Ah ! le Kenya : ses paysages de savanes exotiques, ponctués ici et là de majestueuses girafes ou de magnifiques guerriers massaïs aux bracelets multicolores… Depuis quelques semaines, ces images de carte postale ont fait place, dans les médias, à celles, tout aussi caricaturales, d’un énième conflit interethnique africain.
Les violences sont les effets, et non pas les causes, d’une profonde crise politique. À bien des égards, la situation ressemblerait plus à celle de l’Ukraine il y a quatre ans, quand la manipulation des élections fit descendre des milliers de personnes dans la rue, qui obtinrent la tenue d’un nouveau scrutin, qu’à celle du Rwanda par exemple. La principale différence est qu’au Kenya, comme dans nombre de pays africains, du fait de l’instrumentalisation de l’ethnicité pratiquée depuis la colonisation par les classes dirigeantes, ce genre de conflit prend souvent la forme d’affrontements entre personnes d’ethnies différentes. À cela, s’ajoute bien sûr le filtre biaisé des medias dominants, pour qui « conflit en Afrique » rime immanquablement avec « guerre tribale ».
S’il est aujourd’hui impossible de savoir qui a réellement gagné les élections, il ne fait aucun doute qu’il y a eu des fraudes massives en faveur du candidat sortant. La population s’était fortement mobilisée pour faire entendre sa voix, notamment celle des quartiers les plus pauvres, acquis à l’opposition par rejet de la clique de néolibéraux au pouvoir. La colère des manifestants, dont de nombreux jeunes, qui sont descendus dans la rue dès les résultats connus, était plus que légitime. Elle est la saine expression d’une volonté démocratique honteusement bafouée. Ils ont été accueillis par les canons à eaux et les tirs de lacrymogènes de la police. Il est aussi question, selon de récents témoignages, de nombreuses exactions et exécutions extrajudiciaires commises par les forces de sécurité étatiques.
Du côté de la « communauté internationale », il y a d’abord eu les condamnations d’usage devant l’évidence des fraudes – les États-Unis sont tout de même allés jusqu’à reconnaître le nouveau président, avant de faire prudemment volte-face. Désormais, le temps est à la recherche du compromis le moins coûteux pour les intérêts des uns et des autres, quitte à jeter aux orties la souveraineté du peuple. Jusque-là, le Kenya était considéré comme un élève modèle de l’école néolibérale africaine, puissance régionale stable – et donc attractive pour les affaires – et pôle important pour les stratèges de la « guerre sans limites ».
Mais, du côté de l’opposition institutionnelle, il n’y a pas grand-chose à espérer. Raila Odinga, l’opposant à Kibaki, ne propose aucune direction claire aux mobilisations actuelles, tout comme il ne proposait aucun projet alternatif aux élections. Face au déni démocratique et à la répression policière, la population ne peut compter que sur ses propres forces. Mais, dans cette lutte, elle ne doit pas rester seule : nous devons lui apporter toute notre solidarité !