WASHINGTON CORRESPONDANTE
Avec l’assassinat de Benazir Bhutto, la stratégie des Etats-Unis au Pakistan est une fois de plus mise en échec. Après avoir sous-estimé pendant des années les forces démocratiques, pour s’appuyer exclusivement sur le président Pervez Musharraf, son allié privilégié depuis le 11-Septembre, l’administration Bush venait de commencer à s’investir dans la recherche d’un partage du pouvoir entre le président et l’opposition.
L’attaque contre Mme Bhutto, à près de dix jours des élections législatives, a ruiné ses espoirs de stabilisation. « Miser la sécurité de l’Amérique [et de l’arsenal nucléaire pakistanais] sur un dictateur militaire n’a pas marché. Miser sur une alliance d’arrière-salle entre ce dictateur et Mme Bhutto n’est plus possible », résume le New York Times.
Les Etats-Unis se retrouvent au point de départ, forcés de se reposer principalement sur Pervez Musharraf, alors que le pays est secoué par les violences et que le président s’est défait de son uniforme de chef d’état-major de l’armée. Selon les experts, la Maison Blanche souhaite que les élections législatives se tiennent, comme prévu, le 8 janvier, mais elle pourrait s’accommoder d’un report. « La tragédie renforce le sentiment dans l’administration Bush qu’il est plus que jamais nécessaire de s’accrocher à Musharraf », estime Daniel Markey, qui vient de quitter le département d’Etat où il était l’un des chargés de la politique pakistanaise.
Dans une brève apparition télévisée à Crawford, au Texas, où il passe les fêtes de fin d’année, le président George Bush a appelé les Pakistanais à « honorer la mémoire de Mme Bhutto en poursuivant le processus démocratique pour lequel elle a si courageusement donné sa vie ». Il n’a pas employé le terme de « terroristes » pour qualifier les assassins mais « d’extrémistes » tentant de « saboter la démocratie au Pakistan ». Parmi les responsables américains, seul Joseph Biden, président de la commission des affaires étrangères du Sénat et prétendant à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle, a ouvertement critiqué « la défaillance du gouvernement et des services de sécurité » pakistanais.
L’assassinat a suscité une grande émotion. Mme Bhutto était très connue des milieux politico-diplomatiques américains – le chroniqueur du Washington Post, David Ignatius, était étudiant en même temps qu’elle à Harvard. L’attentat a aussi ravivé les critiques de ceux qui pensent que l’administration a eu tort de soutenir aveuglément M. Musharraf. Lundi, le New York Times a montré que l’aide militaire au Pakistan alimentait surtout les projets de l’armée et de M. Musharraf lui-même, comme la fabrication d’armes dirigées non pas contre Al-Qaida mais contre l’Inde.
« ABSENCE DE DÉMOCRATIE »
Ces révélations ont coïncidé avec le vote des crédits pour le Pakistan au Congrès. Les parlementaires n’ont voté l’enveloppe de 300 millions de dollars qu’en ajoutant des conditions. Le département d’Etat devra certifier que le gouvernement pakistanais s’efforce de libérer les prisonniers politiques et de restaurer l’indépendance de la justice, et aussi que les 50 millions d’aide militaire servent effectivement à contrôler les zones tribales.
Des analystes critiquent le principe de l’intervention américaine. « Nous avons aidé au retour de Benazir Bhutto. L’Arabie saoudite a aidé Nawaz Sharif [opposant et ex-premier ministre] à se réimplanter. De nombreux acteurs extérieurs ont essayé de manipuler l’échiquier politique pakistanais », déplore Steven Clemons, de la New America Foundation. Avant l’attentat, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller diplomatique de Jimmy Carter, avait fait une remarque similaire. « Je déplore l’absence de démocratie au Pakistan, mais je ne pense pas que lancer des admonestations de l’extérieur, envoyer des politiciens en exil, dire au président pakistanais ce qu’il doit ou ne doit pas porter soit du ressort des Etats-Unis ou contribue à la stabilité. »