Bizarre, non ? Il faut voir comment le récit nous a été rapidement établi. Benazir Bhutto, la courageuse dirigeante du Parti du Peuple Pakistanais (PPP) a été assassinée à Rawalpindi - dans la banlieue de la capitale-même Islamabad où vit l’ex-Général Musharraf - et George Bush nous raconte que ses meurtriers sont des « extrémistes » et des « terroristes ». Eh bien, on ne peut pas dire le contraire !
Mais l’implication du commentaire de Bush était que les Islamistes se trouvaient derrière cet assassinat. C’était une fois encore l’œuvre de ces fous de Taliban, l’araignée d’al-Qaïda qui a frappé cette brave femme solitaire qui avait osé appeler à la démocratie dans son propre pays.
Bien sûr, étant donné la couverture puérile de cette tragédie épouvantable - et aussi corrompue qu’avait pu être Mme Bhutto, ne nous faisons aucune illusion sur le fait que cette femme courageuse est absolument une véritable martyre - il n’est pas surprenant que le moulin à paroles du « bien contre le mal » peut débiter ses explications du carnage de Rawalpindi.
Qui aurait imaginé, en regardant la BBC ou CNN jeudi dernier, que ses deux frères, Murtaza et Shahnawaz, avaient détourné un avion pakistanais en 1981 vers Kaboul, où Murtaza exigea la libération de prisonniers politiques au Pakistan. Dans cette affaire, un officier militaire qui se trouvait à bord de l’avion fut assassiné. Il y avait aussi des Américains à bord - ce qui explique probablement pourquoi les prisonniers ont bien été libérés.
Il y a seulement quelques jours - dans l’un des scoops les plus remarquables de l’année (mais pratiquement passé inaperçu) - Tariq Ali a publié une dissection brillante de la corruption du Pakistan (et de Bhutto) dans la London Review of Books, se fixant sur Benazir et intitulée : « La Fille de l’Ouest » [1]. En fait, cet article était sur mon bureau pour être photocopié, vu que son sujet venait d’être assassiné à Rawalpindi.
Vers la fin de ce reportage, Tariq Ali s’est attardé longuement sur le meurtre ultérieur de Murtaza Bhutto par la police, près de chez lui, à un moment où Benazir était Premier ministre - et à un moment où Benazir était furieuse après Murtaza pour avoir exigé le retour aux valeurs du PPP et pour avoir condamné la nomination du propre mari de Benazir au poste de Ministre de l’Industrie, un poste hautement lucratif.
Dans un passage qui pourrait déjà s’appliquer aux conséquences du meurtre de Benazir, le reportage continue ainsi : « La balle fatale a été tirée à bout portant. Le piège avait été soigneusement tendu, mais, comme à l’habitude au Pakistan, le caractère rudimentaire de l’opération - fausses inscriptions dans les registres de la police, preuves égarées, témoins arrêtés et intimidés - un policier tué parce qu’ils avaient peur qu’il parle - a montré avec évidence que la décision d’exécuter le frère du Premier ministre avait été prise à un très haut niveau ».
Lorsque la fille de Murtaza, Fatima, alors âgée de 14 ans, appela sa tante Benazir au téléphone pour demander pourquoi les témoins avaient été
arrêtés - plutôt que les assassins de son père - elle dit que Benazir lui a répondu : « Ecoute ! Tu es très jeune. Tu ne comprends pas les choses » [2]. Ou c’est du moins ce que l’exposé de Tariq Ali a voulu nous faire croire. Cependant, au-dessus de tout cela plane la puissance choquante de l’ISI, les services secrets pakistanais, les Inter Services Intelligence.
Cette vaste institution - corrompue, vénale et brutale - travaille pour Musharraf.
Mais elle travaillait aussi - et travaille toujours - pour les Taliban. Elle travaille aussi pour les Américains. En fait, elle travaille pour tout le monde. Mais elle est la clé que Musharraf peut utiliser pour ouvrir des pourparlers avec les ennemis de l’Amérique lorsqu’il se sent menacé ou qu’il veut faire pression sur l’Afghanistan ou qu’il veut apaiser les « extrémistes » et les « terroristes » qui oppressent tant George Bush. Et souvenons-nous, soit dit en passant, que Daniel Pearl, le reporter du Wall Street Journal décapité par ses ravisseurs islamistes à Karachi, avait carrément fait sa rencontre fatale avec ses futurs assassins par l’intermédiaire du bureau d’un commandant de l’ISI. Le livre d’Ahmed Rachid sur les Taliban apporte une preuve accablante du réseau de corruption et de la violence de l’ISI. Lisez-le et tout ce qui écrit ci-dessus trouve tout son sens !
Mais retournons au récit officiel ! George Bush a annoncé jeudi qu’il « était impatient » de parler à son vieil ami Musharraf. Bien sûr, ils parleraient de Benazir. Ils ne parleraient sûrement pas du fait que Musharraf continue de protéger sa vieille connaissance - un certain M. Khan - qui a fourni les secrets nucléaires pakistanais à la Libye et à l’Iran. Non, ne laissons pas ce petit bout de « l’axe du mal » s’immiscer là-dedans !
Alors, bien sûr, on nous a demandés de nous concentrer une fois de plus sur tous ces « extrémistes » et tous ces « terroristes », pas sur la logique de douter, comme de nombreux Pakistanais l’ont ressenti après l’assassinat de Benazir.
Après tout, il ne faut pas grand chose pour comprendre que les élections détestées qui menacent Musharraf seraient probablement reportées indéfiniment s’il se trouvait que son opposant principal était liquidé avant le jour des élections.
Donc, passons en revue cette logique, à la façon dont l’Inspecteur Ian Blair aurait pu le faire et l’écrire dans son carnet de notes de policier avant qu’il ne devienne le premier flic de Londres.
Question : Qui a forcé Benazir Bhutto à rester à Londres et a essayé de l’empêcher de retourner au Pakistan ?
Réponse : Le Général Musharraf.
Question : Qui a ordonné l’arrestation de milliers de supporters de Benazir ce mois-ci ?
Réponse : Le Général Musharraf.
Question : Qui a placé Benazir en détention temporaire ce mois-ci ?
Réponse : Le Général Musharraf.
Question : Qui a déclaré la loi martiale ce mois-ci ?
Réponse : Le Général Musharraf.
Question : Qui a tué Benazir Bhutto ?
Réponse : Euh ! Oui ! Eh bien, tout à fait !
Vous voyez où est le problème ? Hier, nos guerriers télévisuels nous informaient que les membres du PPP qui criaient que Musharraf était le « meurtrier » se plaignaient [en fait] que celui-ci n’avait pas fourni une sécurité suffisante à Benazir. Faux. Ils criaient cela parce qu’ils pensent que c’est lui qui l’a tuée.