Pour protester contre l’instauration de nouvelles franchises sur les soins, j’ai entamé il y a trois semaines une grève des soins. Pour faire entendre mon refus, partagé par des millions de malades et de bien portants, j’ai donc décidé de ne plus prendre mon traitement contre le Sida. On me dit que jamais personne n’avait décidé de mener une telle action. Je n’en tire pas de gloire. J’espère que personne n’aura à agir ainsi dans l’avenir. Ne plus se soigner pour protester contre les restrictions dans l’accès aux soins ! Faut avouer que c’est bizarre. J’ai décidé de ce mode d’action car les modes plus traditionnels ne semblaient pas pouvoir venir à bout de la volonté gouvernementale et sarkozyenne d’imposer ces mesures injustes, scandaleuses et dangereuses que sont les franchises. Des milliers de manifestants, des centaines de milliers de pétitions, la pression importante des associations de malades : tout cela n’a pas suffit. Il fallait que j’essaie autre chose.
Le 6 janvier, j’ai écrit à Nicolas Sarkozy pour l’informer de mon action. Il m’a répondu par une lettre où l’indécence se mêlait au mépris. Voici la réponse que je lui ai faite.
« Monsieur le Président,
« Le soir du 6 mai 2007, place de la concorde, vous avez solennellement déclaré : “ Je vous demande de tendre la main. Je vous demande de donner l’image d’une France réunie, d’une France rassemblée, d’une France qui ne laissera personne sur le bord du chemin.”
« Pensez-vous, monsieur le Président, qu’en parlant de “responsabilisation des malades”, vous encouragez à la solidarité ? Ne désignez-vous pas, par cette seule assertion, les malades comme coupables en laissant supposer qu’ils se comporteraient en consommateurs de soins irresponsables ?
« Estimez-vous, monsieur le Président, qu’une personne malade, atteinte de diabète, de sclérose en plaques, du Sida, d’un cancer, ou même d’une allergie, d’une grippe, d’une des nombreuses affections virales saisonnières, nécessite d’être “responsabilisée” ?
« Dans votre courrier en date du 14 janvier, vous me dites que “les franchises sont assurables par les organismes complémentaires dans le cadre des contrats responsables, qui offre un niveau de protection supplémentaire”. Or, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 prévoit très clairement que, dans le cadre des contrats responsables, les franchises médicales sont à la charge du patient, y compris de ceux qui souffrent d’une affection de longue durée. L’ignoriez-vous ? Vous aurait-on mal informé ?
« Par ailleurs, savez-vous, Monsieur le Président, combien de personnes, y compris salariées, sont aujourd’hui dans l’incapacité financière de payer une mutuelle, encore moins une assurance ou une complémentaire santé ?
« Est-ce innocent, Monsieur le Président, si une fois de plus vous utilisez le terme “responsable” ? Opposez-vous le citoyen “responsable” qui a les moyens de payer une assurance privée à celui qui n’en a pas la capacité… et serait de ce fait “irresponsable” ?
« Dans ce même courrier, vous affirmez, Monsieur le Président, que vous assumez votre “responsabilité, qui est de dire la vérité”. J’en prends acte.
« Doit-on donc en déduire, puisque vous expliquez, quelques lignes plus loin, que “le vieillissement de la population et l’apparition de nouvelles pathologies exigent des investissements importants. Ce serait une faute de renoncer à nous préparer collectivement à affronter l’avenir. Au fond, ces franchises sont l’expression à la fois de notre responsabilité et de notre solidarité.”… que pour vous, la solidarité se conçoit uniquement à l’intérieur des groupes de population concernée ? Que c’est aux malades de payer pour Alzheimer et pour les autres malades ?
« Comment devons-nous comprendre votre définition de la “solidarité”, Monsieur le Président, lorsque vous montrez une telle insistance à instaurer ces franchises, illogiques, impopulaires, inhumaines, impossibles à comprendre et à accepter par ces millions de malades qui la vivent comme une “double peine”, ces franchises qui devraient rapporter environ 850 millions d’euros par an… et que, dans le même temps, vous vous montrez si réticent à instaurer une taxe modique sur les stock-options, qui aurait rapporté 3 milliards d’euros par an de l’avis même de la Cour des comptes ?
