Selon la SNCF, la grève serait « choquante ». De son côté, le ministre du Travail, Xavier Bertrand, affirme que les cheminots ne perdront pas un euro ! Le conseiller de Sarkozy, Henri Guaino, reprend les propos de Sarkozy : la décote serait pour les « nouveaux entrants », mais ce n’est pas ce que dit le gouvernement. Tout cela traduit la fébrilité de ce dernier, qui est sur la défensive concernant le pouvoir d’achat. Sur ce plan, les cheminots ont marqué un point. Comme beaucoup de salariés, ils ont compris qu’avec cette contre-réforme, il faudrait travailler plus pour gagner moins. Pour ne pas perdre un euro, il n’y a qu’une seule solution, revenir sur le passage à 40 ans, la décote et l’indexation des pensions sur les prix. Seul un vrai rapport de force permettra de faire reculer le gouvernement sur le cœur de son projet, c’est tout l’enjeu de la grève reconductible, à compter du 14 novembre.
La direction de la SNCF et le gouvernement tentent de convaincre les syndicats qu’il y aurait du grain à moudre dans le cadre posé par le gouvernement. Étant donné qu’actuellement, 12 % du salaire des cheminots ne sont pas pris en compte dans le calcul de la retraite, le gouvernement propose un système de retraite complémentaire, non plus fondé sur le nombre d’années cotisées, mais sur des points, comme dans le privé, avec l’Agirc et l’Arcco. Un tel système, s’appuyant sur la capitalisation et géré par les « partenaires sociaux », permet de faire varier les pensions en fonction de la valeur du point. Il faut le refuser et intégrer les 12 % au calcul des pensions.
Alors que la SNCF ne cesse de se plaindre de l’augmentation de la masse salariale, de la pression de la concurrence, cette réforme des retraites introduirait la possibilité de discuter ! Il est illusoire de croire que la direction va devoir augmenter les salaires pour garder ou embaucher des futurs cheminots. Le chômage de masse est une réalité dans ce pays ; il exerce une pression à la baisse sur les salaires. On parle aussi emploi des seniors, alors que la SNCF fait comme le privé et tente de se débarrasser des plus vieux, comme il y a quelques années, lors du plan de réorganisation du fret, qui s’est traduit par plusieurs milliers de départs avant 55 ans.
Un compte épargne temps serait aussi mis en place, les repos ou temps RTT non pris seraient cumulés sous la forme de temps en fin de carrière. Pour beaucoup, ce serait un recul social : des conditions de travail dégradées, pour partir en retraite un peu plus tôt. Ce n’est pas acceptable.
Le rachat d’années d’études est évalué à 20 000 euros par an, avis aux amateurs ! De plus en plus de cheminots, notamment dans l’encadrement, ont aussi quelques années de cotisations du régime général. Ils ne peuvent cumuler les deux pensions qu’à partir de 60 ans. Le gouvernement accepterait de tenir compte de ces années pour le calcul de la décote, mais par pour le calcul de la pension, toujours assise sur les années de cotisations du régime cheminots. Le retour aux 37,5 ans pour tous, sans décote, serait le seul moyen de mettre à égalité les salariés des régimes particuliers et du régime général.
Pour les cheminots de la LCR, l’heure n’est pas à négocier des aménagements de la réforme qui n’atténueront que très faiblement la baisse des retraites, à terme, de 20 % à 25 %. Les cheminots n’ont pas fait grève à 75 %, le 18 octobre, pour cela.
Charles Tenor
* Paru dans Rouge N° 2226, 08/11/2007.
Mettre la pression
Nous avons posé trois questions à deux responsables fédéraux, de la CGT et de SUD-Rail : quelle est votre stratégie face au pouvoir ? Les cheminots peuvent-ils gagner seuls ? Ne faut-il pas un élargissement interprofesionnel ?
Illustration manquante
Paris, Gare d’Austerlitz, 18 octobre 2007
Dominique Launay, fédération CGT, région Paris rive gauche.
