SÉOUL ENVOYÉ SPÉCIAL
Pour un anniversaire, difficile de rêver plus original que d’être élu à la présidence d’un pays. C’est pourtant ce qui est arrivé à Lee Myung-bak, 66 ans, vainqueur, mercredi 19 décembre, de l’élection présidentielle en Corée du Sud. L’accession de ce chef de file du camp conservateur à la Maison Bleue - la présidence sud-coréenne - signe l’aboutissement d’une carrière marquée par ses succès au sein du conglomérat (chaebol) Hyundai et une vie politique qui l’a vu diriger la mairie de Séoul où il a témoigné d’une volonté à toute épreuve.
Presbytérien profondément croyant, marié et père de cinq enfants, le candidat du Grand Parti national (GPN) a été élu avec 48,7 % des suffrages, plus de 20 points d’avance sur son principal adversaire de centre-gauche, Chung Dong-young. En ramenant les conservateurs au pouvoir, il met fin à dix années de gouvernement de gauche.
M. Lee arrive à la Maison Bleue au terme d’une campagne qui n’a pas passionné les foules et qui reste marquée par l’affaire BBK, une société de conseil. Une commission d’enquête parlementaire a été créée le 17 décembre pour déterminer si M. Lee a réellement dirigé cette société de conseil en investissements et s’il a bénéficié des malversations de son ancien partenaire Kim Kyung-joon, aujourd’hui incarcéré.
Devenu, comme il le dit lui-même, « PDG de la Corée du Sud », M. Lee ambitionne de revitaliser l’économie au travers de réductions d’impôt, d’amélioration du fonctionnement des services publics, d’une plus grande flexibilité de l’emploi. Il veut ainsi remplir les objectifs de son « plan 747 », à savoir 7 % de croissance annuelle, un revenu par tête à 40 000 dollars et une économie coréenne en septième position mondiale.
« UN HOMME DU PASSÉ »
Sa large victoire vient couronner une trajectoire personnelle qui a déjà valeur de mythe pour bien des Coréens. La télévision a réalisé, dans les années 1990, deux séries télévisées sur son ascension rapide à la présidence de Hyundai Engineering. M. Lee s’y décrit lui comme « le self-made man par excellence », le symbole de l’époque - des années 1960 aux années 1990 - où la Corée du Sud jouissait d’une croissance annuelle à deux chiffres.
Cette image a séduit l’électeur sud-coréen, confronté à des difficultés économiques et sociales grandissantes. Son porte-parole, Park Heong-joon, apprécie chez M. Lee le « goût du défi », sa force de travail et son désir de « rendre possible ce qui paraît impossible ». Yim Sung-bin, un de ses conseillers en relations internationales, salue un pragmatisme qui lui permet de « s’adapter sans être prisonnier des idéologies ».
Lee Myung-bak est né à Osaka, au Japon, en 1941, quand la Corée était encore colonie nippone. Son père travaillait dans une ferme d’élevage. Il retourne dans la péninsule avec sa famille en 1945 mais le naufrage du navire sur lequel ils ont embarqué fait perdre aux Lee tous leurs biens. Installée à Pohang, dans le sud de la Corée, la famille vit pauvrement.
Le futur président travaille sur les marchés pour payer ses cours du soir. Plus tard, à Séoul, il ramasse les ordures pour régler ses frais d’inscription à la prestigieuse Université de Corée, où il étudie le commerce. Il s’initie alors à la politique, passe quatre mois en prison pour avoir manifesté contre la normalisation des relations de entre la Corée du Sud et le Japon.
Il est embauché chez Hyundai en 1965. A 36 ans, il accède au poste de PDG de Hyundai Engineering, la filiale construction du conglomérat. Il quitte le chaebol en 1992 pour se lancer en politique. En 2002, Lee Myung-bak accède à la mairie de Séoul. Sa réussite la plus spectaculaire reste le projet Cheonggyecheon, une promenade de 6,5 km le long d’une rivière coulant au cœur de la capitale et recouverte d’une autoroute pendant quarante ans.
Son accession à la tête du pays prolonge donc le mythe. Mais le réel, l’enquête sur l’affaire BBK, pourrait troubler son début de mandat et pénaliser le GPN aux élections législatives d’avril 2008. Et puis, comme le fait remarquer un observateur, « il a été élu parce qu’il incarne une époque dorée, mais la Corée d’aujourd’hui n’est plus celle d’il y a vingt ans ». Porté notamment par l’espoir de retour à des temps révolus, il reste, aux yeux de ses opposants, « un homme du passé ».
