La péninsule coréenne, dernier foyer de tension hérité de la guerre froide, s’achemine-t-elle vers la détente ? La déclaration de paix signée le 4 octobre à Pyongyang par les dirigeants du Nord et du Sud, conjuguée aux engagements du régime nord-coréen de désactiver, avant la fin de l’année, sa centrale nucléaire et de révéler ses programmes atomiques, donnent à le penser. Un processus destiné à mettre fin à une situation figée dans l’hostilité depuis le conflit armé de 1950-1953, - dont l’essai nucléaire nord-coréen du 9 octobre 2006 est l’ultime « avatar » -, s’est mis en marche. Il peut se traduire par des évolutions rapides de la situation géopolitique de la péninsule, mais comporte aussi des incertitudes.
Alors que la déclaration de juin 2000 à l’issue du premier sommet entre les deux pays, qui a ouvert la voie à la réconciliation, restait sur le registre des généralités, le président sudiste Roh Moo-hyun et le dirigeant nordiste Kim Jong-il ont été plus loin en appelant à transformer l’armistice de 1953 en régime de paix et en énumérant plusieurs projets concrets de coopération économique intercoréenne.
A Pyongyang, à Séoul et désormais à Washington, en quête d’un succès diplomatique avec au moins l’un des trois pays de l’« axe du mal » - Irak, Iran, République populaire démocratique de Corée (RPDC) -, le réalisme semble prévaloir. Après beaucoup de temps perdu.
L’image parfois caricaturale du régime nord-coréen « n’a pas aidé à comprendre la complexe dynamique de la région », écrit Howard W. French dans l’International Herald Tribune. Et la menace que George Bush a fait peser sur la RPDC, en la plaçant dans l’« axe du mal » en 2002, « explique dans une large mesure le comportement du régime par la suite », poursuit le journaliste qui suit depuis de longues années l’Asie du Nord-Est depuis Tokyo puis Shanghaï
Le test nucléaire a donné à Kim Jong-il une carte dans son « bras de fer » avec les Etats-Unis. Cette nouvelle violation des principes de non-prolifération, conjuguée à la perte de la majorité des républicains au Congrès, a contraint George Bush à renverser sa politique à l’écart de la RPDC en passant de l’hostilité au dialogue.
Mais Kim Jong-il sait aussi que le temps joue en sa défaveur : son régime est sur le déclin et sa seule chance de survie est de s’intégrer à la communauté internationale par une normalisation des relations avec les Etats-Unis assortie de garanties de sécurité. Il peut espérer ainsi se dégager de la situation de paria international et redresser une économie moribonde. Au cours du sommet intercoréen comme des pourparlers multilatéraux à Six - la Chine, les deux Corées, les Etats-Unis, le Japon et la Russie -, Pyongyang a fait preuve d’une souplesse qui a surpris ses partenaires.
De son côté, la Corée du Sud a tout à gagner à une fin de l’état de guerre dans la péninsule alors que 2 millions d’hommes sont massés de part et d’autre de la zone démilitarisée séparant les deux pays. Cela oblige le budget sud-coréen à supporter des dépenses de défense considérables. La détente lui permettra d’exploiter les potentialités du Nord (minerais, main-d’œuvre à bas prix). Séoul voit en outre avec inquiétude la Chine faire main basse sur les ressources naturelles de la RPDC à la faveur de l’isolement de celle-ci. Une « colonisation » chinoise ressentie avec frustration à Pyongyang qui, dans la situation présente, ne peut que laisser faire : le régime dépend du soutien d’une Chine soucieuse de ne pas avoir un foyer de tension sur ses marches. Ce faisceau d’intérêts convergents explique les avancées de ces derniers mois. Il reste à les concrétiser.
La désactivation de la centrale nucléaire de Yongbyon, d’où a été extrait le plutonium utilisé pour l’essai atomique, doit être effective avant le 31 janvier 2008. Le réacteur est déjà arrêté sous la surveillance de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA). Sa désactivation est la suite logique de cette première étape. Une question plus délicate - non encore abordée par les Six - est celle des stocks de plutonium (une cinquantaine de kilos) et de l’arme atomique, ou des armes que détient la RPDC.
UNE DÉCLARATION SANS VALEUR CONTRAIGNANTE
Les Etats-Unis n’ont fixé aucune échéance - du moins publiquement - à la suppression de la RPDC de la liste des pays soutenant le terrorisme. Une mesure prise en 1988 - à la suite de l’attentat contre un avion de Korean Air par des agents du Nord - qui, s’ajoutant à l’interdiction du commerce « avec un pays ennemi » datant du conflit de 1950-1953, met la RPDC au ban des nations en dissuadant les entreprises de traiter avec elle de peur de rétorsions américaines. La levée des sanctions à l’égard de Pyongyang est une question sur laquelle George Bush doit faire face à une opposition au sein de son propre camp, hostile à tout « blanchiment » du régime nord-coréen.
La déclaration du 4 octobre constitue un nouveau pas vers la réconciliation intercoréenne, mais elle n’a pas de valeur contraignante au regard du droit international : elle n’est qu’une déclaration, non pas un accord ou un traité. Jusqu’à quel point le successeur de M. Roh - dont le mandat s’achève en février 2008 - se sentira-t-il lié par les engagements de ce dernier ?
Un point paraît néanmoins acquis : la participation à part entière de la Corée du Sud à la construction d’un régime de paix dans la péninsule. Bien qu’elle ait combattu, la Corée du Sud n’est pas signataire de l’armistice de 1953. L’accord a été paraphé du côté des alliés par les Etats-Unis (au nom des Nations unies), la Chine et la Corée du Nord. Et pour Pyongyang, le seul interlocuteur était Washington. Cette fois, le régime a entériné la participation du Sud en demandant avec elle de transformer l’armistice en régime de paix.
Dans le jeu diplomatique des grandes puissances dont est l’objet la péninsule, la Corée du Sud a été, jusqu’à présent, l’intervenant le plus faible. Le président Roh Moo-hyun aura eu le mérite, au cours de son mandat, de s’opposer, avec modération mais constance, à la politique d’étranglement de la RPDC de George Bush.
Du premier sommet intercoréen au second, Séoul a toujours accordé la primauté en termes d’efficacité au dialogue sur l’isolement. Le sommet intercoréen du 4 octobre renforce la crédibilité de cette politique d’engagement. La dernière manche de la crise coréenne est loin d’être jouée. Mais, avant la fin de l’année, les Etats-Unis et la Corée du Nord devront abattre un peu plus leurs cartes et clarifier ainsi leurs intentions.