La crise qui a éclaté en août 2007 aux Etats-Unis n’est pas surmontée, les
répercussions internationales seront importantes et durables. La bulle
immobilière a éclaté au mois d’août 2007 aux Etats-Unis et a secoué les
marchés financiers à l’échelle mondiale. La crise immobilière se conjugue à
une crise de la dette privée dans les pays les plus industrialisés.
Manifestement cette crise va durer plusieurs années. Le pire n’est peut-être
pas encore arrivé.
Les signes avant-coureurs étaient là : la croissance énorme de la
construction immobilière pendant plusieurs années [1] (encouragée par
la baisse des taux d’intérêt décrétée par la Réserve fédérale pour endiguer
la crise de 2000-2001) a abouti à une surproduction et une augmentation des
prix de l’immobilier qui a pris des formes spéculatives. La quantité
d’achats de nouveaux logements est en forte baisse depuis le début de
l’année 2007 tandis que la quantité de défauts de paiement des ménages dans
le remboursement du crédit hypothécaire est en forte hausse. Le maillon le
plus faible de la chaîne de l’endettement a cédé : les organismes financiers
qui s’étaient spécialisés dans l’octroi de crédits à taux élevés à des
ménages très endettés et disposant de faibles ou de moyens revenus (c’est ce
qu’on appelle le marché du « subprime mortgage ») se sont retrouvés en
difficulté du fait de la croissance du nombre de défauts de paiement (voir
encadré). Le problème, c’est qu’il ne suffit pas de remplacer ce maillon
faible pour que la chaîne puisse entraîner à nouveau le moteur économique.
D’autres maillons faibles risquent de céder.
Crise du subprime
Résumé d’une étude réalisée par le Wall Street Journal et publiée les 12-14
octobre 2007
En 2006, 29% des prêts hypothécaires étaient à haut rendement (càd à taux
d’intérêt élevé). Entre 2004 et 2006, sur 40,3 millions de prêts octroyés,
10,3 millions l’ont été avec des taux d’intérêt élevé. Un taux d’intérêt
élevé est un taux supérieur d’au moins 3% à celui des bons du Trésor de la
même durée. Beaucoup de prêts à haut taux d’intérêt contractés en 2006 vont
« seulement » voir leur taux d’intérêt grimper très fort en 2008 (ils
concernent un montant total de 600 milliards de dollars). En effet, pour
convaincre les clients de contracter un prêt hypothécaire à taux d’intérêt
élevé et variable, le taux des deux premières années est fixe, il n’augmente
que la troisième année. Le pire de la crise est peut-être à venir. Le Wall
Street Journal donne l’exemple d’une gérante d’un magasin de photocopieuses
qui a acheté une maison à Las Vegas pour 460 000 dollars en 2006. En
2006-2007, elle doit payer des mensualités de 3 700 dollars à un taux de
8,2% mais, en 2008, les mensualités s’élèveront à 8000 dollars à un taux de
14%. Entre-temps, avec la crise, sa maison ne vaut plus que 310 000 dollars
(la valeur de l’immobilier a diminué de plus de 30% en 2007 !!!). Elle a
arrêté de rembourser et perdra inexorablement la maison de ses rêves.
L’étude du Wall Street Journal montre que le subprime market mortgage à haut
taux ne concerne pas seulement les familles américaines à bas revenus : il
touche aussi la classe moyenne, comme le montre l’exemple précédent. Les
sociétés financières qui ont octroyé les prêts ont vendu leurs créances à de
grandes banques sous la forme de titres. Ces grandes banques les ont achetés
en masse et se retrouvent avec des paquets de titres qui ne valent plus
grand-chose. En 2004, 63% des crédits hypothécaires ont été achetés par les
banquiers de Wall Street qui, pour financer cette acquisition, ont émis et
vendus des billets de trésorerie (« commercial papers » [2]) à des «
investisseurs » en bourse. En 2006, ce sont 73% des nouveaux crédits
hypothécaires à haut taux qui ont été achetés par Wall Street.
