Sarkozy, président de la régression
Sarkozy s’était présenté comme « le président du pouvoir d’achat ». Mais, après sa profession de foi libérale et sécuritaire, jeudi 29 novembre, il s’est surtout affirmé comme le champion de la régression sociale généralisée. Seul le Medef a ressenti « beaucoup d’intérêt et d’espoir » en l’écoutant. La majorité des salariés, des précaires, des chômeurs, qui n’arrivent pas à finir le mois avec des salaires et des revenus minables, ont eu l’impression qu’on se moquait d’eux. La seule chose que Sarkozy lui propose, c’est de trimer plus pour gagner des clopinettes.
La vie du salarié, version Sarkozy, fait froid dans le dos. Pour augmenter son salaire, l’employé doit accepter de faire des heures supplémentaires pendant la semaine. Le dimanche, il se repose ? Non, il travaille aussi : c’est payé double ! Et pas question de récupérer. Sarkozy propose aux salariés de « monétiser » leur temps libre, de vendre leurs RTT ! Si, après une telle vie, vous arrivez à la retraite, vous la prendrez plus vieux et vous serez plus pauvres...
En fait, toutes ces mesures – dont chacune ne touche d’ailleurs qu’un nombre restreint de salariés – n’ont qu’un seul but : ne pas parler de l’augmentation des salaires et de la répartition des richesses. Préoccupation d’ailleurs partagée par le Parti socialiste, qui a fait, lui aussi, connaître ses mesures, et qui ne reprend même pas sa proposition de Smic à 1 500 euros à l’horizon 2012. Il ressort une « conférence sur les revenus », une majoration de 50 % de la prime pour l’emploi, la réactivation de la TIPP flottante et même le chèque transport de Villepin. Tout pour ne pas parler des salaires et de leur nécessaire augmentation ! Tout, plutôt que de parler de la répartition des richesses, de dire qu’entre 1983 et 2006, la part des salaires dans la richesse nationale a encore baissé de 7 %, tandis qu’entre 2000 et 2007, les dividendes versés aux actionnaires du CAC 40 sont passés de 15 à 31 milliards d’euros, et que 3 millions de salariés gagnent environ 1 000 euros net par mois.
Nicolas Sarkozy veut associer les syndicats à la mise en place de ses mesures sur le pouvoir d’achat. Après les avoir félicités pour leur « sens des responsabilités sociales » à propos du conflit des cheminots, il leur propose une conférence, mi-décembre. Il les englue dans des négociations, dont il ne sort que des mesures allant dans le sens des patrons, puisqu’on ne discute que des propositions de ceux-ci.
En fait, la solution, pour faire augmenter le pouvoir d’achat, est simple. Il faut augmenter les salaires : 300 euros net pour tous, le Smic à 1 500 euros net, tout de suite, comme le proposait Olivier Besancenot lors de la campagne présidentielle. Sarkozy l’a bien compris : il s’est octroyé une augmentation de plus de 200 % et gagne 19 000 euros par mois. C’est cela « l’équité », dans un pays où 7 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, et où 70 % des salariés gagnent moins de 2 000 euros mensuels ? Les salariés « devront aller chercher leurs augmentations de salaires eux-mêmes par leur mobilisation », a déclaré la CGT. Les conflits dans le privé pour des augmentations de salaires sont en hausse, et les fonctionnaires n’ont pas d’autre choix que de prolonger leur mobilisation du 20 novembre. Privé, public, c’est la convergence de ces luttes qui peut freiner le rouleau compresseur libéral, piloté par Sarkozy et la patronne du Medef, Laurence Parisot.
Ceux que cette politique enfonce dans la misère et la précarité, Sarkozy s’en moque : il n’a évoqué que par raccroc Moushin et Larami, les jeunes de 15 et 16 ans, tués parce qu’ils ont été heurtés par une voiture de police. En revanche, il a persisté dans sa stigmatisation des jeunes des cités populaires, en parlant de « voyoucratie ». Ce sont des images de guerre sociale qu’ont montrées les médias : un millier de policiers patrouillant dans les rues de Villiers-le-Bel, appuyés d’un hélicoptère. Pour contraindre la population à la misère, l’État doit utiliser la violence : les flash-ball et les matraques sont le versant sécuritaire inséparable de la politique libérale de Sarkozy.
