Bon, on y arrive ! La grève d 18 octobre à la SNCF avait ét un succès dont on a beaucou parlé. Ce fut un premie avertissement, qui avait montr les capacités des cheminots à s mobiliser et, pour une partie no négligeable d’entre eux, à s lancer dans un mouvemen reconductible. Mais, faute d’unit syndicale, la grève s’était arrêté au bout de quelques jours, ave l’idée qu’il fallait repartir « bientô ». Depuis, la pression en faveu de la grève est remontée. Certes il y a peu de chances de réitérer l taux record de grévistes (75 %) du 18 octobre, mais la grève sera bien suivie
L’attitude de Sarkozy, se rendant dans un atelier de la SNCF pour y faire sa provocation habituelle, a encore convaincu quelques hésitants sur la nécessité de lui fermer son clapet. De plus, ses approximations sur la décote ont montré qu’il ne connaissait rien aux régimes spéciaux... Si, à cela, on ajoute la lettre de quatre pages envoyée à tous les cheminots par la PDG de la SNCF, Anne-Marie Idrac, où il est dit que faire grève va mettre en péril le fret, alors que c’est la direction de la SNCF elle-même qui le sabote depuis des années, la coupe est pleine !
Lors de la préparation de la grève, tout ce qui se passait en dehors de la SNCF a été regardé avec beaucoup d’attention : la grève des hôtesses et des stewards d’Air France, les marins pêcheurs, les étudiants. La « vraie » scène, consultable sur Internet, du marin pêcheur insultant Sarkozy a circulé sur les téléphones portables et a fini de discréditer un bonhomme s’énervant tout seul parce qu’on lui rappelle qu’il a augmenté son salaire de 172 %...
Un des arguments, avancé par la CGT notamment pour ne pas reconduire la grève en octobre, était d’expliquer que les cheminots seraient seuls, et qu’il fallait chercher à tout prix la jonction avec d’autres secteurs, afin de ne pas se faire isoler par le gouvernement. Mais la grève du 14 novembre concerne les seuls régimes spéciaux, et elle n’a pas eu la même capacité à mobiliser les autres secteurs (public, privé) que le 18 octobre, notamment parce que la fonction publique est en grève à partir du 20 novembre, et que c’est sur cette journée que se greffent aujourd’hui d’autres appels à la grève, notamment du privé.
Bref, l’enjeu est tout de suite posé : pour assurer la nécessaire jonction avec d’autres secteurs du salariat, les cheminots devront tenir en grève jusqu’au 20 novembre, en déjouant les pièges du gouvernement et de la direction de la SNCF. Celle-ci peut tout à fait prévoir un trafic très faible le premier jour de la grève, en mettant les jaunes au repos pour les faire venir travailler le lendemain et ainsi faire rouler le maximum de trains pour minimiser la reconduction. D’ici le 20 novembre, les secteurs mobilisés devront se tenir les coudes. Partout, il faut chercher à coordonner les secteurs en lutte, aussi bien à la RATP, à EDF, à la SNCF que du côté des étudiants.
D’autant que, du côté des syndicats, ce n’est pas la confiance qui règne ! La Fgaac (syndicat corporatiste, 30 % des agents de conduite aux élections professionnelles) a déjà été à la soupe et n’appelle pas à la grève. Du côté des autres organisations syndicales, ce n’est pas forcément très brillant non plus. On entend déjà, ici et là, quelques bureaucrates expliquer que « gagner sur les 37,5 annuités est quasiment impossible ». Tout ceci ne peut que servir à justifier une capitulation rapide. Le gouvernement cherche l’épreuve de force, mais il peut aussi proposer rapidement des « avancées » bidons aux syndicats pour désamorcer le conflit, et rien ne dit qu’il n’y a pas la course entre les confédérations pour signer plus vite que l’autre. Il est possible de gagner mais, pour cela, l’auto-organisation des travailleurs est une nécessité. Des assemblées générales massives, souveraines, s’appuyant sur une grève forte, sont la seule garantie pour empêcher les bureaucrates d’aller négocier dans le dos des salariés.
Basile Pot
* Paru dans Rouge N° 2227, 15/11/2007.
PARIS-AUSTERLITZ, JEUDI 14 NOVEMBRE, 10H30
La grève est puissante et les assemblées souveraines
Gare d’Austerlitz, jeudi 15 novembre, 10h30. C’est le deuxième jour de grève reconductible et les assemblées générales intersyndicales se réunissent par secteurs (agents de conduite, exploitation, contrôleurs, guichets, maintenance). Les chiffres de grève de la veille sont rassurants : 63 % de cheminots grévistes au niveau national, c’est autant que ce qu’il y a eu au pic de grèves de 1995. Aujourd’hui la grève semble aussi puissante, car il y autant de monde que la veille aux assemblées.
