Si le superministère de l’Ecologie, de l’Aménagement et du Développement durable (Medad) doit devenir le bras armé du Grenelle, pourquoi semble-t-il amputé de ce qui constitue l’essence même du Grenelle : l’écologie ? Dans leurs intitulés mêmes, les directions du ministère s’affranchissent des termes « écologie », « nature » ou « environnement ». Pour un gouvernement qui s’attache aux symboles, celui-là vaut son pesant de significations. Avant de s’envoler pour Bali et d’y découvrir les joies exaltantes des négociations internationales, Jean-Louis Borloo a fait une présentation de sa réorganisation sur les chapeaux de roues à ses troupes, lesquelles n’ont pas eu le temps de lui poser la moindre question.
« Avalés ». Considérée comme l’une des priorités de l’après-Grenelle, la réorganisation de leur ministère inquiète pourtant les fonctionnaires de l’écologie, lesquels se sentent « avalés » par ces grands corps que sont les Mines et les Ponts et Chaussées. « Personne n’avale personne », rétorque Claude Martinand, vice-président du Conseil général des ponts et chaussées (CGPC), institution bicentenaire qui abrite plus de 400 personnes. « Nous devons faire travailler ensemble des directions qui, auparavant, s’ignoraient ou se combattaient. » En faisant fusionner l’Inspection générale de l’environnement (IGE), dotée, elle, d’une trentaine de personnes, avec le CGPC, le futur Medad sera-t-il équilibré ? « Numériquement, comment voulez-vous faire le poids ? » interroge un haut fonctionnaire de l’écologie. L’IGE est pourtant fondamentale pour l’évaluation des politiques environnementales.
« Les grandes directions du ministère doivent être cohérentes avec le Grenelle. Nous devons ajouter la culture du cantonnier à celle du jardinier », précise Martinand. Dans ce cas, pourquoi maintenir une Direction générale de l’aviation et supprimer la Direction générale de l’eau, « problème majeur du siècle », ou de la biodiversité ?
Vieille guerre. Sur le fond, tout le monde est d’accord pour réformer le superministère. Des 35 directions d’origine (transports, écologie, énergie, etc.), on n’en conserve que cinq. Mais une seule est dévolue à l’environnement (ressources, territoires, habitats). Et encore, elle devra se partager avec l’urbanisme et la construction. Deux sont consacrées aux transports (aviation et infrastructures), une à l’énergie et au climat et la dernière aux risques sanitaires, technologiques et naturels. Un Commissariat général au développement durable jouera le Gémini Cricket du Grenelle, s’assurant du suivi de l’ovni institutionnel. Il sera présidé par l’actuelle présidente de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), Michèle Pappalardo. Et c’est un ancien préfet, Didier Lallement, guère réputé pour sa culture environnementale, qui devient secrétaire général du Medad. La mission interministérielle de l’effet de serre, ainsi que la délégation interministérielle du développement durable disparaissent, ce qui fait dire à un haut fonctionnaire qu’« on fait plutôt peser le poids de la réduction d’effectifs sur l’écologie et pas sur l’équipement ou l’aménagement du territoire ». Sans compter l’ampleur du changement de culture à opérer pour mener à bien la réforme de ce tanker institutionnel qui doit être menée avant l’été - au moment où la France prendra la tête de l’Union européenne. « Il faudra que les points de vue se rapprochent, sinon comment des gens qui ont toujours eu l’impression d’avoir raison peuvent accepter d’avoir un peu tort ? »
« Qu’il y ait des cultures différentes est un lieu commun, mais attendons de voir ce qui va se passer… », avance un observateur. Peut-être que la vieille guerre entre les corps d’Etat est aussi une guerre générationnelle. « L’opinion publique fait bouger les choses et ceux qui tiennent les rênes aujourd’hui ne sont pas éternels. » En a-t-on le temps ?