Les organismes de crédits hypothécaires (comme les banques) ont prêté à long
terme (crédit hypothécaire) en empruntant à court terme (soit à des
déposants, soit sur le marché interbancaire dans un contexte de taux
d’intérêt historiquement bas, soit en vendant leurs créances hypothécaires à
des grandes banques ainsi qu’à des hedge funds). Le « problème », c’est
qu’ils ont prêté à long terme à un secteur de la population qui éprouve de
grosses difficultés à rembourser dans un contexte de surproduction de
logements qui a entraîné une forte dépréciation de leur bien immobilier (qui
sert de garantie à l’emprunt). Quand le nombre de défauts de paiement a
augmenté, ces organismes financiers ont commencé à éprouver des difficultés
à rembourser les emprunts à court terme qu’ils avaient contractés auprès des
autres banques. Ces dernières, pour se protéger, ont refusé de leur octroyer
de nouveaux prêts ou bien ont exigé des taux beaucoup plus élevés. Aux
Etats-Unis, 84 sociétés de crédits hypothécaires ont fait faillite ou cessé
au moins partiellement leur activité depuis le début de l’année jusqu’au 17
août 2007, contre seulement 17 sur toute l’année 2006. En Allemagne, la
banque IKB et l’Institut public SachsenLB, qui avaient investi dans le
marché hypothécaire des Etats-Unis, ont été immédiatement affectés et n’ont
été sauvés que d’extrême justesse. [3]
Mais la chaîne ne s’arrête pas là : les banques qui avaient acheté les
créances hypothécaires ont procédé à ces achats largement hors bilan en
créant des sociétés spécifiques appelées en anglais Structured Investment
Vehicles (SIV) [4]
. Ces SIV finançaient l’achat des créances hypothécaires en vendant des
commercial papers (voir définition donnée précédemment) à d’autres
investisseurs. Leur bénéfice provenant de la différence entre la
rémunération qu’ils payaient aux acheteurs de leurs commercial papers et
celle qu’ils tiraient des crédits hypothécaires à haut rendement transformés
en titres (CDO Collateralized Debt Obligations [5], voir plus loin).
A noter que tout ce montage complexe de dettes et de créances ne crée pas de
richesse réelle (celle-ci en l’occurrence a lieu dans l’industrie du
bâtiment), il s’agit d’opérations purement financières largement
spéculatives. La crise dans ce montage bancal entraîne par contre la
destruction de richesses et de vies humaines (faillite d’entreprises de
construction, suicides de personnes ruinées, pertes d’emplois et saisies de
logements).
Quand la crise a éclaté en août 2007, les investisseurs qui achetaient
habituellement les commercial papers émis par les SIV n’en ont plus acheté
car ils ont eu le sentiment que la santé et la crédibilité des SIV s’étaient
fortement détériorées. En conséquence, les SIV ont manqué de liquidité pour
acheter les crédits hypothécaires titrisés et la crise s’est amplifiée. Les
grandes banques qui avaient créé ces SIV ont dû assumer les engagements de
ceux-ci pour éviter qu’ils ne tombent en faillite. Alors que jusque là les
opérations des SIV ne faisaient pas partie de leur comptabilité (ce qui
notamment leur permettait de dissimuler les risques qu’elles prenaient), des
grandes banques des E-U et d’Europe ont dû reprendre dans leur bilan les
dettes des SIV. Parmi les principales concernées, on peut citer Bank of
America, Citigroup (le principal groupe bancaire mondial), Wachovia ou
Merrill Lynch, ainsi que Deutsche Bank et UBS (Union des Banques Suisses).
Entre août et octobre 2007, les seules banques US ont assumé au moins 280 [6], ce qui a plombé
leur résultat. Plusieurs grandes banques comme Citigroup et Merrill Lynch
ont d’abord essayé de minimiser leur degré d’exposition au risque, mais
elles n’ont pas pu mentir longtemps tant leurs pertes étaient considérables.
En conséquence, leur PDG a été défenestré par le Conseil d’Administration,
non sans se voir octroyer préalablement un parachute doré. Le PDG de Merrill
Lynch, Stan O’Neal, a obtenu 160 millions de dollars comme dédommagement
pour son départ anticipé !!!
