Le général-président Musharraf aux abois avait imposé l’état d’urgence le 3 novembre 2007 pour porter un coup d’arrêt aux mobilisations démocratiques et pour d’éviter que sa réélection ne soit remise en cause par une Cour suprême affirmant son indépendance vis-à-vis du pouvoir. Six semaines plus tard, le 15 décembre, il l’a formellement levée. Entre temps, il a limogé les juges récalcitrants et nommé une Cour à sa botte. Il a jeté en prison et menacé de poursuites —aux nom des sinistres lois anti-terroristes— des milliers d’opposants. Ayant endossé l’habit civil pour calmer les critiques occidentales, il a nommé à la tête des armées le général Ashfaq Parvez Kiyani ; à savoir l’ancien patron des services secrets militaires (ISI), coupables de maints crimes. Il a suspendu la Constitution et en a profité pour l’amender par décrets afin d’interdire toute remise en cause ultérieure des mesures prises durant cette période de répression massive et d’arbitraire total, équivalent à véritable un régime de loi martiale. La majorité des détenus ont été libérés, mais cinq juges, nombre d’avocats et d’autres figures de proues mouvement de résistance démocratique restent toujours en résidence surveillée ou en détention.
Si la répression est aujourd’hui moins intense qu’aux lendemains du 3 novembre, elle n’a pas pour autant cessé. Les manifestations sont souvent sévèrement réprimées, comme ce fut ces jours derniers le cas à Karachi ou Islamabad. La magistrature reste muselée et la justice aux ordres. L’élection présidentielle est devenue un fait accompli malgré son caractère profondément anti-démocratique (Musharraf a été réélu au scrutin indirect par des assemblées qui n’avaient pas été renouvelées). Des législatives sont annoncées pour le 8 janvier sans qu’aucune garantie quant à la probité de leur déroulement n’ait été donnée. Dans de telles conditions, la levée de l’état d’urgence n’est, aux yeux du Labor Party Pakistan, qu’une « farce » [1].
Temporairement au moins, avec l’état d’urgence Musharraf a pu imposer sa réélection frauduleuse malgré une résistance massive dans le pays et de nombreuses condamnations internationales. S’il a pu ainsi gagner son pari, alors qu’il semblait politiquement isolé, c’est qu’il a gardé l’appui de l’armée et que les puissances occidentales (des Etats-Unis à l’Union européenne) se sont contenté de protestations de pure forme, alors même que le général-président jetait en prison des milliers de manifestants. C’est aussi que les principaux partis bourgeois d’opposition, au sortir d’une valse-hésitation, ont accepté les règles du jeu imposées par le pouvoir : le Parti du peuple (PPP) de Benazir Bhutto et la Ligue musulmane (PML-N) de Nawaf Sharif ont annoncé leur participation aux élections législatives de janvier.
Un mouvement de boycott des élections législatives est lancé à l’appel, notamment, du Barreau, le mouvement des avocats restant très mobilisés. De nombreuses associations, des mouvements nationalistes (notamment baloutche), des formations religieuses et les six petits partis de gauche (dont le LPP) réunis dans le Mouvement démocratique du peuple (Awami Jamhoori Tehreek — AJT) ont répondu positivement à cet appel. Le régime est usé, déligitimisé, et le coup de force du 3 novembre ne doit pas être entériné. Le LPP demande ainsi aux forces progressistes internationales de poursuivre la solidarité jusqu’au renversement de Musharraf. [2]