L’omniprésident occulte les causes sociales de cette révolte, mais il nie l’évidence. Et l’évidence, elle est dans la rue. Après la grève des cheminots et celle des étudiants, les lycéens ont pris le relais. Ceux des lycées d’enseignement général et ceux des lycées professionnels qui bloquent leurs établissements et manifestent contre l’avenir qui leur est promis. Les succès des protestations du 18 octobre et du 20 novembre ont remis au centre de l’actualité la question sociale et la résistance à la politique du patronat et du gouvernement. Pour que cette résistance sociale s’exprime dans toute sa dimension, il faut un parti anticapitaliste qui dénonce les projets du patronat et du gouvernement, un parti aussi acharné à défendre les travailleurs et les milieux populaires que Sarkozy l’est à défendre les intérêts et les profits des patrons.
André Xoa
Rester mobilisés et combatifs
« Il n’y a aucune stratégie commune à l’ensemble de la CGT dans les secteurs où se déroulent les tables rondes tripartites », avoue Jacques Eliez, de la CGT RATP, en expliquant que ces tables rondes évoluent mal. De fait, depuis la « suspension » de la grève, tous les syndicats ont le sentiment soit « que le courant ne passe plus » (EDF-GDF), soit que les promeses faites pour pousser à la reprise du travail sont foulées au pied (non-respect par la présidente de la SNCF de ses engagements écrits). Pourtant, c’est bien « une stratégie commune » qui serait nécessaire ! Un préavis de grève est déposé pour le 6 décembre à EDF-GDF. Le 4 décembre, c’était au tour de la SNCF de remettre la pression, mais les rassemblements ont été tellement émiettés que la direction n’a pas dû être très impressionnée. D’autres initiatives s’annoncent le 7 décembre.
Si Sarkozy a gagné la partie sur le noyau dur des régimes spéciaux, il a déclenché l’entrée en action de nouvelles générations de salariés, jeunes et déterminés. Cette combativité, toujours là, a besoin d’un plan de bataille. Aucune confédération syndicale n’a voulu mettre Sarkozy en difficulté autour d’un conflit prolongé : la CFDT parce qu’elle acceptait l’alignement, la CGT parce qu’elle pensait (sans le dire) impossible un recul du pouvoir et qu’elle préférait négocier un compromis. Mais il est où, le « bon » compromis ? Il reste sûrement la possibilité de rebondir.
Aujourd’hui, comme avant le 18 octobre, cela n’est possible qu’à la condition de raccorder la lutte des salariés concernés à une bataille interprofessionnelle. Que ce soit pour les salariés des régimes spéciaux ou pour les fonctionnaires qui semblent avoir poussé Éric Woerth à entrouvrir des négociations salariales (le 17 décembre), il est urgent que le syndicalisme annonce une journée d’action nationale interprofessionnelle, privé-public, pour les salaires et les retraites de tous et toutes, en décembre. C’est urgent ! Et cela confortera le rapport de force pour des initiatives nouvelles nécessaires dans chaque entreprise.