Article paru dans le Monde, édition du 21.12.07.
LE MONDE | 20.12.07 | 14h23 • Mis à jour le 20.12.07 | 14h23
La question sociale préoccupe de plus en plus les Sud-Coréens
TOKYO CORRESPONDANCE
« Je gagne 880 000 wons par mois (657 euros), mais je n’ai pas perdu espoir. » Cette phrase apparaît en tête des cinq citations que le quotidien Choson Ilbo considère comme les meilleures illustrations de l’année sociale en Corée du Sud. Le jury rassemblé par le journal a dédié, le 11 décembre, cette citation aux jeunes qui « ont la force de rester optimistes malgré des salaires bas et un chômage élevé ».
La question sociale, en particulier les difficultés croissantes rencontrées par les jeunes, a nourri une bonne partie des débats au fil de la campagne en vue de l’élection présidentielle de mercredi 19 décembre. Avec 7,2 %, le taux de chômage des jeunes entre 15 et 29 ans représente plus du double de la moyenne nationale (3,3 %). Malgré un repli d’un point par rapport à 2006, il continue d’alimenter l’inquiétude d’une société qui a le sentiment d’un certain délitement de ses conditions de vie.
L’économie coréenne connaît, depuis la crise asiatique de 1997, une croissance moyenne d’environ 5 %. Le revenu par tête a progressé de 4,5 %, et le salaire mensuel moyen atteint 2 636 000 wons (1 970 euros). Mais ces performances, accompagnées de l’introduction de pratiques comme la flexibilité ou l’externalisation de certaines activités, ne profitent pas à tous. Les statistiques confirment un creusement des inégalités, une contraction de la classe moyenne et une augmentation du nombre de travailleurs pauvres ou précaires. Les jeunes, souvent diplômés, et les personnes âgées, sont les plus touchés.
Ces évolutions ont contraint les autorités à créer des aides comme le Système national de sécurité pour une subsistance de base, une sorte de RMI qui a vu le jour en 2000. Sept ans plus tard, 1,5 million de personnes en sont tributaires, mais son existence n’a pas atténué les inquiétudes.
L’anxiété générale n’a pas échappé aux candidats à l’élection présidentielle. Les précédentes campagnes se focalisaient sur les problèmes internationaux, notamment les relations avec la Corée du Nord. Cette année, elle porte essentiellement sur les questions économiques et sociales.
Les orientations de Lee Myung-bak, le candidat du Grand Parti national (GNP, droite), en sont une illustration. Mettant en avant ses compétences en matière de gestion, cet ancien homme d’affaires et maire de Séoul a tout fait pour éviter les questions doctrinaires et mis en avant le pragmatisme politique. « Dès lors que les problèmes économiques sont éludés, les politiciens ont tendance à se disputer sur des questions idéologiques qui n’intéressent pas les gens », a-t-il affirmé le 14 novembre.
Au travers de son plan « 747 » - 7 % de croissance, 40 000 dollars de revenus annuels per capita et une économie au 7e rang mondial -, il souhaite introduire plus de flexibilité, favoriser la concurence et l’innovation, réduire les impôts et créer 3 millions d’emplois.
REVIREMENT DES SYNDICATS
Son principal adversaire, Chung Dong-young, du Nouveau Parti démocrate unifié (NPDU), proche de l’actuelle majorité de gauche, inscrit ses propositions dans la lignée de celles du président sortant Roh Moo-hyun. Il met en avant la nécessité de soutenir l’éducation pour réduire les inégalités, maintenir les impôts à leur niveau actuel et s’engage sur une croissance à 6 % et la création de 2,5 millions d’emplois.
Pour M. Chung, la campagne actuelle est une course entre « l’économie des petites gens » et « l’économie des chaebols » (conglomérats). Pourtant, la puissante Fédération des syndicats coréens, traditionnellement de gauche [1], a officiellement accordé, le 10 décembre, son soutien au conservateur Lee Myung-bak.
[1] Note d’ESSF : il s’agit de la FKTU et non pas de la KCTU, qui est la centrale syndicale la plus à gauche.
