Encore un mot sur le contexte politique : on a beaucoup insisté, ces derniers mois, sur la
capacité de Sarkozy à intégrer ses adversaires dans son propre schéma, leur retirant jusqu’à la
légitimité à présenter une orientation alternative. Dans le domaine social, c’est le MEDEF qui
mène la danse. L’intégration des syndicats dans des schémas de transformation sociale est un
vieux projet de la droite comme le soutien syndical au plan Juppé de 1995 l’avait déjà
montré. Le décryptage des positions syndicales dans cette négociation doit prendre en compte
un contexte complexe, où se mêlent : la question de la représentativité (préservation d’un axe
CGT-CFDT autour de la déclaration de décembre 2006, existence de la CFTC ou de la CGC
voire de FO) ; la prise en compte d’un rapport de force défavorable ; la volonté politique de
ne pas mettre en porte-à-faux le gouvernement dans une confrontation centrale ; l’importance
d’avancer dans la « sécurité sociale professionnelle » comme axe idéologique structurant de la
CGT mais pour l’instant abstrait, etc. Ce n’est donc pas simplement une discussion autour de
la nouvelle période ouverte par Sarkozy, d’autant plus que les projets annoncés, tant par le
Président de la république que par le MEDEF, allaient bien au delà des mesures finalement
adoptées… Mais c’est à une mise en perspective de ces évolutions qu’il faut procéder, pour
comprendre le sens de cet accord.
Les évolutions du contrat de travail sont souvent envisagées par les économistes à travers
leurs effets sur la gestion de la main d’œuvre. Mais il faut aussi considérer l’évolution
qu’implique le nouvel accord dans le rapport au travail, en regardant notamment quelles
catégories sont concernées. Différentes mesures, même si elles ne se concrétisent pas
immédiatement, visent à déstabiliser le noyau dur des salariés, ces 18 millions de salariés
actuellement en CDI, et notamment les millions de salariés de plus de 15 ans d’ancienneté qu’il est si difficile de licencier [2]. C’est donc bien un accord de régression, qu’il faut dénoncer
comme tel.
Il nous semble que c’est principalement, du point de vue économique, la fluidification du
marché du travail qui apparaît déterminante [3], auquel répond, en matière de relation de travail,
la déresponsabilisation de l’employeur. L’hypothèse développée ici est que les deux processus
sont complémentaires.
I. Des négociations marquées par la déresponsabilisation patronale
Une certaine lecture du contrat de travail a pu l’envisager comme « un échange entre
subordination et prise de risque » [4]. Si nous ne partageons pas cette lecture individualiste, cette
lecture montre l’approche patronale de la question.
1. Report du risque du travail sur le salarié
L’analyse des éléments du nouvel accord montre une volonté pour les employeurs, de se
dégager d’un certain nombre de risques liés au contrat de travail, en reportant les effets sur le
salarié.
– Rallongement de la période d’essai
Article 4 : La période d’essai.
a / Afin de faciliter l’accès direct au CDI en permettant à l’employeur d’évaluer les
compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au
salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent, il est institué une période
d’essai interprofessionnelle dont la durée, sauf accord de branche conclu avant l’entrée en
application du présent accord et prévoyant des durées supérieures, est comprise pour : •
les ouvriers et les employés entre 1 et 2 mois maximum • les agents de maîtrise et les
techniciens entre 2 et 3 mois maximum, • les cadres entre 3 et 4 mois maximum.
Période d’essai est renouvelable une fois par un accord de branche étendu.
Tout contrat de travail comporte une part de risque : est-ce que le salarié répond à la nécessité
du travail ? Est-ce qu’il va s’impliquer ? (sans s’interroger plus pour savoir si la politique
d’implication est suffisante) Est-ce qu’il évolue en fonction ce qu’on lui demande ? [5] Le
rallongement de la période d’essai répond à la volonté de réduire ce risque pour l’employeur.
Petite réponse à la mobilisation des jeunes, notamment de collectifs qui se sont battus contre
les stages en entreprise [6] :
Art 3. a / • La durée du stage intégré à un cursus pédagogique réalisé lors de la dernière
année d’études est prise en compte dans la durée de la période d’essai.
