Premier ministre intérimaire chargé de superviser les élections législatives et provinciales prévues le 8 janvier au Pakistan, Mohammedmian Soomro a affirmé, vendredi 28 décembre, que « pour l’heure, la date des élections reste celle qui a été annoncée », tout en précisant : « Nous allons consulter tous les partis politiques avant de prendre une décision. Je suis prêt à les rencontrer dès maintenant. »
Plusieurs dirigeants de l’opposition, parmi lesquels l’ex-premier ministre et principal opposant, Nawaz Sharif, ont estimé non seulement qu’un report était indispensable mais que le président Pervez Musharraf devait démissionner. « Si le gouvernement reste buté sur le maintien de la date des élections au 8 janvier, cela nous mènera sur le chemin de l’autodestruction, qui n’aboutira pas seulement à la destruction du gouvernement mais aussi à celle du pays », a ainsi affirmé M. Sharif.
L’opposant a aussi répété : « M. Musharraf doit quitter le pouvoir. C’est la principale exigence de la nation aujourd’hui et je me rends compte que les gens veulent qu’il le fasse le plus rapidement possible, sans délai. » « Nous pensons que Musharraf n’a aucune intention de tenir des élections libres et équitables, et ce qui est arrivé hier en est la preuve », a-t-il encore souligné. Mme Bhutto et M. Sharif ont dénoncé par avance, depuis des semaines, le « truquage » du scrutin par le camp de M. Musharraf pour permettre à ce dernier de se maintenir au pouvoir.
Quelques heures après l’attentat contre Mme Bhutto, M. Sharif, qui dirige le deuxième parti de l’opposition en importance derrière celui de Mme Bhutto, avait annoncé que son parti boycotterait les élections législatives et provinciales du 8 janvier.
L’ancienne star du cricket et président du petit parti Tehreek-i-Insaf (Mouvement pour la justice), Imran Khan, qui avait déjà pris la décision de boycotter les élections en raison de la mise au pas par le président Musharraf de l’institution judiciaire, a lui aussi, vendredi, appelé le chef de l’Etat à démissionner. « Le temps du général Musharraf est révolu. Il doit quitter le pouvoir car il n’y a pas de fin au terrorisme au Pakistan », a affirmé Imran Khan à Bombay, où il se trouve en voyage privé. « Le Pakistan va vers le chaos. Musharraf ne cesse de dire qu’il va anéantir le terrorisme... Aujourd’hui, c’est le terrorisme qui nous anéantit », a-t-il encore dit.
Les accusations du gouvernement contre Al-Qaida ne risquent pas de diminuer les critiques de l’opposition, celle-ci ayant beau jeu de souligner les complicités trop longtemps entretenues entre le pouvoir et les extrémistes islamistes.
Pris entre Washington qui lui demande de maintenir les élections à la date prévue, une opposition qui veut un report et une très grave situation sécuritaire, le président Musharraf a d’autant moins de marge de manœuvre que sa capacité à maintenir le cap a été gravement compromise. Sa crédibilité, comme sa popularité, sont au plus bas, et il aura du mal à faire accepter le résultat d’élections tenues dans ces circonstances.
Islamabad accuse Al-Qaida et les talibans pakistanais
Le gouvernement d’Islamabad a officiellement accusé, vendredi 28 décembre, Al-Qaida d’être responsable de l’assassinat de l’ex-premier ministre et chef de l’opposition pakistanaise, Benazir Bhutto.
Le porte-parole du ministère de l’intérieur, le général Javed Cheema, a, au cours d’une conférence de presse, déclaré que des services de renseignement avaient intercepté un appel téléphonique dans lequel le chef des talibans pakistanais de la zone tribale du Sud-Waziristan, Baitullah Mehsud, qui entretient des liens avec Al-Qaida, félicitait un militant islamiste après la mort de Benazir Bhutto. Il y a « une preuve irréfutable qu’Al-Qaida, ses réseaux et ses troupes tentent de déstabiliser le Pakistan », a indiqué le général Cheema, précisant : « Nous avons enregistré la conversation, au cours de laquelle il congratule un activiste pour l’attentat. »
Baitullah Mehsud aurait démenti cette accusation, samedi matin, selon l’Agence France-Presse, qui a contacté l’un de ses porte-parole par téléphone satellitaire. « Il n’est pas impliqué dans cet attentat, a indiqué le porte-parole islamiste : c’est un complot du gouvernement, de l’armée et des services de renseignement. » Le général Javed Cheema a d’autre part donné une étrange version des causes de la mort de Benazir Bhutto, affirmant qu’elle était décédée des suites d’une blessure à la tête subie lorsqu’elle s’est cognée contre le levier du toit de sa voiture, en tentant de se protéger à l’intérieur du véhicule au moment de l’attentat. « Le levier l’a heurtée près de l’oreille droite et a fracturé son crâne », a-t-il dit, ajoutant : « On n’a pas trouvé de balle ni d’éclat de métal dans la blessure. » L’auteur de l’attentat a apparemment tiré trois coups de feu vers Benazir Bhutto avant de faire exploser la bombe qu’il portait sur lui, mais l’a manquée, a déclaré le général Cheema.