L’opposition conservatrice a le vent en poupe
Les électeurs sud-coréens devraient opter pour l’alternance à l’occasion du scrutin présidentiel du mercredi 19 septembre. Les sondages n’ont cessé de placer largement en tête le candidat de l’opposition conservatrice, Lee Myung-bak, chef de file du Grand Parti national (GNP), dont la cote de popularité pourrait toutefois souffrir d’insistants soupçons de corruption. Son principal rival, Chung Dong-young, représentant du Nouveau Parti démocrate unifié (NPDU), soutien du président sortant de centre-gauche, Roh Moo-hyun, ne semble pas le menacer sérieusement. Un troisième candidat, Lee Hoi-chang, guignant la frange la plus droitière de l’électorat conservateur, semble lui aussi distancé.
Articles parus dans le Monde, édition du 19.12.07.
LE MONDE | 18.12.07 | 14h24 • Mis à jour le 18.12.07 | 14h24
La candidature du chef de la droite, soupçonné de corruption, déchaîne la controverse à Séoul
TOKYO CORRESPONDANT
Le ministère sud-coréen de la justice ne rouvrira pas l’investigation sur « le scandale BBK », visant Lee Myung-bak, chef de l’opposition conservatrice et favori de l’élection présidentielle du mercredi 19 décembre. Lundi, l’administration n’a pas répondu favorablement à la demande du président de centre-gauche, Roh Moo-hyun. Ce dernier avait souhaité la relance des investigations après la diffusion d’une vidéo, dimanche, à l’Assemblée nationale, qui apportait de nouveaux éléments sur cette affaire. Le ministère s’est en revanche dit favorable à une commission d’enquête dont la création a été votée, lundi, par le Parlement.
Le « scandale BBK » date de 2001, au moment de l’ouverture d’une enquête sur cette société de conseil en investissements. A l’époque, Kim Kyung-joon, ancien associé de Lee Myung-bak, avait fui aux Etats-Unis, après avoir été accusé de manipulations de titres, de fabrication de faux documents et de détournement de fonds. Arrêté sur le territoire américain, il avait été extradé en Corée du Sud, début 2007.
Au cours de ses dépositions, il a impliqué Lee Myung-bak, ce qui a conduit à l’ouverture d’une investigation spéciale contre le candidat du Grand Parti national (GPN, droite). Le 5 décembre, les enquêteurs ont, faute de preuves, rejeté les accusations qui pesaient sur M. Lee, notamment celles d’avoir été le véritable propriétaire de BBK et d’avoir tiré bénéfice des malversations.
Cette décision n’a pas dissipé les doutes. Chung Dong-young, le candidat du Nouveau Parti démocrate unifié (NPDU, gauche), n’a pas hésité, le 6 décembre, en plein débat télévisé, à affirmer que « la vérité a été enterrée et la justice n’a pas été rendue ». Depuis, les opposants à M. Lee s’efforcent de lancer une enquête indépendante. Vendredi, des débats dans ce sens ont déclenché de véritables bagarres à l’Assemblée nationale.
Dimanche, la diffusion de la vidéo par les représentants du NPDU a accentué la pression sur le camp de M. Lee. Tournée le 17 octobre 2000 à l’université de Kwangwoon, elle montre le candidat de droite parlant de son expérience d’entrepreneur. « J’ai créé BBK, une société de conseil en investissements, en janvier de cette année », affirme-t-il à l’image.
AVANCE DE 20 POINTS
Après la diffusion, qui semble contredire les conclusions de l’investigation spéciale, et l’annonce du président Roh, Lee Myung-bak a choisi d’accepter le principe d’une enquête indépendante. Reste à déterminer l’impact de l’affaire sur l’opinion. Lee Myung-bak bénéficiait dans les derniers sondages autorisés le 12 décembre d’une avance de plus de 20 points sur ses principaux rivaux. Un retournement de tendance semble peu probable, d’autant que le NPDU est critiqué sur la manière dont il a obtenu la vidéo. Le GPN aurait en sa possession un enregistrement d’un représentant du NPDU, négociant pour 3 milliards de wons (2,2 millions d’euros) l’achat des images.
Article paru dans le Monde, édition du 18.12.07.
LE MONDE | 17.12.07 | 15h19 • Mis à jour le 17.12.07 | 15h19