Endettement des ménages et défauts de paiement dans l’immobilier et au-delà…
Les procédures de saisie de logements des débiteurs en défaut de paiement
ont atteint le nombre de 180 000 en juillet aux Etats-Unis, soit deux fois
plus qu’en juillet 2006, et dépassent la barre du million depuis le début de
l’année, soit 60% de plus qu’il y a un an. Il devrait y avoir au total 2
millions de procédures de saisie en 2007 [7]|.
La moyenne d’endettement des ménages américains atteint un taux
extraordinairement élevé : 140% (c’est-à-dire que les dettes des ménages
représentent près d’une fois et demie leurs revenus annuels).
Peu de commentateurs économiques mettent en rapport le nombre croissant de
défauts de paiement et le fait que les travailleurs américains travaillent
en moyenne plus longtemps par semaine pour gagner moins d’argent. C’est le
résultat de la flexibilisation/précarisation du marché du travail dans le
cadre de l’offensive patronale [8]. Une partie
importante des salariés nord-américains a vu son revenu réel diminuer ces
dernières années. L’augmentation des taux d’intérêt initiée depuis juin 2004
par la Réserve fédérale a fini par rendre les remboursements du crédit
hypothécaire trop lourds par rapport à leurs revenus. D’ailleurs la
croissance des défauts de paiement ne se limite pas au secteur de
l’immobilier, elle concerne maintenant les crédits pour l’achat de voitures
et les cartes de crédit [9].
Deux poids, deux mesures
La crise qui a éclaté en août 2007 a pris une forme spectaculaire tant aux
Etats-Unis qu’en Europe. « Le vendredi 10 août, en Europe, aux Etats-Unis,
il s’est produit cette chose inouïe : des banques sont devenues en 24 heures
suffisamment méfiantes les unes à l’égard des autres pour se refuser tout
prêt, quel qu’il soit, contraignant les banques centrales à des
interventions massives. En 4 jours, jusqu’au 14 août 2007, la BCE a dû
fournir au marché près de 230 milliards d’euros de liquidités. » [10] La Réserve
fédérale des Etats-Unis a également agi de la sorte. L’action énergique des
autorités monétaires des Etats-Unis et d’Europe a permis d’éviter la
multiplication des faillites.
A signaler la différence abyssale entre la réaction des autorités politiques
et financières des Etats-Unis et des pays européens à l’égard de la crise de
liquidité commencée en août 2007 d’une part et celle qui a été imposée aux
autorités indonésiennes par le FMI soutenu par ces mêmes gouvernements au
moment de la crise asiatique de 1997-1998. Dans le premier cas, les
autorités états-uniennes et européennes ont sauvé les banques en mettant des
liquidités à leur disposition tandis qu’en Indonésie, le FMI avait exigé que
des dizaines de banques soient mises en faillite en refusant que la Banque
centrale indonésienne ou lui-même ne leur prête des liquidités. Cela avait
abouti à un désastre social et à une augmentation énorme de la dette
publique interne car les dettes des banques privées mises en faillite
avaient été mises à charge de l’Etat indonésien. Autre différence : face à
la crise, depuis août 2007, les autorités monétaires des Etats-Unis ont
baissé les taux d’intérêts (comme elles l’avaient fait entre 2001 et mai
2004) alors que le FMI avait exigé du gouvernement indonésien qu’il augmente
les taux d’intérêt, ce qui avait aggravé considérablement la crise [11]. Deux poids,
deux mesures.
Effet de contagion internationale
En septembre 2007, l’effet de contagion internationale de la crise aux
Etats-Unis est devenu encore plus évident lorsqu’une importante banque
britannique, la Northern Rock, spécialisée dans le prêt hypothécaire, s’est
retrouvée subitement dans l’incapacité de faire face à ses obligations.