Cette version a été qualifiée de « tas de mensonges » par l’avocat de Mme Bhutto et haut responsable de son Parti du peuple pakistanais (PPP), Farooq Naik. « Deux balles l’ont touchée, une dans l’abdomen et une dans la tête », a-t-il affirmé, précisant : « Le secrétaire personnel de Bhutto, Naheed Khan, et le numéro deux du parti, Makhdoom Amin Fahim, se trouvaient dans la voiture et ont vu ce qui s’est passé. » L’un des chirurgiens qui ont examiné Mme Bhutto a affirmé que celle-ci était morte d’une balle reçue à la base du cou.
Loin d’Islamabad, dans le Sind profond, des centaines de milliers de fidèles ont accompagné, vendredi après-midi, le cercueil de Benazir Bhutto, drapé des couleurs rouge, vert et noir du PPP, au mausolée familial de Garhi Khuda Bakhsh, où elle repose désormais aux côtés de son père, Zulfikar Ali Bhutto. Son fils, Bilawal, et son mari, Asif Ali Zardari, ont aidé à porter le cercueil dans la tombe tandis que des centaines de ses fidèles, dont beaucoup en pleurs, se bousculaient pour jeter dessus des pétales de rose.
Devant le mausolée, si des partisans désemparés pleuraient, quelques-uns scandaient des slogans contre le gouvernement et le président Pervez Musharraf, d’autres encore criaient : « Le nom de Bhutto vivra aussi longtemps que la lune et le soleil se lèvent ! »
Les violences qui avaient éclaté, jeudi, dès l’annonce de la mort de Benazir Bhutto, ont continué à travers le pays, faisant 33 morts dont 24 dans la seule province du Sind, fief de la famille Bhutto. Dans une tentative désespérée de contenir les émeutes, le gouvernement a déployé l’armée dans les rues de Karachi, capitale du Sind et capitale économique du Pakistan, et de Hyderabad, la deuxième ville du Sind.
Selon un communiqué militaire, vingt bataillons sont prêts à intervenir dans la province si les violences durent. Beaucoup de villes pakistanaises sont restées quasi désertes vendredi. Banques, administrations et transports publics ne fonctionnent pas en raison du deuil de trois jours annoncé par le président Musharraf.
Dans la Province frontalière du Nord-Ouest, un candidat du parti gouvernemental et sept autres personnes ont été tuées dans l’explosion d’une bombe télécommandée à la fin d’un meeting électoral dans la banlieue de Mingora, principale ville de cette région troublée, théâtre de violences depuis plusieurs mois.
Tensions sur les marchés financiers internationaux
L’assassinat de Benazir Bhutto a accru la nervosité des marchés financiers mondiaux. Si Wall Street a terminé à l’équilibre, vendredi 28 décembre, après sa chute de la veille, les Bourses asiatiques ont terminé en nette baisse (- 1,7 % à Hongkong et - 1,65 % à Tokyo).
« La mort de Bhutto pourrait aggraver les tensions géopolitiques et faire ainsi monter les prix du brut », estime Prayoga Triyono, gérant chez Henan Putirai Asset Management à Djakarta.
Les prix du pétrole sont montés, vendredi, à leur plus haut niveau depuis un mois, gagnant plus de 5 dollars en une semaine. « Le Pakistan n’est pas un pays producteur, mais il se trouve dans une zone extrêmement importante en termes stratégiques », remarque Francis Perrin, directeur de la rédaction de la revue spécialisée Pétrole et gaz arabes.
Le cours de l’or, traditionnelle valeur refuge en période d’incertitudes, a également bondi, jeudi et vendredi. L’once de métal précieux a atteint 833 dollars, son cours le plus élevé depuis un mois et non loin du record historique de 850 dollars l’once, atteint en janvier 1980. - (AFP.)