Tout le monde ou presque l’avait pressenti, le budget du ministère [français] de la Culture pour 2008 risquait d’être très sérieusement revu à la baisse. Mais aucun des acteurs du monde culturel ne semblait s’attendre à de telles attaques. Déjà, début octobre, lors de la rencontre entre les directions régionales des affaires culturelles (Drac) et le ministère, le choc avait été rude : pour certaines missions (action culturelle, programmes jeunes publics, etc.), la baisse des crédits était dramatique, atteignant 100 % pour certains postes. Il s’agissait d’un premier pas dans le processus de disparition des Drac, envisagée pour 2009-2010.
Puis, à la suite de la lettre de mission de Nicolas Sarkozy à Christiane Albanel, en août dernier, qui incitait vivement le ministère à mettre l’accent sur l’axe culturel populiste de la « satisfaction des goûts du public » plus que sur la création et le développement culturels, la publication, il y a quelques semaines, du budget culturel pour l’année 2008 – malgré un tour de passe-passe comptable permettant d’annoncer une hausse illusoire – affichait une baisse de 1,35 %, accompagnée d’un gel des crédits de 6 %, de l’aveu même de la ministre. Tous les secteurs culturels, un par un, sont touchés : même le budget du patrimoine et des monuments – déjà en manque de 50 millions d’euros – diminue de 18 % en crédits de paiement, ce qui amènera très vite, faute d’entretien, la ruine de nombre de monuments, vendus ensuite à bas prix à des investisseurs privés, ce qu’annonce à demi-mot Nicolas Sarkozy dans la lettre de mission à sa ministre.
Programmes menacés
De son côté, le spectacle vivant est à la limite du sinistre : près de 1,2 million d’euros de baisse de crédits, à laquelle s’ajoute une baisse budgétaire directe de près de 8 % pour les centres dramatiques nationaux – ce qui amène, par exemple, le Théâtre de la Bastille au bord du dépôt de bilan l’an prochain. Ainsi, l’État se désengage, via son ministère, mais aussi via les Drac : en Rhône-Alpes, l’ensemble des institutions et structures culturelles recevront 2,4 millions d’euros en moins. En région parisienne, pour le Théâtre de la Commune (Aubervilliers), celui des Amandiers (Nanterre), ceux de l’Odéon ou de Chaillot, la Comédie française, le Théâtre de la Colline, etc., la perte se chiffre entre 250 000 et 500 000 euros. Les caisses se vidant, les directeurs de salles envisagent l’avenir de manière assez sombre : moins de spectacles et de créations ? Des places plus chères ? Des intermittents encore moins payés ? Voire pire, comme pour les opéras régionaux d’Avignon, de Metz ou de Tours qui, devant une participation de l’État divisée par deux, ou tout simplement annulée, envisagent de fermer leurs portes...
La transmission et l’enseignement culturels, eux aussi, vont connaître le couperet budgétaire sarkozyen, puisque, parmi d’autres, le Parc de la Villette, la Cité de la musique, ou encore l’École des Beaux-Arts se verront amputés de près de 3 millions d’euros. Mais c’est surtout l’action culturelle, qui vise normalement à faire partager la culture, dans toute sa diversité, à des publics n’ayant pas ou peu accès, qui compte parmi les principales victimes budgétaires : avec une baisse moyenne de 15 %, de nombreuses régions et Drac envisagent la disparition de programmes tels que « Culture à l’hôpital », « Culture en prison », « Lycéens au cinéma », « Théâtres de quartiers », etc.
Une politique cohérente avec l’entreprise d’écrasement et d’emprise médiatique organisée par le pouvoir sarkozyen, à travers notamment la fin progressive de l’indépendance des médias et des journalistes : il s’agit d’ôter toute possibilité d’ouverture sur le monde – sur les mondes – et d’esprit critique, tant par des médias aux ordres que par une culture stérilisée et accessible au seul public d’habitués. Toute une conception de la culture version libérale est ici mise en place, et Sarkozy n’en avait rien caché lors de sa campagne présidentielle : après s’être attaqué, dans un premier temps, aux travailleurs de la culture (via la réforme de l’intermittence), il s’agit maintenant de déréguler les secteurs de la culture et de la création, et de rendre « leur » place aux mécènes et aux investisseurs privés – l’élargissement de la loi sur le mécénat est le prochain chantier de Christiane Albanel. Les « attentes du public » sont ainsi mises en avant comme l’alpha et l’oméga de toute politique culturelle, désormais soumise à des « obligations de résultats ». La culture se voit mise en conformité avec les goûts d’un public, vécus comme figés. Une culture du présent, un conservatisme culturel qui va de pair avec une politique sociale réactionnaire.
Esprit critique
La résistance au sarkozysme doit donc aussi passer par la résistance culturelle ! Car la culture n’est pas un simple divertissement : au même titre que l’emploi, le logement, la santé, eux aussi mis à mal par les attaques libérales, elle est un véritable besoin social et, en tant que tel, porteuse des espoirs, des contradictions, des conflits de la société : elle crée du lien et participe à l’émancipation individuelle et collective. La culture n’est ni un « supplément d’âme », ni un prétendu remède à la « fracture sociale ». Une simple réponse budgétaire ou économique à ces attaques ne peut être la solution à elle seule. L’accès aux œuvres et l’accès à la formation artistique et aux pratiques créatives sont des missions de service public. Ils doivent être garantis sur les lieux de travail, dans les quartiers, villes et régions, par un véritable service public de la culture, qui défende l’accès de toutes et tous à la culture, qui étende les droits des travailleurs de ce secteur (rémunération et conditions de travail) et qui soutienne davantage la création ainsi que sa diffusion – moyens financiers, matériels et humains, prise en compte de la réalité technologique d’aujourd’hui, tant dans la défense des rémunérations des créateurs et interprètes, que dans la promotion d’un accès plus large à la culture.
Aussi, dans un processus politique de création d’un nouveau parti anticapitaliste, la question culturelle ne devra pas être ignorée car, de son côté, le gouvernement sait très bien s’en faire une arme, pour la privatisation du savoir et de la culture et, au-delà, pour la fin de toute possibilité contestataire, faute d’ouverture culturelle et d’esprit critique. C’est bien sur un nouveau terrain que nous devrons combattre l’hégémonie culturelle du libéralisme, tant face à la culture marchandisée version Sarkozy, que face à la version light sociale-libérale qui l’accompagne.