Le 21 octobre 2007, une milice privée est intervenue violemment sur un site d’expérimentations transgéniques de Syngenta-Brésil. Résultat : deux morts dont un dirigeant du Mouvement des travailleurs ruraux sans terres (MST) Valmir Mota de Oliveira « Keno » [1]. Avec d’autres paysans, dont plusieurs furent blessés lors de l’affrontement, « Keno » participait à l’occupation d’un site appartenant à la succursale brésilienne de la multinationale suisse Syngenta, à Santa Tereza do Oeste (à 540 km de Curitiba, dans l’Etat méridional du Parana). Suite à ces événements tragiques, l’opinion publique internationale a remis l’entreprise agrochimique suisse (numéro 1 à l’échelle mondial dans le secteur phytosanitaire et numéro trois sur le marché des semences commerciales) sur le banc des accusés. Aujourd’hui, à cause de la violence contre les paysans. Hier, pour des « délits commerciaux » dans le monde entier et pour l’action de cette multinationale contre la souveraineté alimentaire. Mais ce n’est pas tout. Le 26 octobre dernier, les mouvements sociaux brésiliens ont demandé expressément à Syngenta de quitter le Brésil en l’accusant d’être responsable de crimes humain et écologique.
La Syngenta et ses milices privées
D’après divers organismes brésiliens de défense des droits humains, les événements se sont déroulés rapidement. Le 21 octobre (dimanche matin), un groupe de 150 paysans du MST et de Via Campesina occupèrent le domaine de la Syngenta pour dénoncer la culture illégale de semences transgéniques de soja et de maïs. Six heures plus tard, un peu après midi, une quarantaine de membres d’une milice privée arrivèrent en voiture sur les lieux. De sang-froid, ils assassinèrent de deux balles en pleine poitrine « Keno » et blessèrent quatre autres paysans (Gentil Couto Viera, Jonas Gomes de Quiroz, Domingos Barretos et Hudson Cardin). Egalement blessée de trois balles et battue sauvagement par les vigiles, Izabel Nascimento de Souza se trouve aujourd’hui dans le coma, entre la vie et la mort [2]. Deux autres dirigeants du MST, qui avaient pu se cacher, ont échappé à la mort.
Ces événements relèvent de la chronique d’un massacre annoncé. Trois jours auparavant, le 18 octobre, une délégation de la Commission des droits humains et des minorités du Congrès brésilien avait participé à une audience publique à Curitiba. Cette séance avait pour but de prendre connaissance des dénonciations relatives à la formation et à l’action de milices privées dans le Paraná (l’un des Etats brésiliens qui connaît le plus grand taux de violence contre les travailleurs sans terre). Selon la Commission de la Pastorale de la Terre - liée à l’Eglise catholique du Brésil, le Paraná détient le record brésilien, pour l’année 2006, du nombre des conflits pour la terre (76 conflits). Les grands propriétaires fonciers de cette région, regroupés au sein de l’Union démocratique rurale et de la Société rurale de l’Ouest, « organisent des groupes paramilitaires camouflés en entreprises de vigiles pour effectuer des expulsions illégales, menaçant quotidiennement la vie des travailleurs ruraux et créant un climat de terre dans l’Etat de Paraná », affirme un rapport rédigé par « Terre de droits » (une ONG pour la défense des droits humains) et la Pastorale de la Terre, document analysé par la commission du Congrès lors de sa récente séance spéciale à Curitiba. Bien que Syngenta nie formellement que les employés de la société de vigile « NF » (présente sur son champ expérimental) aient l’autorisation d’être armés, sa responsabilité concernant des faits similaires n’est pas une nouveauté.
En effet, le 20 juillet, dans la même localité, diverses familles habitant le campement du MST « Olga Benário » [3] furent « gravement menacées par des vigiles fortement armés, engagés par la multinationale Syngenta », indique le rapport de « Terre de droit » et de la Pastorale de la Terre. Selon la plainte déposée par les familles auprès de la police locale, « les vigiles de l’entreprise Syngenta envahirent le terrain et y restèrent environ 40 minutes », en tirant des balles de gros calibre durant la nuit. Six des exigences présentées par les plaignants aux autorités législatives durant la session du 18 octobre à Curitiba, deux jours à peine avant le massacre de Santa Tereza do Oeste, se sont avérées aussi concluantes que prémonitoires. Il vaut la peine de les rappeler :
– réalisation d’une enquête sérieuse, effective et impartiale sur la formation, l’entraînement et l’engagement de milices privées dans l’Etat du Paraná ;
– enquête plus particulière sur des entreprises de vigile du type de la « NF » - engagée par la Syngenta - et sur l’origine des armes en leur possession ;
– « Terre de droit », la Commission pastorale de la Terre et le MST ont aussi exigé la fin des violations des droits humains et la protection des travailleurs ruraux.
