Bercy, Matignon, l’Elysée : les dirigeants de La Poste font le tour des lieux de pouvoir, pour dire leur inquiétude face à la réforme du livret A, que le premier ministre, François Fillon, veut engager au premier semestre 2008.
L’entourage de Jean-Paul Bailly, président de l’établissement public, craint que l’extension à toutes les banques de la distribution du livret d’épargne préféré des Français - jusqu’à présent réservé à La Poste (devenue, pour ses opérations financières, La Banque postale) et aux Caisses d’épargne - n’en dénature le rôle social.
La Banque postale demande, en premier lieu, au gouvernement de reconnaître la mission d’« accessibilité bancaire » du Livret A postal et de compenser, sous une forme à définir (celle d’une commission financière ad hoc ou celle d’une charge dans le budget de l’Etat), les 450 millions d’euros annuels que lui coûte, selon ses estimations, cette mission de service public. Une mission dont La Banque postale rappelle qu’elle est reconnue par la Commission européenne - à l’origine de la réforme du Livret A - comme un service d’intérêt économique général.
En outre, La Banque postale met en garde les pouvoirs publics contre les effets pervers qu’aurait, selon elle, pour les clients les plus modestes, le « nouveau Livret A », tel qu’envisagé par Michel Camdessus dans son rapport remis lundi 17 décembre à M. Fillon. M. Camdessus préconise, en effet, de relever de 1,5 euro à 10 euros environ le seuil minimal pour effectuer des opérations sur le Livret A, et notamment des retraits d’argent liquide.
Or, il existe aujourd’hui à La Banque postale, traditionnelle « banque des pauvres », 6 millions de « petits » Livrets A (affichant moins de 150 euros d’épargne), dont 1,5 million est utilisé comme des comptes courants. Près de la moitié d’entre eux appartiendrait à des personnes aux très faibles revenus, voire en situation de grande précarité, qui n’ont pas assez de ressources pour ouvrir un compte bancaire classique. Celles-ci effectueraient très régulièrement des retraits de 5, 10 euros sur leur livret, en fait utilisé comme un porte-monnaie, sitôt leur salaire versé ou leurs prestations sociales perçues.
UN OUTIL D’INSERTION SOCIALE
Les conséquences de la réforme seraient, pour elles, désastreuses, souligne La Banque postale. Selon ses calculs, si le seuil d’utilisation du Livret A était relevé à 10 euros (un seuil qui peut pourtant sembler bas), ce sont d’emblée 370 000 personnes qui se trouveraient exclues du système bancaire !
« Le gouvernement doit prendre conscience que notre Livret A n’a rien d’un produit d’épargne classique. C’est un outil efficace et, quoiqu’on entende, terriblement moderne d’intégration sociale, confie un proche de M. Bailly ; c’est incroyable que ce sujet soit bien compris à Bruxelles et si peu reconnu en France, à un moment où l’on ne doit négliger aucun moyen de faire reculer l’exclusion dans les quartiers difficiles ! »
Pour La Banque postale, faire participer les banques commerciales à l’accessibilité bancaire, tel que le souhaite M. Camdessus, relève du voeu pieux, au vu des normes de rentabilité que leur imposent leurs actionnaires. A fortiori en pleine crise financière.
La loi fait obligation à La Banque postale d’ouvrir un Livret A à toute personne qui en fait la demande, sans condition de ressource ni de nationalité. C’est ainsi qu’elle accueille aujourd’hui, parmi ses clients, des sans-domicile-fixe (SDF) et des personnes en instance de régularisation, qui perçoivent, sur ces livrets, les aides auxquels sont éligibles les demandeurs d’asile. Ils seraient environ 250 000. « Par tolérance et en dérogation à la loi bancaire, nous ouvrons un livret sur simple présentation d’un récépissé de carte de séjour », explique un directeur. Il fait observer que « toutes les associations conseillent aux personnes les plus fragiles de prendre un Livret A à La Poste ».
Des propositions « scandaleuses »
Après la publication jeudi 20 décembre du rapport Camdessus, plusieurs syndicats ont estimé que ce rapport constituait une menace pour « les plus modestes ». « En remettant en cause un système de financement social vertueux, fondé sur la solidarité et l’épargne garantie par l’Etat, ce rapport est porteur de ferments d’inégalités et d’injustice », a ainsi déclaré l’union Solidaires, regrettant que le Livret A soit traité « comme n’importe quel produit bancaire ou commercial ». « Au prétexte de répondre à un vrai problème (...) M. Camdessus propose purement et simplement de casser le système public de sécurisation et de centralisation de l’épargne populaire », explique de son côté la CGT, qualifiant les proposition énumérées dans le rapport de « scandaleuses ».
L’opposition a également réagit, appelant, à l’instar du groupe communiste au Sénat, « les acteurs du droit au logement, les élus locaux, les populations, à se mobiliser largement » contre la banalisation du Livret A. Selon les sénateurs communistes, la principale conséquence de ces mesures sera « une partie croissante des 116 milliards d’euros d’encours de cette épargne populaire serait confisquée par les banquiers, inquiets pour leur rentabilité ».
Le député socialiste Jean-Pierre Balligand, ancien président de la commission de surveillance de la Caisse des Dépôts (CDC), a affirmé pour sa part que le projet ne pouvait pas passer « en l’état ». « La Caisse est sous la protection du Parlement, ce n’est pas au gouvernement de décider de son avenir (...) Il est temps d’élargir le débat pour mettre au clair les raisons des attaques qui pleuvent contre la Caisse », poursuit-il, promettant « des actions fortes en ce sens ». – (Avec AFP.)