« Parfois, Monsieur le Président, les simples citoyens que nous sommes avons du mal à comprendre, y compris votre logique financière…
« Que pensez-vous, Monsieur le Président, de l’analyse des médecins qui prédisent une augmentation des dépenses de santé, liée à une prise en charge plus tardive des maladies, à une aggravation de l’état des malades qui, pour des raisons financières, auront renoncé à certains soins ?
« Monsieur le Président, vous affirmiez il y a quelques mois : “A tous ceux qui souffrent d’injustice, à tous ceux qui ne se sentent pas respectés, à tous ceux qui ont cru dans d’autres discours que le mien, je veux dire que je serai le président qui combattra les injustices”…
« Monsieur le Président, devons-nous comprendre, à la lueur de vos déclarations, de vos actions, de vos décisions, que la santé n’est pas pour chacun un droit, mais une chance… “mais cette chance il faudra qu’il la mérite par son travail” ?
« Considérez-vous donc que la santé, on a la chance de l’avoir ou on doit payer pour la “mériter” ?
« Estimez vous que ceux qui payent une assurance complémentaire méritent d’être plus et mieux soignés que les autres ?
« Monsieur le Président, au nom de tous les malades, au nom de tous les citoyens en bonne santé qui sont des malades potentiels, au nom de tous ceux qui n’arrivent plus à vivre décemment, encore moins à avoir accès aux soins indispensables, de tous ceux qui ne sont pas, comme moi, en grève des soins, mais en “arrêt non désiré de soins” faute de moyens financiers, “ Je vous demande de tendre la main. Je vous demande de donner l’image d’une France réunie, d’une France rassemblée, d’une France qui ne laissera personne sur le bord du chemin”.
« Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations distinguées. »
Bruno-Pascal Chevalier
* Paru dans Rouge n° 2237, 31/01/2008.
FRANCHISES : Bruno Pascal, solidarité
La bataille contre les franchises, scandaleusement appelées « médicales », est relancée. Bruno Pascal Chevalier, travailleur social dans l’Essonne, malade du Sida, militant associatif, a annoncé, début janvier, qu’il entamait une « grève des soins ». Il semble ne pas être le seul : au moins quatre autres personnes ont commencé ce type d’actions, dont deux malades insuffisants rénaux dont la vie est réellement en danger, et un diabétique.
Bruno Pascal a assuré, lors d’une réunion du Collectif national antifranchises, qu’il maîtrisait son geste et voulait avant tout alerter l’opinion publique, au moment où les franchises s’appliquent. En fait, il s’agit pour lui de rendre totalement public ce que des malades vivent, ou risquent de vivre, dans le silence de la pauvreté : arrêter ou diminuer des soins faute d’argent. Dans une lettre ouverte à Sarkozy, il dit : « Après en avoir discuté professionnellement ou dans le cadre de discussions privées avec de nombreuses personnes âgées, invalides, atteintes d’affections de longue durée, j’ai fait le constat que l’ensemble de ces personnes ne peuvent déjà plus faire face à leurs dépenses de santé et sacrifient cette santé en ne se soignant plus… » Sarkozy, obligé de répondre, n’y est pas allé par quatre chemins : 4 euros de plus, c’est « modique ». De plus, montrant son ignorance du sujet, il affirme que les franchises sont remboursables par les mutuelles. Ce qui est exclu dans la loi de financement ! « Vous a-t-on mal informé ? », lui rétorque Bruno Pascal.
Un réseau de solidarité s’est construit autour de l’action de Bruno Pascal Chevalier, avec des amis, des associations (Act Up, Aides…), dont le Collectif national antifranchises – sa pétition a recueilli 20 000 signatures en quelques semaines. Le Collectif national antifranchises annonce aussi le dépôt d’un livre noir début février, lors des très officiels états généraux de l’organisation des soins. Sarkozy prépare aussi, pour le 8 février, une grande conférence avec les « partenaires » sociaux, pour réformer la santé et le financement de la protection sociale. Adressez vos messages de soutien sur le blog de Bruno Pascal : [ www.grevedesoins.fr ].
Dominique Mezzi
* Paru dans Rouge n° 2236, 24/01/2008.