Cette banque empruntait à court terme sur le marché interbancaire et prêtait
à long terme sur le marché de l’immobilier. Or la crise de méfiance entre
les banques a entraîné une augmentation subite du taux d’intérêt
interbancaire (le LIBOR, London interbank offered rate). Cette situation a
affecté directement la Northern Bank qui a vu ses coûts d’emprunt augmenter
de manière imprévue. La Banque d’Angleterre a sauvé Northern Bank de la
faillite en lui prêtant les liquidités qui lui faisaient défaut. Mais ce
n’est que partie remise, la Northern Bank est aujourd’hui à vendre.
La crise de l’immobilier se conjugue à une crise de la dette privée
La crise ne se limite pas à l’immobilier, elle concerne directement le
marché de la dette. Au cours des dernières années, la dette privée des
entreprises a augmenté de manière considérable. De nouveaux produits
financiers dérivés ont pris de l’ampleur, il s’agit notamment des Credit
Default Swaps (CDS). L’acheteur d’un CDS veut en l’acquérant se protéger
contre un risque de non paiement d’une dette. Le marché des CDS s’est
fortement développé depuis 2002. Le volume des montants concernés par les
CDS a été multiplié par 11 au cours des 5 dernières années [12]. Le problème,
c’est que ces contrats d’assurance sont vendus sans que s’exerce un contrôle
de la part des autorités publiques. L’existence de ces CDS a poussé les
entreprises à prendre de plus en plus de risques. Se croyant protégés contre
un défaut de paiement, les prêteurs octroient des prêts sans avoir vérifié
la capacité de l’emprunteur à rembourser. Or si la situation économique
internationale se détériore, des centaines voire des milliers d’organismes
emprunteurs risquent de devenir subitement insolvables et les CDS risquent
de n’être que des papiers sans valeur car les assureurs seront incapables
d’exécuter leurs engagements.
Les SIV dont nous avons parlé plus haut se sont spécialisés dans la vente de
CDO (Collateralized debt obligations) dont beaucoup d’investisseurs
cherchent à se débarrasser depuis août 2007.
Enfin, en 2006-2007, de nombreuses entreprises se sont lancées dans des
opérations de rachat d’autres entreprises en les finançant par de
l’endettement. C’est ce qu’on appelle les LBO (Leveraged buy-out) qu’on peut
traduire par rachat d’entreprise financé par l’endettement.
En résumé, ces dernières années, un énorme château de cartes a été construit
en accumulant des dettes. Ce château est en train de s’effondrer et les
banques centrales des pays les plus industrialisés essayent de colmater les
brèches et de construire des échafaudages pour éviter le pire. Il est
possible qu’elles arrivent à limiter les dégâts, mais ceux-ci seront de
toute manière très importants.
Plusieurs bombes à retardement dont le mécanisme est enclenché
Dans la conclusion du chapitre 5 du livre La finance contre les peuples, La
Bourse ou la Vie, écrit en 2003 et publié en 2004, je posais la question de
savoir si la crise de 2001-2002 aux Etats-Unis allait avoir des
répercussions dans la durée :
« Vingt ans de déréglementation et de décloisonnement des marchés à
l’échelle mondiale ont supprimé tous les garde-fous qui auraient pu limiter
les effets en cascade de crises du type de celles d’Enron et Cie. L’ensemble
des entreprises capitalistes de la Triade et des marchés émergents a évolué,
certes avec des spécificités, dans le même sens qu’aux Etats-Unis. Les
institutions privées bancaires et financières (ainsi que les assurances) de
la planète sont en mauvaise posture, elles ont adopté des pratiques de plus
en plus aventureuses. Les grands groupes industriels ont tous connu une
financiarisation prononcée et sont eux-mêmes très vulnérables. La succession
de scandales a montré la vacuité des affirmations des dirigeants des
Etats-Unis et de leurs laudateurs aux quatre coins de la planète.