Dominique Mezzi
SNCF. Pour les cheminots de la LCR, l’objectif des semaines à venir est bien de faire reculer le gouvernement sur des points clés de la contre-réforme (la décote, par exemple) et d’arracher le maximum de compensations, non pour crier victoire, mais parce que c’est tout simplement l’intérêt des cheminots que d’avoir des salaires et une retraite les plus élevés possibles. Faire la politique du pire en pariant sur un échec des négociations, pour pouvoir ensuite distribuer les bons et mauvais points syndicaux, ne favorisera en rien les mobilisations futures. Le problème, c’est que les négociations coincent et, de l’avis de l’ensemble des organisations syndicales qui ont participé à la table ronde du 29 novembre, le compte n’y est pas. C’est bien la preuve que des négociations à froid sont bien moins contraignantes que lorsque s’exerce la pression des grévistes. La décote devait être « évoquée » le 4 décembre, selon le représentant du gouvernement. Ce sera l’occasion de rappeler que les cheminots n’en veulent pas, idem pour l’indexation des pensions sur les prix en lieu et place des salaires. En fin de carrière, un nouvel échelon de rémunération, d’un taux de 2,5 %, serait créé. On parle également d’une majoration salariale de 0,5 % par semestre effectué après 50 ans (conducteurs) ou 55 ans. On le voit, ces mesures visent à favoriser le travail au-delà de 50 ou 55 ans. Sur d’autres mesures, la direction revient sur ce qu’elle proposait durant la grève. C’est bien la question des salaires qui s’invite dans ces négociations, d’autant que la SNCF annonce un bénéfice record de 600 à 700 millions d’euros pour 2007. Les cheminots suivent de près les négociations et ils attendent du sonnant et trébuchant. Des rassemblements doivent avoir lieu, certains parlent aussi de relancer la grève si le compte n’y est pas. C’est bien la preuve que la combativité est toujours là.
RATP. Après la dernière réunion de « négociations » tripartites, le 29 novembre dernier, il apparaît clairement que la direction de la RATP n’a que des « bricoles » à mettre sur la table. Ce n’est réellement pas une surprise, mais plutôt une confirmation : sans grève, on n’a aucune force. Au point que des salariés de la RATP ont été gardés à vue pendant douze heures, puis relâchés, accusés sans preuve d’avoir interrompu volontairement le trafic par une coupure de courant. Était-ce de la seule initiative de quelques cadres ou une mesure décidée plus en haut ? Toujours est-il que la direction a préféré intervenir pour les faire relâcher. C’est que le climat reste toujours à la mobilisation. Beaucoup de salariés critiquent ouvertement les directions syndicales qui ont accepté un tel marché de dupes. Beaucoup parlent de repartir en grève, certains au moment des fêtes de Noël. Mais comment, avec quels mots d’ordre, et quel préavis ? C’est, en tous les cas, dans l’air, sans qu’on sache si cette pression aboutira.
EDF-GDF. La stratégie des négociations régime par régime conduirait-elle à une impasse ? Il est possible de le penser à EDF-GDF. Mercredi 28 novembre, l’ensemble des fédérations syndicales ont décidé de « suspendre leur participation à tous les travaux » de négociation et d’appeler les salariés à une journée nationale d’action, le 6 janvier, au cas où les employeurs ne feraient pas des « propositions sérieuses répondant aux attentes des salariés ». C’est un fait, les propositions patronales en matière de salaire sont ridicules ; une prime de 600 euros, et une augmentation de 1,45 % le 1er janvier. D’autant que l’essentiel reste toujours sur la table : le projet de contre-réforme du régime de retraite. La question est aujourd’hui de savoir s’il faut rester dans un jeu de dupes, en espérant « monnayer » le mieux possible des contreparties à l’allongement à 40 ans de cotisation et aux décotes, ou s’il faut repartir à la bagarre tous ensemble contre la remise en cause des régimes spéciaux et des retraites. Il serait plus efficace de se fixer clairement l’objectif de faire reculer le gouvernement, plutôt que d’espérer un « donnant donnant » totalement illusoire.
Correspondants
FONCTION PUBLIQUE
Un terrain laissé à Sarkozy
Au lendemain même de la journée de grève et de manifestations du 20 novembre, au cours de laquelle des centaines de milliers de fonctionnaires s’étaient mobilisés, le ministre de la Fonction publique, Éric Woerth, avait certes reconnu que les fonctionnaires ne gagnaient « pas très bien leur vie », mais c’était pour ajouter aussitôt qu’il fallait qu’ils acceptent de « faire plus d’heures supplémentaires » afin que cela change. Discours clair s’il en est, et qu’a confirmé Sarkozy lui-même, lors de son intervention du 29 novembre.
