Contrat rempli ! Si l’on compare les résultats de la 13e conférence des Nations unies sur le climat, qui s’est achevée sur l’île de Bali samedi 15 décembre, aux attentes qu’exprimaient les diplomates avant son ouverture le 3 décembre, force est de reconnaître qu’elles sont pleinement satisfaites. Ils espéraient la fixation d’une échéance pour l’accord qui devra succéder au protocole de Kyoto : ce sera 2009, lors de la quinzième conférence, à Copenhague. Ils attendaient la définition d’un programme de travail pour préparer cet accord : il est décrit dans la « feuille de route » adoptée par les 187 pays participants à la conférence de Bali, un texte court et aussi clair que la diplomatie le permet.
Les diplomates imaginaient aussi un consensus sur des dossiers pressants, celui de la « déforestation évitée » - prise en compte de la réduction de la déforestation comme moyen de réduire les émissions de gaz carbonique - et celui du « fonds d’adaptation », aide aux pays pauvres pour faire face aux effets du changement climatique : ils l’ont obtenu. C’est « carton plein », comme disent les joueurs de loto, et l’on comprend l’expression satisfaite des politiques et des diplomates au terme de deux nuits blanches particulièrement éprouvantes.
Pourtant, l’opinion publique a pu avoir l’impression d’un semi-échec. En effet, la dramaturgie très particulière de la négociation climatique a conduit à focaliser la discussion sur un thème majeur, mais qui a surgi de façon inattendue : un objectif ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre aux horizons de 2020 et de 2050. De la même manière que les procès d’assises permettent de révéler mieux qu’aucune autre procédure la vérité déchirante d’un dossier criminel, les conférences internationales mettent en scène les enjeux de fond que le langage des techniciens occulte parfois. Les observations scientifiques du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) se sont ainsi invitées sans prévenir à la table des discussions, pour rappeler que si l’on veut limiter le réchauffement à un niveau supportable (+ 2 oC), il faudra diviser par deux d’ici à 2050 les émissions planétaires de gaz à effet de serre.
On sait que la semaine a été occupée par un bras de fer entre l’Union européenne et les pays en développement d’un côté, et les Etats-Unis et des acolytes importants (Canada et Japon) de l’autre, à propos de l’affichage des objectifs chiffrés de réduction. Finalement, pour éviter une rupture jugée désastreuse, les Européens ont reculé, ce qui a de facto contraint les Etats-Unis à signer le texte de Bali, dès lors qu’il était expurgé de l’objet contentieux.
Cette lutte serrée a eu deux effets positifs. D’une part, Washington, qui a tenté depuis 2001 de détruire le protocole de Kyoto, rejoint, en sauvant la face, le processus multilatéral qui conduira au protocole de Copenhague. Même les réunions des « économies majeures », organisées par la Maison Blanche - la première a eu lieu en septembre à Washington -, sont présentées comme une aide à la démarche collective. « Elles ne sont pas parallèles au processus des Nations unies, nous indique James Connaughton, le conseiller de George Bush sur le climat, mais elles les soutiennent pleinement, en synchronisation avec la feuille de route de Bali. » M. Connaughton évoque même une « convergence, si les leaders du G8 le veulent ». Sauf accident, le terrain est ainsi préparé pour que l’administration qui succédera à celle de l’actuel président des Etats-Unis participe sans esprit de retour, à partir de 2009, à la lutte contre le changement climatique.
D’autre part, les objectifs chiffrés restent inscrits de manière indirecte dans le texte de Bali, sous forme d’une référence aux estimations du GIEC. Tous les acteurs comprennent bien ce que cela signifie : de même que la conférence de Berlin, en 1995, avait conduit à l’adoption à Kyoto, en 1997, d’un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre par les pays industrialisés de 5 % en 2008-2012, Bali amorce à Copenhague le choix possible d’une réduction de l’ordre de 20 % en 2020 pour les pays développés, assorti d’une limitation, voire d’une réduction, à une échéance plus lointaine pour les pays en développement.
LES EFFORTS DES GRANDS PAYS DU SUD
Ces derniers, d’ailleurs, sont maintenant pleinement entrés dans le jeu, et Bali les a vus actifs comme jamais. Ils ne se contentent plus d’exiger des efforts de la part des pays riches, mais affirment que ces efforts seront partagés à la mesure des capacités de chacun. « Etant donné la gravité sans précédent, l’ampleur et la profondeur des impacts du changement climatique, il ne peut être résolu par les seuls efforts des pays développés », a déclaré le représentant de la Chine, Xie Zhenhua, dans son discours du 12 décembre. Marina Silva, la ministre de l’environnement du Brésil, a précisé le même jour en conférence de presse que « même si les pays en développement n’ont pas de responsabilité historique dans le changement climatique, ils doivent agir ». Les grands pays du Sud, d’ailleurs, présentent des politiques d’environnement et d’efficacité énergétique qui ne sont pas négligeables.
Le schéma de l’accord planétaire qui se dessine pour Copenhague et la nouvelle attitude des grands pays du Sud signifient que la balle est maintenant dans le camp des pays riches, et particulièrement des Européens. Il ne s’agit plus seulement d’invoquer des chiffres, mais de se mettre en situation de les respecter.
Ainsi, par exemple, les responsables politiques français, qui ont adopté dans la loi de 2005 sur l’énergie l’objectif de réduire par quatre en 2050 les émissions de notre pays, ont-ils bien intégré le fait que cela représente une diminution annuelle de l’ordre de 3 % ? Or, entre 1990 et 2005, la France n’a diminué ses émissions que de 1,6 %. Il va falloir changer de braquet, comme disent les cyclistes. L’invocation rituelle des progrès technologiques ne suffira pas, même si ceux-ci ont un rôle essentiel à jouer. Il faudra un effort réel d’économies d’énergie.
« Une politique d’économie d’énergie est la principale réponse de court terme au défi du changement climatique, constate Nobuo Tanaka, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie. C’est difficile, parce que cela requiert de changer le mode de vie des gens. » Changer le mode de vie : tel est bien le défi posé par le changement climatique. Si les responsables politiques et économiques n’en prennent pas conscience et agissent en conséquence, leurs discours ne seront que des poussières qu’emporte le vent de l’histoire.