La réforme n’est pas négociable. C’est pour cela que nous appelons à la mobilisation reconductible à partir du 13 novembre. Sous couvert d’équité, on voudrait allonger la durée de cotisation à 40 ans, mais en même temps, dans la clause de revoyure en 2008, on est déjà à 41 ans. À propos des 37,5 annuités, peu de cheminots sont concernés. De 18 ans à 55 ans, cela fait 37 ans. Notre exigence est de partir à taux plein à 60 ans pour l’ensemble des salariés. Dans le privé, il faut revenir aux 37,5 annuités, mais aussi à l’exigence du taux plein à 60 ans. De plus en plus de jeunes entrent tard dans la vie active, et avec 37,5 annuités, ils ne pourront pas partir à taux plein à 60 ans. Peut-on gagner seuls ? Après les réformes de 1993 et 2003, on s’attaque aux régimes spéciaux pour mieux démanteler le régime général : faire travailler les salariés plus longtemps en versant moins de retraites, ce qui oblige à avoir recours à l’épargne retraite privée. Les cheminots ont donc toute leur place dans l’action, mais nous devons aller à la rencontre des usagers pour démontrer les convergences entre salariés du privé et du public. On a intérêt à s’y mettre tous ensemble. Nous travaillons à un mouvement interprofessionnel, avec l’unité syndicale des cheminots. Nous avons déjà réussi à donner une connotation interprofessionnelle le 18, ce qui s’est vu dans les débrayages et la coloration des manifestations. Il y a la question des retraites, mais aussi la question salariale, surtout si on considère les retraites comme du salaire. À Paris, il y a déjà un appel CGT, FO, FSU, Solidaires. Notre volonté, avec les unions locales, est de multiplier ces appels et d’expliquer aux salariés que l’action ne consiste pas seulement à défendre des acquis, mais des questions qui touchent tout le monde. La question du contrat de travail est en jeu, et ainsi de suite. Tout le monde est touché. Il faut arriver à un mouvement convergent.
Christian Mayeux, fédération SUD-Rail.
Trois éléments sont nécessaires. Premièrement, la riposte unitaire. Deuxièmement, lui donner un caractère interprofessionnel le plus large possible. Troisièmement, face à de telles attaques, il faut un mouvement reconductible, non limité à 24 heures, ni à une succession de grèves de 24 heures. C’est le bilan de 2003 qui nous fait dire cela. La nécessité de ces trois dimensions met en évidence une situation qui n’est pas simple. Cela a tout de même amené le 18 octobre à une grève historique. SUD-Rail avait proposé que ce mouvement ne se limite pas à 24 heures. Le chiffre de grévistes nous fait penser que nous avons raté une occasion au soir du 18 octobre, avec un appel interfédéral à la poursuite du mouvement. Cela aurait changé la donne. Il y avait un désaccord sur ce point avec la CGT. Mais maintenant, nous sommes début novembre, dans la perspective d’un mouvement avec un préavis reconductible appelé sans doute par sept fédérations sur huit (y compris, probablement, la CFDT). Les assemblées générales devront prendre toute leur place pour que les cheminots décident démocratiquement de leur mouvement. Moins les cheminots seront seuls, plus ils ont une chance de gagner. Depuis septembre, SUD-Rail place les enjeux de ce conflit dans le cadre des annonces gouvernementales pour l’ensemble des régimes de retraite, le passage aux 41 annuités en 2008, voire plus ensuite. Ce n’est donc pas une bataille des cheminots uniquement. Si le rapport de force existe, nous ne devons pas nous priver d’une lutte à la SNCF. Mais nous recherchons l’élargissement interprofessionnel. Il y a la journée du 20 novembre mais, pour le moment, ce n’est qu’une journée fonction publique. Donc, en termes de manifestation interprofessionnelle, nous ne sommes pas encore dans la même situation que le 18 octobre.
Propos recueillis par Dominique Mezzi
* Paru dans Rouge N° 2226, 08/11/2007.
RETRAITES : Vers l’épreuve de force
La bataille pour la défense des retraites n’est pas terminée. La priorité est de préparer un mouvement reconductible pour faire reculer le gouvernement.
