On attend toujours qu’ils nous répondent sur nos revendications, mais ça ne bouge pas… En même temps, on sent bien que notre présence à Paris commence à les embarrasser parce qu’en fin de semaine dernière le PDG français de Lafarge Corée nous a dit qu’après dix-huit mois de conflit là-bas, il était prêt à rediscuter si nous quittions Paris sur le champ. C’est hors de question : on est venus et on ne repartira que quand ils nous auront réembauchés, qu’ils auront reconnu le syndicat et qu’ils auront payé des indemnités pour nous avoir licenciés il y a un an et demi. »
« Cette histoire illustre le fossé qui existe entre la vitrine et la pratique, argue Gilles Letort, secrétaire fédéral de la CGT construction, venu hier matin soutenir, avec une délégation de son syndicat, les travailleurs coréens. En France, Lafarge se prévaut d’une bonne réputation, mais en y regardant de plus près, on voit le décalage : reprise d’une cimenterie au Honduras après le licenciement des syndicalistes, grève de 3 000 ouvriers en Chine contre la perspective d’un rachat par Lafarge, soupçonné de vouloir réduire drastiquement les effectifs, et, en Corée du Sud, externalisation de centaines d’emplois, contraignant les salariés à trimer plus tout en gagnant moins… »
Les ouvriers sud-coréens brossent le portrait de Lafarge en donneur d’ordre : « Les salariés reçoivent des consignes des managers de Lafarge et utilisent des véhicules de l’entreprise pour faire leur boulot. Mais après la restructuration menée par le groupe français, il y a près de 1 600 précaires dans la cimenterie qui sont payés à 80 %, et pour certains à 40 %, du salaire des ouvriers de Lafarge. Ils doivent du coup faire des centaines d’heures supplémentaires par mois pour espérer survivre… Souvent, on travaille jusqu’à dix-huit heures par jour. » Devant la banderole du syndicat coréen KCTU - « les travailleurs coréens, nous ne sommes pas des esclaves, mais des humains » -, Francine Blanche, secrétaire confédérale de la CGT, interpelle : « Cela suffit, voilà vingt jours que ces salariés sont là et il n’y a toujours pas de solution. Or, quand on se pique de responsabilité sociale, le minimum du minimum, c’est de respecter les droits sociaux et la liberté syndicale. »