À l’assemblée des agents d conduit (les « tractionnaires »), ils sont 63, dont seulement 3 femmes. Dès le début, le débat commence sur les échos faits par la presse des discussions en cours entre les directions syndicales et le gouvernement. De nombreuses interventions s’inquiètent de la tournure que pourraient prendre ces « négociations » : « La grève a commencé et elle est entre les mains des grévistes, c’est nous qui décidons à la base. Il faut le faire savoir aux états-majors syndicaux ». Les syndicats sont jugés utiles mais, dans un secteur où il n’y a que 10 % de syndiqués, les grévistes tiennent énormément à la souveraineté des AG pour prendre leurs décisions, « les grévistes ont le droit de savoir à quelle sauce on va les négocier ». L’annonce de négociations entreprise par entreprise inquiète, car elle va permettre au gouvernement de diviser en donnant des choses à certain et en isolant les autres. Pour certains, ces annonces de négociations dès le démarrage de la grève est un handicap : « C’est dur de convaincre les hésitants à partir en grève alors que des négociations commencent. Si c’est pour négocier, je préfère retourner au boulot. » Des syndicalistes CGT protestent contre les « procès d’intention contre les fédérations ».
Une discussion a lieu sur les revendications. Il faut réaffirmer que la grève est pour le « retrait pur et simple de la contre-réforme, point barre », donc le refus des 40 annuités, des décotes et de l’indexation des retraites sur les prix et non plus les salaires. Pour eux, ce n’est pas négociable et certains craignent que ces revendications soient sacrifiées en échange de miettes sur les salaires et le fret.
La discussion a porté sur la nécessité de ne pas rester isolés et de « faire nous-mêmes cette convergence des luttes que l’on nous a promis le 18 octobre ». Il faut assurer la coordination avec la RATP, EDF et les étudiants. Le principe de faire une assemblée interprofessionnelle l’après-midi a été adopté.
Par contre, la discussion est plus compliquée en ce qui concerne les assemblées de cheminots d’Austerlitz. Faut-il continuer à se réunir par métier ou faire des assemblées de site ? Le débat est vif. La moitié des participants pensent qu’une assemblée de site est un facteur d’unité qui empêchera les « coup de blues ». Mais l’autre moitié est contre et l’on sent que, derrière ce débat, des tactiques d’organisations syndicales et politiques sont à l’œuvre.
L’assemblée se termine par le vote d’une motion exigeant le retrait de la réforme des retraites voulue par le gouvernement et qu’aucun engagement ne soit pris sans demander l’avis des grévistes.
En assistant à cette assemblée, on ressort avec une certitude : la démocratie des décisions est une exigence des grévistes et, pour l’instant, la grève est bien entre leurs mains.
À l’assemblée des contrôleurs, au même moment, l’ambiance est enthousiaste : le taux de grévistes a encore progressé par rapport à la veille, pour atteindre 87% (chiffres communiqués par la direction). L’annonce de cette bonne nouvelle est accompagnée d’applaudissements nourris et chaleureux, qui résonnent dans l’entresol où se sont réunis près de 70 salariés.
Après avoir entendu une étudiante venue souligner la convergence d’intérêts entre cheminots et étudiants, un délégué de la CGT ouvre le tour de parole et affirme qu’il n’y a « aucune négociation du côté de la CGT » dans le cadre actuel posé par le gouvernement. Et de rappeler les trois exigences non négociables : le maintien des 37,5 annuités, l’absence de décote pour les salariés n’accomplissant pas la totalité de leurs annuités, et l’indexation des retraites sur les salaires. « Il s’agit d’un choix de société. [...] On est là pour muscler la mobilisation. La CGT n’est pas là pour faire des reculs », souligne-t-il, avant de laisser la parole au représentant de l’Unsa, qui n’a qu’« un seul mot d’ordre : reconduite ».
Un délégué de Force ouvrière incite les jeunes et les non-syndiqués à s’exprimer : « C’est votre AG. » Une main se lève alors : « C’est une vraie politique de casse sociale. On fait parfois grève pour pas grand-chose ; maintenant, je pense qu’il y a beaucoup de choses à gagner. » Avant de mettre en garde : « Il faut se méfier des directions syndicales, on s’est pas mal fait balader ces derniers temps. » Légère gêne des « OS », même s’ils ne se sentent pas visés personnellement.
