La CGT (16,5 %) a joué un grand rôle dans le mouvement, alors que, traditionnellement, les syndicats corporatistes étaient majoritaires. Comment avez-vous apprécié la situation ?
Sylvie Guillou – Les négociations avaient commencé en août, et nous étions indignés du silence des syndicats corporatistes sur le diktat d’Air France, « accord à coût constant ». Nous déposons, le 3 septembre, avec la CFDT, un préavis de grève pour les 26 et 27 octobre, et nous accomplissons un énorme travail de terrain, au départ et retour des avions, avec tracts : décompte du temps d’attente avant le vol comme temps de travail, paiement des heures de nuit, fin de la « biscale », qui voit les jeunes payés 30 % de moins, maintien du salaire en cas de retour au sol, maternité... L’écho rencontré amène à ce que nous surprenions la direction en réunion avec les autres syndicats, le 19 octobre. Nous sommes entrés dans la salle, la direction en est sortie et, le soir, l’intersyndicale déposait un préavis de grève, du 25 au 29 octobre.
Quel a été le moment fort de ces cinq jours de grève ?
S. Guillou – C’est la nuit du 26 au 27, où la direction reçoit tous les syndicats et propose un texte. Une partie de notre délégation reste à proximité et, renforcée durant la nuit, soutient nos délégués. En pleine nuit, ils scannent le texte et le mettent sur le site Internet, appelant à une assemblée générale le lendemain. Cette initiative empêche toute signature, et 300 grévistes votent la poursuite. Seuls la CGT, la CFDT et SUD participent aux assemblées générales. Samedi 27 novembre, les négociations reprennent. Cette fois, la direction a isolé les délégations derrière des grilles et un service d’ordre. Ce sera par téléphones portables que les négociations seront transmises, permettant un contrôle de la base. L’utilisation des médias sera aussi déterminante. « Nous vous donnons la parole, car vous êtes les seuls à avoir un discours cohérent », nous diront les journalistes. Notre porte-parole, Farid, a été au 20 heures de France 2, le dimanche, afin de populariser la lutte. La préoccupation constante sera le contact avec la base, syndiqués et non syndiqués, par sites Internet, téléphones et assemblées générales quotidiennes.
Qu’ont pensé de votre action les autres syndicats ?
S. Guillou – Beaucoup n’ont cessé de nous accuser de vouloir politiser la grève, pour faire un mouvement avec les personnels au sol, nous dénonçant comme jusqu’au-boutistes. Ils s’appuient sur le poids du corporatisme, et aussi de personnels sans traditions de lutte. L’unité syndicale, énormément appréciée, reste très fragile.
Comment voyez-vous l’avenir ?
S. Guillou – La direction a proposé un calendrier de négociations jusqu’au 20 décembre, et elle prévoit de faire durer jusqu’en avril. Nous allons poursuivre notre combat et faire fructifier les acquis du mouvement. Nous expliquerons aussi notre lutte au personnel au sol, qui doit entrer bientôt en négociations sur les salaires et l’intéressement. Enfin, nous gardons un œil sur les mobilisations pour la défense des régimes spéciaux de retraite, car notre régime, qui nous permet de partir à 55 ans, est aussi menacé.
Propos recueillis par notre correspondant
* Paru dans Rouge N° 2226, 08/11/2007.
AIR FRANCE : colère dans le ciel
Afin d’obtenir une hausse de leurs salaires, hôtesses et stewards d’Air France se sont mis en grève pendant cinq jours. Le mouvement, particulièrement suivi, a contraint la compagnie à annuler la plupart de ses vols.
De mémoire de chef de cabine, personne n’avait jamais vu cela. D’autant que la grève du personnel navigant commercial (PNC) d’Air France s’est faite à l’appel de sept des huit syndicats (CFDT, CFTC, FO, SNPNC, SUD, UGICT/CGT, Unsa), représentant plus de 85 % de la profession. Plus de 80 % de grévistes pendant cinq jours : cette formidable mobilisation explique sûrement ce remarquable front syndical.
L’ampleur de la grève s’explique par un ras-le-bol accumulé depuis dix ans. Dans les années 1990, les PNC ont vu l’introduction dans leur métier d’une B-scale, une nouvelle échelle des salaires de 30 % inférieure, frappant les nouveaux embauchés. Parallèlement, comme pour le personnel au sol, les salaires furent bloqués jusqu’en 1997. Après 2001, le 11 Septembre fut un effet d’aubaine pour la direction d’Air France : il fallait accepter des efforts de productivité de plus de 15 % afin d’éviter les licenciements (personnels de bord en moins, augmentation des heures de vol sans compensation financière). À l’époque, la majorité des syndicats acceptèrent sans broncher ces reculs sociaux. Mais les années suivantes ont vu le ciel s’éclaircir… et la lumière se faire sur la réalité financière : les profits ont explosé, les dividendes ont été multipliés par deux, le salaire du PDG, Jean-Cyril Spinetta, a augmenté de 80 % en deux ans… Mais la qualification et la pénibilité du métier ne sont toujours pas reconnues.
En septembre, les syndicats ont commencé à renégocier l’accord collectif global de la profession à Air France. L’arrogance habituelle a présidé au discours de la direction. Dès lors, la pression et la colère des salariés ont contraint les syndicats à lancer une grève de cinq jours. La mobilisation a prouvé que les PNC ont autant de force que les pilotes pour mettre la direction en difficulté. Celle-ci a tenté de briser le front syndical en poursuivant en justice trois syndicats signataires d’un accord « de veille sociale » (Unsa, SNPNC et FO) pour non-respect du préavis, osant leur réclamer 45 millions d’euros, c’est-à-dire le coût total estimé d’une grève, par ailleurs tout à fait légale. Le front et la grève se sont maintenus jusqu’au bout, grâce à la pression des grévistes.
Le mouvement s’achève sur un seul résultat concret : l’engagement de Jean-Cyril Spinetta d’ouvrir lui-même des négociations dès le 30 octobre. Tous les syndicats s’y sont rendu, mais plusieurs ont déjà annoncé la couleur, en s’engageant d’ores et déjà sur un nouveau préavis de grève, courant novembre. La direction craint évidemment la contagion, car les personnels au sol d’Air France ont tout autant de motifs d’exiger, eux aussi, des augmentations de salaire… comme bien d’autres à travers le pays.
Laurent Carasso