Bien sûr, l’initiative « contre le bruit des avions de combat à réaction dans les zones touristiques » (v. encart ci-dessous) ne s’attaque que de manière partielle à l’une des nombreuses nuisances occasionnées par l’armée suisse. Mais un succès de l’initiative pourrait cependant réduire de manière significative les nuisances liées à l’aviation militaire et constituerait surtout un désaveu pour la politique militaire et sécuritaire du Conseil fédéral et de la majorité bourgeoise du parlement.
« Bruit et pollution inacceptables (…) Intrusions sonores démentielles (…) bruit infernal (…) ». Ayant personnellement subi le bruit des F/A-18 à deux occasions en 2007, à Payerne lors d’un défilé pacifiste et à Lugano lors des « journées de l’armée », je ne peux que souscrire aux qualificatifs utilisés par le comité d’initiative dans la brochure de votation. Malheureusement, il faut supposer qu’une partie importante des électrices-eurs se prononceront sur l’initiative sans avoir fait l’expérience de ces nuisances.
Il est donc probable que la campagne se jouera surtout autour du consensus autour du l’argumentation du Conseil fédéral et de la majorité bourgeoise. Non seulement : « L’armée garantit la sécurité locale de l’espace aérien lors d’évènements particuliers tels le Forum économique mondial ou l’EURO 2008 », mais surtout : « La sauvegarde de la souveraineté aérienne implique la défense de notre espace aérien contre une attaque militaire ou terroriste. » Pour le Conseil fédéral, avec l’acceptation de l’initiative : « La disponibilité opérationnelle de l’armée s’en trouverait remise en question. En outre, les Forces aériennes ne pourraient plus assurer la sécurité du trafic aérien et sauvegarder la souveraineté aérienne de manière crédible. Accepter l’initiative pourrait donc en définitive compromettre la sauvegarde de la souveraineté de la Suisse. » (extraits des explications du CF dans la brochure de votation).
Cette argumentation contient une part de surenchère grossière, notamment en ce qui concerne la « sauvegarde de la souveraineté de la Suisse » ainsi que pour le rôle (tout à fait inédit pour les Forces aériennes) de garant de la sécurité du trafic aérien. Elle exprime toutefois aussi une préoccupation réelle pour la légitimation de la politique sécuritaire de l’après 11 septembre 2001. Avec les notions de « temps de paix » et d’« exercices militaires », le texte de l’initiative introduirait dans la Constitution des concepts qui sont en porte à faux total avec la nouvelle politique sécuritaire. D’après cette politique il ne peut plus y avoir de distinction entre temps de paix et temps de guerre, parce que le terrorisme constitue une menace permanente contre laquelle il faut « produire » de la sécurité en permanence. La mise en pratique de cette doctrine transforme l’institution militaire d’armée d’exercices en armée d’engagements : entre 2001 et 2006, les jours de service militaire consacrés aux « engagements » comme les gardes d’ambassades, les surveillances du WEF de Davos, du G8 d’Evian, etc. ont passé de 50 000 jours à 300 000 jours environ par an.
La votation sur cette initiative constitue donc un test important pour la suite des projets de l’aviation militaire suisse. Deux gros morceaux sont déjà annoncés : la modernisation des F/A-18 au prix de 400 millions de francs, qui pourrait être insérée dans le programme d’armement 2008, et un crédit d’étude de projets d’un montant de 8 millions de francs a été voté par le parlement en décembre déjà, pour préparer l’achat de nouveaux avions de combat dont la facture finale se chiffrerait en miliards.
Une acceptation de l’initiative en votation le 24 février mettrait donc un frein, non seulement à la pollution militaire de l’environnement, mais aussi à la spirale de réarmement militaire helvétique. On peut toujours rêver...
Tobia Schnebli
Teneur de l’initiative populaire
La Constitution est modifiée comme suit :
Art. 74a (nouveau) Protection contre le bruit
En temps de paix, les exercices militaires impliquant des avions de combat à réaction sont interdits dans les zones de détente touristiques.
Marketing de l’armée à Lugano
« Le peuple suisse veut une armée et il veut la voir ! C’est une revendication légitime et l‘armée y accède volontiers. Du 20 au 25 novembre 2007 à Lugano nous entendons démontrer comment et avec quels moyens nous remplissons les trois missions principales qui nous sont confiées par la Constitution, à savoir la sauvegarde des conditions d’existence, la sûreté sectorielle et la défense ainsi que la promotion de la paix. »
C’était la conclusion de l’avant propos de Samuel Schmid, dans l’édition spéciale du Soldat suisse avec programme détaillé des journées de l’armée. Publication, distribuée à 910 000 exemplaires, notamment en annexe à différents médias (Hebdo, Blick, Corriere del Ticino…) avec des pages entières de pub des sponsors de l’évènement.
Parmi les principaux : Dassault Aviation, EADS et SAAB ont dépensé 30 000 Fr. chacun, visiblement pour augmenter leurs chances de vendre leurs jets de combat à l’armée suisse. Les autres sponsors et partenaires (RUAG, Swisscom, Coop) ont probablement aussi de juteux marchés en vue. Quant à la Ville de Lugano, la troisième place financière suisse a dû penser qu’un F/A-18 sur un radeau devant le Casino devait faire bon effet à ses clients italiens. Un tiers du budget de 1,2 million de francs de dépenses extraordinaires pour l’organisation des journées de l’armée a été couverte par des sponsors privés. On ne connaîtra probablement jamais le coût global de l’opération, qui a mobilisé 2500 militaires sur des semaines, ainsi que toutes sortes d’engins belliqueux, deux « air shows » avec F/A-18 et patrouille suisse, le coût des pompiers qui ont dû nettoyer huile et kérosène écoulés du F/A-18 et polluant le lac...
Aide en cas de catastrophe, promotion de la paix à l’étranger et défense/sûreté sectorielle : voilà les « missions confiées par la Constitution à l’armée ». C’était le message central que l’armée a voulu délivrer, souligné du début à la fin de la manifestation.
Il faut remarquer que ni aide en cas de catastrophe, ni promotion de la paix à l’étranger ne figurent dans la Constitution (notamment à l’art. 58). L’armée s’est en outre bien gardée d’expliquer que ses engagements en cas de catastrophe comptent pour moins de 0,2% du total des jours de service effectués ces six dernières années, les engagements à l’étranger comptant pour 1,5% du total des jours de service prêtés.
Avec leurs modestes moyens, les activités des pacifistes et antimilitaristes tessinois ont néanmoins réussi à contester la déferlante militaire à Lugano. La police a d’ailleurs réagi de manière violente et injustifiée aux actions de la Clown Army, avec leurs imitations bouffonnes de l’autoritarisme et la dérision de la glorification de la violence militaire par des railleries pacifiques.
Pour les dizaines d’activistes présents, la semaine antimilitariste a été riche en moments de discussion : conférences sur le pacifism e en Suisse, rencontres avec les activistes italiens des mouvements contre les bases militaires U.S. de Vicenza et d’Aviano, ainsi qu’avec les opposant -e -s à l’achat par l’Italie des nouveaux avions de combat F-35. Le programme incluait aussi « Sir, No sir ! », film sur les réfractaires à la guerre du Vietnam...