La visite de Sarkozy aux ateliers d’entretien du TGV du Landy, à Saint-Denis, le vendredi 26 octobre, résume, à elle seule, la situation sociale à la SNCF, et sans doute bien au-delà. Sur la forme, c’est le Sarkozy de la dalle d’Argenteuil qui vient provoquer les cheminots après la grève historique du 18 octobre. Même pas peur ! Mais, pour venir parler à des cheminots, il faut s’entourer d’une dizaine de cars de CRS. Cet exercice de communication avait sans doute pour but de rassurer son camp et de montrer aux cheminots qu’il était déterminé.
Sur le fond, exit l’argument de campagne sur la réforme des régimes spéciaux servant à augmenter les petites retraites. Désormais, c’est le pseudo bon sens populaire : partout dans le monde, on travaille plus longtemps parce qu’on vit plus longtemps et, au nom de l’équité, il faut mettre tout le monde à 40 annuités. Cet argument sur la nécessité de travailler plus longtemps, repris par une partie de la gauche doit être combattu. Depuis un siècle, l’espérance de vie augmente et la durée du travail diminue, c’est ce qu’on appelle le progrès social. La richesse globale produite par les salariés augmente et permet de continuer à payer les retraites. Mais, pour cela, il faut la répartir.
Comme l’a dit un cheminot à Sarkozy, de toute façon, c’est la rue qui va parler. La légitimité des urnes ne permet pas tout. Les principales conquêtes sociales ont été obtenues par des mobilisations et, le plus souvent, contre la légitimité des urnes. Qui s’en plaint aujourd’hui ? Les syndicats de cheminots doivent être à la hauteur des enjeux. Il faut faire reculer le gouvernement sur le cœur de la réforme, le passage aux 40 annuités et le principe de la décote. Une bonne partie des salariés a compris que si la « digue des cheminots » cède, il sera plus facile au gouvernement de faire passer tout le monde à 41 annuités, puis 42 et 45. Le gouvernement a bien compris cet enjeu et le ministre du Travail, Xavier Bertrand, ne cesse de répéter que tout est négociable, sauf le passage aux 40 annuités.
Pour contraindre le gouvernement à reculer, il faudra à un haut niveau de mobilisation à la SNCF et dans les entreprises avec régimes spéciaux. Mais il faudra aussi le soutien des salariés du privé. C’est pourquoi il faut mettre en avant la nécessité du retour aux 37,5 annuités pour tous. Une telle mesure ne coûterait que 7 à 8 milliards d’euros supplémentaires par an, selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), soit la moitié des cadeaux fiscaux faits aux plus riches.
L’ensemble des fédérations syndicales de cheminots a lancé un ultimatum au gouvernement, le menaçant d’un conflit long s’il ne revoyait pas sa copie. Bien sûr, toutes les interprétations existent sur ce qu’il faut revoir dans la copie. L’Unsa et la CFDT ne cachent plus qu’elles acceptent le passage aux 40 annuités, mais le gouvernement ne semble pas disposé, pour l’instant, à négocier des contreparties. FO et SUD-Rail refusent cette contre-réforme et se sont déjà prononcés pour un mouvement de grève reconductible. La CGT-Cheminots, si elle reste évasive sur le passage aux 40 annuités, prépare ses militants à un conflit long pour la mi-novembre.
Il est clair qu’une opportunité de reconduction a été gaspillée le lendemain du 18 octobre, mais l’heure du bilan n’est pas encore venue. La question d’un mouvement reconductible se discute aussi à la RATP. EDF-GDF devrait aussi être dans l’action. La jonction avec la mobilisation de la fonction publique doit pouvoir se faire. Cette nouvelle phase de mobilisation sociale de novembre intervient dans un contexte où le gouvernement et le président sont affaiblis. C’est le moment de passer à l’offensive.
Charles Tenor
* Rouge N° 2225, 01/11/2007.
SNCF : Un refus franc et massif
Deux camarades cheminots de la LCR, Natacha (contrôleuse à Paris Austerlitz, FO) et Jérôme (conducteur à Melun, SUD-Rail), font le point sur la situation à la SNCF.