Le mécanisme de plusieurs bombes à retardement est en marche à l’échelle de
toutes les économies de la planète. Citons parmi ces bombes : le
surendettement des entreprises et des ménages, le marché des dérivés (qui,
selon l’expression du milliardaire Warren Buffet, sont des “ armes
financières de destruction massive ”, “ financial weapons of mass
destruction ”), la bulle de la spéculation immobilière (qui est la plus
explosive aux Etats-Unis et en Grande Bretagne), la crise des sociétés
d’assurance et celle des fonds de pension… Il est temps de désamorcer ces
bombes et de penser un autre système tant aux Etats-Unis qu’ailleurs. Bien
sûr, il ne faudra pas se contenter de désamorcer les bombes et de rêver à un
autre monde possible, il faudra s’attaquer à la racine des problèmes en
redistribuant la richesse sur une base de justice sociale. » [13]
De la crise 2000-2001 à celle de 2007-…
Avant l’éclatement de la bulle spéculative informatique de 2000-2001 aux
Etats-Unis et ailleurs dans le monde, les économistes et les hommes
politiques laudateurs des bienfaits du capitalisme dans sa phase néolibérale
(appuyés par une armada de journalistes spécialisés dans la finance)
affirmaient péremptoirement qu’aucune crise n’était en vue. Au contraire,
selon eux, le capitalisme aux Etats-Unis avait trouvé la formule de la
croissance permanente sans crise. Ils ont déchanté avec la récession qui a
touché les Etats-Unis en 2001 et avec les baisses très importantes des cours
boursiers.
Une fois que la croissance est revenue, les mêmes ont prétendu que le
capitalisme avait trouvé la formule pour disperser les risques causés par
une forte émission de dettes en créant notamment les CDS (Credit Default
Swaps). On ne compte plus les articles et les déclarations rassurantes
concernant la dispersion des risques.
Pourtant les organismes officiels comme la Banque des règlements
internationaux (BRI), le FMI, la BM savaient très bien que l’on jouait avec
le feu. Les rapports de ces instituions publiés avant la crise du mois
d’août contiennent des scénarii qui n’excluent pas la possibilité de crise
[14] mais le
message dominant qu’ils faisaient passer était qu’effectivement grâce à la
nouvelle ingénierie des titres de la dette, les risques avaient été
dispersés et les accidents majeurs exclus. C’est ainsi que deux mois avant
l’éclatement de la crise, la BRI écrivait en juin dans son rapport annuel
2007 : « Les épisodes de turbulences ont pu traduire la nervosité latente
d’intervenants redoutant une sous-estimation des risques liée à une
conjoncture favorable. Pour le proche avenir, cependant, rares sont ceux qui
s’inquiètent outre mesure d’une dégradation soudaine et généralisée de la
qualité des signatures » [15]. Du côté des
journaux financiers, rares sont les économistes qui expriment comme Wolfgang
Münchau une critique de la politique du gouvernement de Washington et de la
Réserve fédérale. Il écrit : « Je crois que la croissance explosive des
produits derivés dans le secteur de la dette et des CDO entre 2004 et 2006 a
été causé par la politique monétaire globale menée entre 2002 et 2004” [16]. Il ajoute : “Le
canal par lequel des taux d’intérêts réels négatifs peuvent se convertir en
une bulle de la dette restera ouvert”.
Du côté des grandes banques et autres organismes financiers privés, c’est
l’émoi, voire le branle-bas de combat, au sein de certaines directions
(comme Citigroup et Merrill Lynch), les couteaux sont tirés. L’Institut de
finance internationale (IIF selon son signe en anglais), une association
internationale qui regroupe 800 banques et autres institutions financières
(dont les plus grandes banques), s’est fendu le 11 octobre 2007 d’une longue
lettre [17],
destinée au FMI et aux principales banques centrales, qui diagnostique une
crise profonde et demande aux autorités bancaires publiques de mieux
superviser le secteur financier privé international.
Le très néolibéral Commissaire européen du marché intérieur, Charlie
McCreevy, ne mâche pas ses mots : il dénonce « les prêts octroyés de manière
irresponsable, l’investissement aveugle, la mauvaise gestion des liquidités,
les excès des agences de notation. … Personne ne peut être fier des
bassesses que cette crise de la dette a révélées” [18]. Cependant,
selon le Financial Times, “le commissaire européen, un des plus grands
défenseurs de la pensée du marché libre, va mettre en garde contre une
volonté de réglementer, affirmant que les règles qui imposent la
transparence peuvent avoir un effet pervers en répandant la panique et le
hasard moral dans tout le système”. [19] | Evidemment il ne
faut pas s’attendre à ce que la Commission européenne ou le gouvernement de
Washington annonce des mesures fermes à l’égard des grandes sociétés
financières responsables de la crise.
