« Un homme qui croit, c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes à espérer. » Dialectique typiquement sarkozienne qui peut être facilement renversée : un homme qui n’a pas la foi n’est pas forcément un désespéré, et la République n’a pas nécessairement besoin d’hommes de foi pour exister. Mais on peut se demander si cette controverse, finalement assez vaine, ne vient pas à point nommé pour dissimuler ce qui ressemble avant tout à un nouvel essai d’interprétation de l’histoire, de déformation du passé, de la part d’un président qui, notamment avec l’inénarrable discours de Dakar ou l’épisode Guy Môquet au lycée, semble s’en faire une spécialité.
« Les faits sont là », affirme-t-il sans hésitation après avoir évoqué le baptême de Clovis grâce auquel la France serait devenue « la fille aînée de l’Eglise ». On n’aura pas la prétention de lui faire la leçon en précisant que la France n’existait pas au Ve siècle, Clovis se contentant modestement du titre de « roi des Francs », mais il est quand même permis de s’interroger sur ces fameuses « racines chrétiennes » de la France dans le discours de Latran, dont la proclamation sans nuances est incompatible avec la réalité historique. L’Eglise, à travers ses deux millénaires, n’a jamais été un bloc monolithique avec des croyances immuables et incontestées : l’Eglise de Vatican II n’est pas celle du Syllabus (1864), dressée contre le monde moderne, ou celle de la Contre-Réforme, arme de guerre contre le protestantisme. Et puisque Sarkozy se plaît tant à évoquer Bernard de Clairvaux, pourquoi ignore-t-il Abélard, pas moins croyant que le premier ?
Il y a quelque chose de scabreux dans l’exaltation par un chef d’Etat du passé religieux d’un pays, alors que les plus hautes autorités religieuses ont elles-mêmes reconnu les fautes passées de l’Eglise. L’Eglise s’est certes édifiée sur un certain nombre de valeurs, mais aussi contre les autres et avec la plus grande violence. Lorsque Sarkozy prétend que « la foi chrétienne a pénétré en profondeur la société française, sa culture, ses paysages, sa façon de vivre, son architecture, sa littérature », il omet de signaler que les plus belles œuvres de l’Eglise sont contemporaines de ses pires turpitudes. Le siècle de Vézelay est aussi celui des croisades, on brûlait les hérétiques alors que se construisaient les cathédrales gothiques, et les superbes motets et les Te Deum chantés à la chapelle royale ne font pas oublier les galères et les dragonnades de Louis XIV. Ce que l’historien Jacques Le Goff, qu’on aurait du mal à suspecter d’anticléricalisme, définit comme un « véritable racisme religieux ».
Finalement, on retrouve dans les silences et les oublis du discours présidentiel quelque chose qui ressemble au refus de « repentance », c’est-à-dire tout simplement de voir le passé pour ce qu’il est.
Les « racines chrétiennes » de la France ne sont finalement qu’un nouvel avatar de la réécriture de l’histoire à laquelle Sarkozy s’est attelé. « Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale », dit-il encore dans son discours de Latran. Afin de ne pas déstabiliser une identité nationale elle-même bien hypothétique, on travestit alors l’histoire de la chrétienté, qui ne fut jamais un long fleuve tranquille, en un récit édifiant mais fictif, imaginaire.
En 967, le tout jeune Gerbert d’Aurillac franchissait les Pyrénées pour se rendre en Catalogne ; là, pendant trois ans, il se familiarisait avec la science et la culture arabes pour les intégrer à sa propre culture. Quelques années plus tard, Gerbert devient pape sous le nom de Sylvestre II, le pape de l’an mille. Cet épisode historique aura sans doute échappé à Sarkozy.