Syngenta : pesticide assassin et semences « Terminator »
En 2006, la « Déclaration de Berne » (DB) - une organisation suisse connue pour son travail d’information et de sensibilisation - lança une campagne de courriers électroniques « Stop Paraquat », appuyée par de nombreuses ONG dans le monde entier. Cette campagne exigeait de Syngenta l’arrêt immédiat de la production et de la vente de cet herbicide, extrêmement toxique et nocif pour la santé humaine. Le Paraquat - vendu dans plus de 100 pays sous le nom générique de « Gramoxone » - représente une part importante des bénéfices réalisés par la transnationale bâloise (pour l’année 2006, son bénéfice net déclaré avoisine les 900 millions de dollars) et « a causé des milliers de morts », relève la DB dans la documentation de base pour cette campagne. Malgré les critiques formulées publiquement depuis les années 1970 et les campagnes systématiques de dénonciation contre la Syngenta (née en 2000 de la fusion entre les divisions agrochimiques de Novartis-Suisse et du consortium anglo-suédois AstraZeneca), le Gramaxone continue d’être vendu dans le monde entier. Signe clair d’expansion : Syngenta a ouvert de nouvelles installations en Chine. Actuellement, seuls une dizaine de pays ont interdit ou limité sévèrement l’usage du Paraquat.
En mai 2007, plusieurs organisations asiatiques, africaines et européennes ont présenté une dénonciation contre Syngenta auprès de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Motif : l’entreprise suisse ne respecte pas les engagements conclus dans le cadre du code de bonne conduite édicté par la FAO, notamment l’article 3.5 qui appelle à éviter l’usage de certains pesticides extrêmement toxiques. En juillet 2007, la Cour européenne de justice s’est aussi prononcée contre l’utilisation de ce produit.
D’autre part, en mars 2006, une vingtaine d’organisations paysannes, de coopération au développement et de protection de l’environnement exigeaient dans une lettre adressée au gouvernement suisse que celui-ci s’engage activement pour l’interdiction à l’échelle mondiale des plantes transgéniques « Terminator ». Comme le dénonçaient alors ces organisations de la société civile suisse, Syngenta est particulièrement actif dans le développement de ces semences et d’autres technologies similaires. Les plantes du type « Terminator » produisent des semences stériles qui ne permettent qu’une seule récolte, les paysans ne peuvent donc plus utiliser ces terres.
Selon la dénonciation des organisations suisses (mentionnées plus haut) en mars 2006, « l’unique objectif de cette technologie vise à dominer le marché des semences et à assurer le contrôle de l’alimentation mondiale ce qui implique une violation du droit humain à l’alimentation ». La plante transgénique « Terminator » a fait l’objet de plusieurs débats et réflexions, lors de la 8e conférence de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, tenue précisément fin mars 2006, à Curitiba (Brésil).
A cette occasion, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre du Brésil (MST) et Via Campesina avaient occupé symboliquement des sites de Syngenta à Santa Tereza do Oeste pour protester contre « la semence illégale de soja et de maïs transgéniques », comme l’a rapporté le portail Internet suisse pour l’étranger « Swissinfo ».
La tension entre le MST et la Syngenta portait alors sur les 120 hectares de semences expérimentales, se trouvant dans la zone protégée du parc national Iguazú. Fin 2006, le gouverneur de l’Etat de Paraná avait décrété l’expropriation de ces terres, alors que l’Institut brésilien de l’environnement infligeait une amende d’un demi-million de dollars à la multinationale suisse pour avoir violé les lois brésiliennes. Des stratagèmes dilatoires, des recours juridiques, des campagnes publicitaires et des offensives médiatiques ont jusqu’ici permis à Syngenta d’échapper aussi bien aux procédures judiciaires qu’aux ordres d’expropriation. D’une manière ou d’une autre, les mêmes méthodes semblent se répéter aujourd’hui, pour que la multinationale suisse soit exempte de toute responsabilité dans la tuerie perpétrée à Santa Tereza do Oeste.