• Au lendemain du 18 octobre, comment s’est passée la reconduction ?
Natacha – À Austerlitz, FO et SUD étaient pour une grève reconductible, les autres pour une grève « carrée » de 24 heures. Pas un cheminot ne se faisait pourtant d’illusions sur une victoire en 24 heures. Au cours de la reconduction, on a eu 30 % de grévistes, le jeudi, et 47 % le vendredi, c’est honorable. La reprise, au niveau national, s’est fait sentir, avec la baisse des grévistes. Avec de tels chiffres, on ne pouvait pas appeler à la reprise, même si on savait que c’était compliqué de tenir sans la CGT. Durant le week-end, il y a eu plus de 30 % de grévistes, dont 60 % chez les conducteurs. On a reconduit jusqu’au mardi matin, ce qui fait cinq jours pleins. Il nous a manqué la CGT. FO et SUD ne pouvaient tenir seuls.
Jérôme – Les deux premiers jours de la grève, l’assemblée générale (AG) interservices de Melun a regroupé 200 personnes, ce qui n’est pas si mal sur le site, la CGT ne voulant pas d’AG et invitant ses syndiqués à ne pas y participer. La tendance était vraiment au rejet du diktat des fédérations syndicales, qui ne tiennent pas compte des agents et prennent en leur nom des décisions contraires à leurs revendications. La reconduction a été votée, jusqu’au samedi 20 octobre, date à laquelle le choix a été fait de « suspendre la grève », et non de reprendre le travail, la différence étant importante aux yeux des grévistes. Une motion a été votée pour exiger la souveraineté des AG, et la poursuite de la bataille des retraites.
• La grève est-elle un échec ?
Natacha – Non, on a fait un chiffre de grévistes historique. Il y avait des jeunes embauchés ultramobilisés, qui n’ont pas connu 1995, ni même 2003 pour certains. La combativité de la nouvelle génération est bel et bien là. La moyenne d’âge aux AG était de 25-30 ans. La moitié des jeunes qui y ont participé n’était pas syndiquée.
Jérôme – Avec le taux de participation du 18 octobre, on n’a pas le droit de parler d’échec, même si je ne me voile pas la face sur les difficultés à reproduire une telle mobilisation, et encore plus sur la longueur. Mais on s’y attelle avec hargne et espoir, et les fédérations ne pourront pas museler longtemps leurs équipes syndicales et voler la décision des cheminots. C’est ce qui est ressorti de l’AG de bilan et des différents retours d’autres sites. L’attentisme des cheminots a cédé la place à un refus franc et massif de la théorie sarkozyste.
• Comment se prépare la suite ?
Jérôme – Les attentes sont énormes, et la rencontre intersyndicale du 31 octobre attire tous les regards. Je persiste dans la voie de l’inéluctabilité de la reconduction du conflit afin de remporter cette bataille, qui est loin d’être finie. Sur Melun, j’envisage de faire des tournées dans les autres services afin de toucher le plus grand nombre, et de remettre au goût du jour les valeurs de solidarité et l’unité entre les cheminots. Beaucoup de collègues se reposent sur les conducteurs et sous-estiment leurs propres forces. La stratégie de la direction repose, depuis longtemps, sur la division et je mets tout en œuvre en tant que cheminot, délégué du personnel, citoyen et militant LCR (et je rajouterais papa…) pour réunir ces métiers autrefois si interactifs et aujourd’hui si épars, afin de renforcer le rempart que nous représentons encore aujourd’hui face aux visées capitalistes.
Natacha – La dernière AG, qui a réuni les conducteurs, le guichet et les contrôleurs, a décidé de relayer l’appel interfédéral : si le ministre du Travail, Xavier Bertrand, ne bouge pas, on prépare un « mouvement de grande ampleur dans la durée ». Aujourd’hui, on a repris le travail, mais on sera mobilisés au mois de novembre. Nous avons mis en place un comité de mobilisation intégrant des non-syndiqués. À partir du moment où la grève sera connue, on mènera des actions vers les usagers.
Propos recueillis par Thomas Mitch et Jack Radcliff
* Rouge N° 2225, 01/11/2007.