Pour José Bové, ce n’est pas juste une grève de la faim de lendemain de réveillon. Le leader paysan et ses compères faucheurs volontaires d’OGM s’y préparent depuis une dizaine de jours : « En commençant le 3 janvier, tu te niques les fêtes. La grève de la faim, c’est un truc avec lequel il ne faut pas jouer, racontait Bové hier au téléphone, en route vers Paris depuis son hameau de Montredon. Il faut que l’appareil digestif soit nettoyé, sinon tu peux être malade comme un chien. Au fur et à mesure, on a supprimé la viande, le fromage, les œufs et l’alcool pour arriver aux légumes et à la soupe. » Après avoir juste échappé à la prison - sa peine de quatre mois ferme pour arrachage de maïs transgénique a été commuée début décembre « en 120 jours-amendes à 40 euros » -, Bové rempile. Cette fois avec un mode d’action plus légal, qu’il a déjà pratiqué en 1973 pour soutenir les paysans du Larzac et en 1989 pour défendre les éleveurs d’ovins : « Mitterrand était venu saluer les grévistes à Poitiers après vingt-quatre jours. »
Sauvegarde. Ce matin, l’ex-candidat malheureux des antilibéraux à la présidentielle (1,32 %) démarre donc une grève « à l’eau, stricte »,avec une revendication « précise et atteignable » : l’activation par la France de la clause de sauvegarde européenne sur le maïs OGM Mon 810, le seul OGM cultivé et commercialisé en France. Rendez-vous est donné sous la tour Eiffel à une quinzaine de militants anti-OGM dont les historiques Jean-Baptiste Libouban, fondateur des Faucheurs volontaires, et Yves Manguy, premier porte-parole de la Confédération paysanne. Tous remontés contre « la parole publique bafouée » et déterminés à tenir jusqu’à un engagement écrit : « La copie du texte de la clause de sauvegarde, pas une nouvelle promesse verbale. »
Cette promesse leur a été faite par Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM), secrétaire d’Etat à l’Ecologie, lors d’une réunion le 9 novembre. Elle a surtout été prononcée devant les députés par Jean-Louis Borloo le 31 octobre à l’issue du Grenelle. Répondant à Noël Mamère, le ministre de l’Ecologie et du Développement durable a affirmé à l’Assemblée : « D’ici [la nouvelle loi sur les OGM], nous appliquons la clause de sauvegarde. » Courant novembre, souligne Bové, « toutes les associations ont envoyé des documents scientifiques aux membres du cabinet de NKM » pour étayer le dossier. Pour déclencher cette procédure qui permet à un Etat membre de l’Union d’interdire la culture d’un OGM autorisé au plan communautaire, il faut produire de nouvelles données scientifiques. L’Autriche a ainsi vu une demande similaire rejetée.
« Pataquès ». Or ce qui sort le 5 décembre des cartons du ministère de l’Agriculture, c’est un simple arrêté de suspension du Mon 810 valable jusqu’au 9 février, au grand dam des associations - de l’Alliance pour la planète (Greenpeace, WWF…) à la plus modérée, France Nature Environnement. Une interdiction qui ne coûte pas cher pendant la saison hivernale où personne ne sème. « La clause de sauvegarde a pourtant été rédigée, elle existe, assure Bové. J’ai même reçu un SMS de la ministre me disant que c’était à la signature. » Sauf que, lors d’une réunion interministérielle, le texte présenté par le ministère de l’Ecologie a été retoqué « sous la pression de Barnier [ministre de l’Agriculture, ndlr], des lobbies de la FNSEA et des semenciers. Un deal arbitré par François Fillon, selon Bové.Depuis, le gouvernement est dans une sorte de pataquès bizarroïde. Ils essaient d’endormir les gens. » Fin décembre, sentant la fronde associative monter, NKM confirmait que le comité de préfiguration de la nouvelle haute autorité sur les OGM avait aussi pour mission d’évaluer les nouveaux éléments scientifiques. L’avis du comité, qui n’a plus que deux réunions pour conclure, est attendu pour le 11 janvier. Au ministère, on exclut toute décision avant cette date. La grève de la faim de José Bové est donc partie pour durer au moins huit jours. A moins que son impact médiatique ne change la donne.
Le gouvernement se retrouve face à un calendrier particulièrement serré. Le 15 janvier, le projet de loi sur les OGM sera présenté au Sénat, et ce texte, lui aussi très controversé, risque de faire rebondir la polémique. Borloo s’est en effet engagé à ce qu’il soit adopté avant l’interruption des travaux parlementaires pour cause d’élections municipales, le 9 février.
Bové préfère concentrer son combat sur la clause de sauvegarde, même s’il a des réserves sur le projet de loi : « On ne fait pas une grève de la faim pour faire pression sur le Parlement. Il faut respecter le débat démocratique. » Et ne veut pas apparaître comme un opposant systématique : « On est honnête jusqu’au bout. Après le discours de Sarkozy à la fin du Grenelle, j’ai salué les avancées sur France Inter. Mais il faut aussi dire quand ça va dans le mauvais sens. Et agir. »