Après les attentats du 11 septembre 2001, la discussion avait été vive entre les conseillers du président George W. Bush. Deux groupes s’opposaient : les tenants de la thèse « Iraq first » et ceux de la thèse « Afghanistan first ». Autrement dit ceux qui, depuis longtemps, voyaient en Saddam Hussein le plus grand danger pour la sécurité des Etats-Unis et ceux qui voulaient frapper Oussama Ben Laden et ses alliés talibans.
Les seconds l’ont emporté. A l’automne 2001, de nombreux arguments plaidaient en leur faveur. Le responsable des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone paraissait bien se trouver en Afghanistan ; le régime des talibans était dénoncé par l’ensemble de la communauté internationale, en tout cas par les pays qui la représentent au Conseil de sécurité des Nations unies ; tout le monde, ou presque, était d’accord pour frapper un grand coup, tout de suite, en réponse à la tragédie américaine. Autant cette communauté internationale était enlisée depuis la première guerre du Golfe en 1990-1991 dans l’affaire irakienne, autant il lui était facile de réaliser son unité pour « libérer » l’Afghanistan. Non seulement les Russes approuvaient l’opération « Liberté pérenne », mais ils avaient le sentiment que les Américains agissaient dans leur propre intérêt, car eux-mêmes craignaient la contagion islamiste sur leurs frontières méridionales. Parce qu’elle était présentée comme une « guerre de nécessité », l’intervention en Afghanistan suscitait une large approbation, bénéficiant de la légitimité internationale conférée par l’ONU.
Tout le contraire de la guerre en Irak. En 2003, l’intervention américaine contre Saddam Hussein est apparue comme une « guerre de choix », dictée non par des impératifs de sécurité internationale partagés par l’ensemble des puissances, mais par la seule volonté du président américain et de son entourage. Elle a suscité l’opposition de trois membres permanents du Conseil de sécurité, dont deux - la France et la Russie - ont formé avec l’Allemagne un front du refus, désastreux pour Washington. Les Etats-Unis ont court-circuité l’ONU, privant leur action de légalité, sinon de légitimité, internationale. L’enlisement dont ils peinent à sortir en Irak paraissait inscrit dans cette conjonction de facteurs négatifs.
Est-ce à dire que la guerre en Afghanistan, commencée sous de meilleurs auspices, a plus de chances de se terminer par un succès ? L’incapacité des Américains à mettre Oussama Ben Laden hors d’état de nuire et de la coalition menée par l’OTAN à venir à bout des talibans, qui se sont réinstallés dans leurs bastions, laisse penser qu’il n’en est rien. L’assassinat de Benazir Bhutto souligne un triple échec de la politique américaine : l’éradication manquée d’Al-Qaida, le vain soutien au régime autoritaire de Pervez Musharraf et l’effondrement de la stratégie concoctée autour d’un partage du pouvoir entre le général-président et la représentante de l’opposition démocratique au Pakistan.
Pour autant, il est difficile d’imaginer un désengagement des Occidentaux d’Afghanistan. Pour des raisons qui tiennent aux conditions dans lesquelles l’intervention a été engagée, au constat qu’aucun de ses objectifs n’a été encore atteint et au rôle essentiel attribué à l’OTAN qui joue sa crédibilité dans sa première opération hors d’Europe. Avant son élection, Nicolas Sarkozy avait envisagé une réduction de la présence française, voire un retrait complet. Il est revenu sur cette idée qui aurait été dans ses relations avec les Etats-Unis ce que le non à la guerre en Irak avait été pour Jacques Chirac.
Le problème reste entier. Il ne suffit pas d’invoquer, comme en Irak, une « solution politique » à la place d’une « solution militaire » pour le résoudre. Soutenir que cette solution politique pourrait se révéler plus facile à Bagdad qu’à Kaboul n’est pas pousser trop loin le paradoxe.