Les prisons du pays se remplissent à grande vitesse tandis qu’un nombre croissant de voyous, hommes et femmes tous plus dangereux les uns que les autres, y sont enfermés. Leur crime ? Défiler dans la rue et brandir une banderole ou, pour les plus retors, crier un slogan. Parmi eux se trouvent des centaines d’avocats et des membres de la société civile exprimant leur désaccord face aux caprices d’un homme [le président Musharraf] qui veut pousser le pays à la ruine. Certains de ces petits nouveaux qui découvrent la vie carcérale ont carrément franchi la limite du terrorisme pur et simple : ils se sont proclamés politiciens, rien que ça, et ont donc été dûment embarqués.
Curieusement, au moment de leur arrestation, aucun de ces éléments perturbateurs ne semble avoir été pris en possession de quoi que ce soit d’autre qu’une connaissance affinée de leurs droits, quelques stylos à bille et des notes hâtivement griffonnées. Pourtant certains disposent d’armes dangereuses : ils savent aligner une demi-douzaine de mots de façon cohérente. Il est évident que nous avons affaire là à des individus capables d’ébranler la société jusque dans ses fondements. Et c’est pour cette raison qu’ils sont enfermés de façon systématique par la police, fidèle à la dictature, désormais encouragée par la vigoureuse défense que lui a assurée le général-président Musharraf lors de sa « proclamation de l’état d’urgence » [le 3 novembre].
En revanche, plus curieusement, il semble qu’il n’y ait aucune arrestation dans les rangs [des terroristes islamistes], qui tous possèdent pourtant un véritable arsenal. Des armes qu’ils ne craignent pas d’utiliser contre les forces de l’ordre et les citoyens, et qui se moquent impunément de toutes les lois pakistanaises. Sans compter ceux d’entre eux qui décapitent quiconque a le malheur de leur déplaire. Ces parangons de vertu menacent régulièrement de tuer [ce qu’ils font d’ailleurs], tout en se disant prêts à recommencer à l’avenir. Et pourtant, ils semblent ne représenter aucune menace pour l’Etat puisque ce dernier leur manifeste sa gratitude en leur cédant de vastes territoires dans les zones tribales [où leurs incursions progressent vers le centre du pays]. L’Etat semble même confier à leurs soins attentifs la gestion de communes entières !
Il est peu probable que le citoyen pakistanais moyen sache quoi que ce soit de cette situation, l’ensemble des médias, y compris Internet, ayant été convoqué dans le bureau du proviseur où ses membres se sont sérieusement fait remonter les bretelles quant à ce qu’ils peuvent ou non rapporter et commenter. La presse écrite, elle, tente de progresser prudemment dans ce nouvel environnement, et [par rapport à la télévision] les journaux sont aujourd’hui la source d’information la plus facile d’accès, dans un pays où près de 60 % de la population est analphabète. On peut raisonnablement se demander le temps qu’il faudra pour que leurs pages paraissent ornées de grands placards blancs, sans doute prévus pour ceux qui ne savent pas lire. [Face à cette censure, il est clair que] tuer le messager n’est une solution que si l’on ne veut pas entendre les nouvelles dont il est porteur.