Cela n’a pas empêché les syndicats de fonctionnaires de se dérober une nouvelle fois, attendant de voir si la conférence sur le pouvoir d’achat dans la fonction publique prévue, le 3 décembre, ne pourrait pas – on ne sait par quel miracle – se transformer en une « véritable négociation sur les salaires ».
Lors de la conférence en question, le secrétaire d’État, André Santini, a indiqué qu’il y aurait, chaque année, une « négociation sur les salaires des fonctionnaires ». Une « discussion », a-t-il précisé, « autour de la majoration et de l’élargissement des heures supplémentaires et de la monétisation des RTT », mais également de « l’intéressement », « de la redistribution des gains liés à la réduction des effectifs », ou du « mérite ». Toutes choses qui s’inscrivent dans l’offensive gouvernementale contre la fonction publique et son statut.
Qu’à cela ne tienne, les syndicats se sont emparés de quelques mots vagues d’Éric Woerth sur le fait que la discussion pourrait tourner autour du « point d’indice » pour que la FSU voie-là une « inflexion du discours » gouvernemental, la CGT une « porte entr’ouverte » et que les syndicats acceptent de nouvelles discussions qui doivent avoir lieu à la mi-décembre.
Certes, il ne suffit pas d’appeler à la mobilisation pour que celle-ci soit réussie, mais cette nouvelle reculade des syndicats de fonctionnaires, face aux 23 000 suppressions de postes et aux dernières provocations gouvernementales en matière de pouvoir d’achat, laisse Sarkozy reprendre l’avantage et occuper le terrain.
Galia Trépère
La gazette des gazettes
« Tout s’achète, même la rupture »
C’est une leçon de lutte de classe que nous administre Jacques Marseille, dans sa chronique hebdomadaire du Point. Il est vrai que notre universitaire fut communiste avant de devenir le chantre du libéralisme le plus doctrinaire. Dans la livraison du 29 novembre de l’hebdomadaire, il prétend montrer que « l’issue de la grève [des cheminots et des traminots, NDLR] donne raison à ceux qui pensent que tout s’achète, même la rupture ». Et de développer, en application de cette intéressante déclinaison de la notion la plus chère aux thuriféraires de la loi de l’argent, l’idée selon laquelle, « pour réformer », comme il dit, « il faut payer pour racheter les privilèges que ceux qui en bénéficient appellent des “droits acquis” ».
Là où la « démonstration » atteint des sommets de cynisme, c’est lorsque notre expert en arrive à sa conclusion. À ses yeux, le prix payé est finalement fort modeste au regard du gain obtenu par son camp : « 90 millions d’euros par an, soit un peu plus de 500 euros par cheminot seulement, on mesure à quel point cette grève était disproportionnée par rapport à la nature des enjeux. Qu’on ne vienne pas écrire qu’il n’y a pas de perdants dans ce conflit. Tous les perdants sont ceux qui – fort nombreux – voulaient faire reculer le gouvernement sur les principes mêmes de la réforme, à savoir le passage à 40 ans de cotisations, la décote et l’alignement des pensions sur les prix. » Et d’enfoncer le clou : « Nicolas Sarkozy, secondé par Xavier Bertrand, a réussi l’exploit de racheter un privilège historique à un coût relativement modeste. Qu’une réforme aussi symbolique ait pu être avalisée par une CGT jusque-là arc-boutée sur la défense des “droits acquis” peut entretenir de singulières espérances sur l’avenir. »
Voilà une cohérence de nature à en remontrer à ceux qui prisent tant la « méthode » des négociations. Le pragmatisme, dont ils créditent parfois le gouvernement, ne perd jamais de vue l’essentiel. En l’occurrence, la conversion du pays à la norme d’un capitalisme plus prédateur que jamais. Comme l’écrit l’inénarrable Marseille, le rachat au rabais des plus grandes conquêtes sociales du salariat est « diablement efficace, dans une France qui se convertit lentement à l’économie de marché ».
Christian Picquet