Les mesures prises par Washington : la solution ?
Les mesures prises par les autorités des Etats-Unis (notamment une baisse
des taux d’intérêt en septembre et en octobre 2007), si elles atténuent
provisoirement le choc de la crise, ne constituent pas une solution. D’une
certaine manière, la baisse des taux d’intérêt allège la crise tout en la
prolongeant car elle reporte les échéances. En effet, la crise de
l’immobilier a bel et bien démarré et ses répercussions se feront sentir
dans la durée. Pourquoi ? Voici plusieurs raisons présentées de manière
schématique :
1. Il y a une véritable surproduction de logements aux Etats-Unis par
rapport à la demande.
2. Beaucoup de chantiers sont en cours de réalisation. Dans les mois et les
années qui viennent, des centaines de milliers de nouveaux logements vont
arriver sur le marché car leur construction a déjà été entamée. Pour une
entreprise de construction, il est très difficile de laisser en plan un
chantier entamé. Bref, ces constructions nouvelles vont encore augmenter
l’offre sur un marché déprimé. Une chute de production dans la construction
aura des conséquences durables sur le reste de l’économie : licenciements,
baisse de commande aux différents fournisseurs de matériaux de construction.
3. Pendant des années, une partie de la propension des ménages à consommer
était soutenue par l’« effet richesse ». En effet, la valeur du patrimoine
des ménages propriétaires de logements et d’actions en bourse a augmenté
grâce à la montée très importante des prix de l’immobilier et à la remontée
des cours boursiers (après la débâcle de 2001). L’effet inverse est en
marche : la valeur du patrimoine immobilier est en forte chute et les
marchés boursiers vont mal. Les ménages risquent de réagir en diminuant leur
consommation, ce qui amplifiera la crise.
4. Les grandes banques, les fonds privés de pension, les assurances, les
hedge funds ont dans leurs comptes une quantité très élevée de créances
douteuses. Depuis le mois d’août 2007, des institutions comme Citigroup,
Merrill Lynch, UBS ont cherché constamment à minimiser les pertes qu’elles
déclaraient mais elles ont dû à plusieurs reprises annoncer de nouvelles
pertes, ce qui a provoqué une baisse de leurs actions en bourse et
l’éjection de nombres de leurs gestionnaires. A coup sûr, d’autres
institutions seront touchées. Il n’est pas exclu (soyons prudent) que les
institutions financières entrent dans une situation proche de celle qu’ont
connue les banques japonaises quand la bulle immobilière a explosé au milieu
des années 1980. Il leur a fallu une vingtaine d’années pour assainir leur
bilan.
5. Certes la baisse continue du dollar favorise les exportations des
Etats-Unis et permet au gouvernement de rembourser l’énorme dette extérieure
avec des dollars dévalués. Mais cette baisse n’a pas que des avantages. Le
dollar déprécié rend les achats de bons du Trésor et les investissements en
bourse beaucoup moins attractifs pour les étrangers qui placent en grande
quantité leurs capitaux aux Etats-Unis. Moins de capitaux risquent d’y
entrer (alors qu’ils en ont besoin pour combler leur déficit) et les sorties
de capitaux sont susceptibles d’augmenter.
Le gouvernement de Washington et la direction de la banque centrale sont
confrontés à un véritable dilemme. S’ils continuent à baisser les taux
d’intérêt, le résultat est contradictoire : ils réduisent le risque immédiat
de faillites et atténuent l’ampleur d’une chute de la consommation mais ils
rendent les placements aux Etats-Unis beaucoup moins attractifs et ils
diminuent la pression en faveur de l’assainissement de la comptabilité des
entreprises et des ménages. Si au contraire, ils augmentent les taux
d’intérêt, le résultat est inverse : les placements aux Etats-Unis voient
leur attrait augmenter mais la consommation des ménages chute et les
difficultés de trésorerie des entreprises augmentent.
A SUIVRE