Aux États-Unis, la crise de la « nouvelle économie » et la crise actuelle sont liées l’une à l’autre. On n’a pu éviter les effets désastreux de la première qu’en ouvrant à fond le robinet du crédit, ce qui a grandement facilité le crédit hypothécaire et lancé la bulle immobilière. Entre 2001 et 2006, le taux d’endettement des ménages américains a réalisé un bond sans précédent de 30 points, ouvrant la voie à la crise de surendettement que nous observons aujourd’hui. On n’a pu surmonter les effets de la première bulle, boursière, qu’en se lançant tête baissée dans une deuxième bulle, immobilière.
Cette deuxième bulle a éclaté à partir de 2006, entraînant une baisse des prix des logements, une accumulation d’invendus, une chute de la construction résidentielle et l’effondrement de très nombreuses sociétés de crédit hypothécaire. Innovation de la période, la titrisation des créances a dispersé le risque d’insolvabilité des emprunteurs dans tout le système financier. Des institutions aussi prestigieuses que Citigroup, Merrill Lynch ou JP. Morgan ont annoncé des sommes colossales de dépréciation d’actifs pour les troisième et quatrième trimestres 2007. Une nouvelle phase de la crise est franchie : l’appareil bancaire de la première puissance mondiale est durement atteint, certaines parmi les plus grandes banques sont menacées.
Les signes se multiplient quant à la restriction de crédits pratiquée par des banques tentant de se protéger. Là est le plus grand danger, car une telle politique peut paralyser l’économie américaine et la précipiter dans la récession. Elle pèse particulièrement lourd sur des ménages américains habitués à consommer à crédit. N’oublions pas l’effet richesse (qui postule un impact négatif sur la consommation de la baisse de la valeur du logement), surtout pour les nombreux ménages qui « adossent » leurs divers crédits sur la valeur de leur maison. Or, la consommation des ménages occupe une place exceptionnelle aux États-Unis (70 % du PIB) et, à partir du mois de décembre, le tassement de celle-ci et l’affaissement de l’activité ont été de plus en plus évidents.
Dilemme redoutable
Nombreux sont ceux qui pensent que la récession américaine s’est déjà installée ou est inévitable. Telle est l’origine de la panique qui a secoué les marchés boursiers de la planète, le lundi 21 janvier. Les opérateurs eux-mêmes ne font guère confiance aux remèdes proposés par leurs dirigeants, la chute des cours ayant eu lieu malgré l’annonce par Bush d’un plan de relance de 150 milliards de dollars. Les marges de manœuvre de la politique américaine sont, en réalité, fortement réduites. Le taux de la Fed a été ramené en catastrophe (le 22 janvier) à 3,50 %, mais il n’est pas sûr que cela incite les entreprises à investir et, en ce qui concerne les ménages, jusqu’à quel point cela peut-il les pousser à s’endetter, alors que nous sommes précisément face à une crise de surendettement ? De son côté, le taux d’épargne des ménages est nul et, pour financer le plan de relance de Bush, il n’y a plus d’excédent budgétaire (comme c’était le cas en 2000, à la veille de la crise de 2001), mais un déficit, qui s’élève déjà à 2,6 % du PIB en 2006. Enfin, nous avons toujours l’épée de Damoclès du déficit de la balance des transactions courantes, qui pousse à la chute du billet vert face à l’euro.
L’économie américaine est placée devant un dilemme redoutable : soit on réduit les déséquilibres, mais au risque de la dépression ; soit on relance l’activité, mais en aggravant les déséquilibres. Si le taux d’endettement des ménages baisse, le niveau d’activité est menacé ; s’il poursuit son ascension, il prépare la future crise. Si le taux d’épargne des ménages reste à son niveau d’insignifiance, il ne garantit pas le financement de l’économie américaine ; s’il se redresse, il porte atteinte à la consommation. Si la Fed continue à baisser ses taux, elle risque un krach du dollar ; si elle veut éviter ce risque, elle ne baisse pas ses taux, mais n’apporte pas d’aide à l’économie.
L’économie américaine joue le rôle de locomotive pour le monde entier, et il n’y en a pas d’autre. C’est dire ce que serait l’impact d’une récession américaine. La fabuleuse croissance chinoise n’est pas un recours : elle est en réalité largement dépendante du niveau d’activité américain, et ainsi en est-il pour nombre de pays émergents. La relation risque même de fonctionner en sens inverse, l’affaissement de l’activité américaine entraînant une chute de leur émergence, en révélant toutes les faiblesses cachées de pays qui pratiquent à outrance le modèle déséquilibré du « tiré par les exportations ».
Le passé a montré de quoi un capitalisme aux abois était capable. Préparer la mobilisation des travailleurs est donc une priorité de tout premier plan. Au-delà, c’est le moment ou jamais d’expliquer partout la nécessité absolue d’en finir avec ce système. En effet, la preuve est faite : quand il marche, c’est au profit d’une minorité, aux dépens de ceux qui produisent les richesses. Quand il ne marche pas, il entraîne toute la population dans sa chute.
Isaac Johsua
SOCIÉTÉ GÉNÉRALE : « Un trader d’exception »
« Un trader d’exception » : c’est ainsi que le procureur de la République chargé de l’affaire dite de la Société générale, décrit Jérôme Kerviel, l’employé, qui a perdu 4,9 milliards d’euros. Il prétend n’avoir fait que son « travail ». Étrange travail qui consiste, pour un salaire exorbitant dont l’essentiel dépend des résultats, à spéculer sur le cours des actions, des obligations, des monnaies pour faire de l’argent… Une escroquerie généralisée légale…
Zèle et escroquerie vont de pair dans ces spéculations financières. Ce zèle pourrait bien avoir été l’occasion, pour la direction de la banque, de dissimuler des pertes de plus de deux milliards d’euros dans l’affaire des subprimes. Avec, en prime, un délit d’initié portant sur quelques 90 millions d’euros.
La Société générale cherche à atténuer sa propre responsabilité. Mais, qu’il y ait escroquerie individuelle ou pas, c’est bien la folle logique du profit qui est en cause. Cette folie qui exige des traders qu’ils prennent des risques, engagent des milliards d’euros, engendrent des montages financiers qui propagent la crise, comme celle des subprimes, au monde entier, conduisant de la crise financière au krach, puis à la crise économique.
Ce sont les conséquences d’un système soumis à la recherche de la rentabilité financière maximum qui fonctionne hors de tout contrôle.
Les sept milliards perdus représenteraient une prime de 58 000 euros pour chaque salarié de la banque, alors qu’aujourd’hui ce sont des licenciements qui s’annoncent. Ou l’équivalent du RMI pour deux millions de personnes sur un an, ou encore la moitié du prétendu déficit de la Sécu.
Ces profits joués au casino boursier sont les fruits amers de l’exploitation accrue des salariés, de l’aggravation constante du chômage, de la précarité, du blocage des salaires.
Sarkozy dénonce « un système financier qui marche sur la tête », il parle de moraliser le capitalisme, demande plus de transparence. Écran de fumée pour tenter de masquer qu’il est l’homme des patrons et des banquiers.
La seule transparence, les seuls contrôles efficaces ne peuvent être faits que par les salariés eux-mêmes, en premier lieu ceux des banques, en relation avec l’ensemble de la population. Cela suppose d’en finir avec le secret bancaire, la domination sans frein des financiers et autres fonds d’investissement, la dictature du CAC 40, pour mettre en place une société démocratique fondée sur le contrôle des travailleurs et de la population.
Yvan Lemaitre