Le représentant de SUD-Rail propose alors une motion, adoptée à Paris-Nord, qui réaffirme la souveraineté de l’assemblée générale et la maîtrise des négociations : « [...] Nous exigeons d’être consultés pour toute décision qui engagerait notre avenir et d’être informés du contenu des discussions à chaque étape. » Un « jeune » intervient : « On nous dit d’entrée que ce n’est pas négociable. Mais pourquoi on va les voir ? »
La question de l’extension du mouvement se pose ensuite. D’autant que « les médias mentent », s’insurge Pascal, la « une » des journaux du matin prédisant la fin de la lutte (« Préavis de sortie » pour Libération, « La grève s’essouffle » pour Le Figaro...), avant de proposer « d’éviter ces médias » et de consulter les médias alternatifs. « Il faut informer la population, faire des sit-in massifs », propose l’un. Un représentant de la CGT propose d’être « encore plus nombreux demain », avant que Natacha, déléguée de Force ouvrière, ne mette en garde contre « les chiffres : avec 88%, même si ça peut fluctuer, la mobilisation est massive, c’est l’essentiel ». Et de poursuivre : « Adressons-nous aux usagers. Nous sommes dans un mouvement interprofessionnel, mettons en avant des mots d’ordre unifiants, comme les 37,5 annuités pour tous. » Si des revendications locales sont évoquées ici ou là (deux agents par train, etc.), le problème global prime : « Ce n’est ni l’heure ni le moment de traiter des problèmes locaux », dit l’un. L’assemblée générale passe au vote sur la reconduction de la grève pour le vendredi 16 novembre : 64 pour, 0 contre, 4 abstentions.
Pour élargir la mobilisation, bien que certains agents y soient défavorables, une assemblée générale du site Paris-Austerlitz (réunissant agents de conduite, exploitation, contrôleurs, guichets, maintenance) a été votée la veille et une AG interprofessionnelle (avec la RATP, les étudiants...) devait se tenir dans l’après-midi.
Jack Radcliff et Thomas Mitch
DÉPÔT DE BUS RATP DE MALAKOFF, VENDREDI 16 NOVEMBRE
« Une retraite décente pour tous »
Chauffeur de bus à la RATP, Hassen, 28 ans, est rattaché au dépôt de bus de Malakoff (63 % de grévistes). Non syndiqué, sa détermination reste totale en ce troisième jour de grève. Hassen et Tony sont tous deux
chauffeurs de bus.
Malakoff, le 16 novembre 2007.
• Quel est, pour toi, le point absolument non négociable ?
Hassen – Franchement, la décote, qui impose une diminution de la pension de celui qui part à la retraite sans avoir la totalité de ses annuités, c’est non. Après, travailler 2,5 ans de plus, ça ne m’enchante pas, mais ce n’est pas cela qui me dérange le plus.
• Tu défends cela pour tous les salariés, embauchés comme futurs embauchés ?
Hassen – Oui, c’est clair. Il faut se battre pour nous comme pour les jeunes. Nous ne devons pas voir l’apparition d’un double statut. Déjà, une inégalité a été introduite avec le « un cinquième ». Ce système permet à un chauffeur d’obtenir, tous les cinq ans, une année de cotisation à la retraite en plus. Ainsi, après 25 années d’ancienneté, nous avons 30 années de cotisations. Mais, à partir du 1er janvier 2009, le « un cinquième » ne sera plus accordé aux nouveaux embauchés. C’est une brèche pour créer un double statut, et c’est très dangereux.
• Qu’est-ce qui définit la pénibilité de ton travail ?
Hassen – Le stress, les horaires décalés [Alternance semaine de jour/semaine de nuit, NDLR], l’appréhension de l’accident, pour lequel on porte systématiquement une responsabilité, que l’on soit en faute ou non. Cette pénibilité là est bien réelle !
• Quel est ton salaire ?
Hassen – Avec six ans d’ancienneté, je touche 1600 euros net par mois, primes comprises.
• Comment penses-tu que le mouvement pourra gagner ?
Hassen – Il faut à tout prix faire comprendre aux gens que nous [les salariés relevant des régimes spéciaux, NDLR] sommes un verrou. Ils nous aligneront à 40 ans, et après ce sera 41, 42, voire 45 ans, pour tout le monde ! Ils ne passeront pas les autres à 41 ans tant que nous serons à 37,5. Il faudrait demander 37,5 annuités pour tous, mais les politiques n’en ont pas le courage. Le mot d’ordre doit être : « Une retraite décente pour tous ». La journée du 20 novembre, quand la fonction publique se mobilisera, doit faire boule de neige.
Propos recueillis par Thomas Mitch