Mais ce n’est pas encore l’assimilation complète de tout stage à une période de travail, prise
en compte dans l’ancienneté, telle que le demandent les jeunes.
– Contrat de projet :
Article 12
b / La rupture pour réalisation de l’objet défini au contrat
Afin de permettre la réalisation par des ingénieurs et cadres de certains projets dont la
durée est incertaine, il est institué, à titre expérimental, un contrat à durée déterminée à
terme incertain et d’une durée minimum de 18 mois et maximum de 36 mois, conclu pour
la réalisation d’un objet défini. Ce contrat ne peut pas être renouvelé. (…)
Le recours à ce contrat particulier est subordonné à la conclusion d’un accord de branche
étendu ou, à défaut, d’un accord d’entreprise, précisant les nécessités économiques
auxquelles il est susceptible d’apporter une réponse adaptée.
Le risque lié à une activité économique et industrielle est normalement pris par l’employeur,
qui s’engage, dans le cadre de ses obligations, à assurer du travail à ses salariés. Ici, c’est par
la création d’un « CDD à terme incertain », que se reporte sur le salarié le risque économique.
Ce contrat participe de l’éclatement des collectifs de travail. Il s’inscrit dans la conception
d’une entreprise en réseau, structurée autour de projets. Il est contradictoire avec la nécessité
d’apprentissages du travail de plus en plus longs et avec la stabilité nécessaire à la
construction de collectifs de travail.
Ce nouveau CDD est instauré, pour l’instant, seulement pour les cadres et ingénieurs. Cette
catégorie avait déjà payé au prix fort la RTT avec la mise en place du forfait. La relation avec
l’entreprise était basée autrefois sur a confiance. Il y a ici les prémisses d’un nouveau modèle
de relation managériale avec l’encadrement. Les SSII (entreprises d’ingénierie informatique)
vont s’implanter largement grâce à ce contrat, accélérant la sous-traitance d’ingénierie de
projet.
Notons encore le « défrichage » opéré par l’application de cette mesure, dans un premier
temps, aux seuls cadres : le forfait annuel a été étendu à tous les salariés autonomes, après une
expérimentation identique.
– Rupture « à l’amiable » :
Article 12 : Privilégier les solutions négociées à l’occasion des ruptures du contrat de
travail
La recherche de solutions négociées vise, pour les entreprises, à favoriser le recrutement et
développer l’emploi tout en améliorant et garantissant les droits des salariés. Elle ne doit
pas se traduire par une quelconque restriction de la capacité des salariés à faire valoir
leurs droits en justice mais au contraire se concrétiser dans des dispositifs conçus pour
minimiser les sources de contentieux.
a / La rupture conventionnelle
Sans remettre en cause les modalités de rupture existantes du CDI, ni porter atteinte aux
procédures de licenciements collectifs pour cause économique engagées par l’entreprise, il
convient, par la mise en place d’un cadre collectif, de sécuriser les conditions dans
lesquelles l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la
rupture du contrat de travail qui les lie.
Les deux grands modes de rupture du contrat de travail sont le licenciement (à l’initiative de
l’employeur) et la démission (à l’initiative du salarié). Le troisième mode de rupture que
représente la séparation conventionnelle vise à effacer la dimension inégalitaire du contrat de
travail, dimension pourtant reconnue depuis la fin du contrat de louage.
L’employeur se dégage des conditions collectives de rupture, et d’abord de l’obligation de
justifier la cause du licenciement (c’est justement ce qui a obligé le gouvernement à reculer
sur le CNE). Le montant minimum conventionnel (lié à l’ancienneté) reste dû dans ce schéma.
Le licenciement pour incompatibilité d’humeur, avait finalement été repoussé dans les années
1990 par de multiples jurisprudences.
Ce nouveau mode de rupture pourrait apparaître positif, pour des salariés qui cherchent à
quitter un poste. Mais rien n’oblige l’employeur à accepter ce mode de séparation, qui
l’oblige à payer les indemnités compensatrices. Il a donc surtout vocation à se substituer au
licenciement, qui sera plus facile… et notamment au licenciement économique, empêchant la
défense collective de l’emploi. Les procédures de licenciement économique collectif avaient
pour effet de ralentir considérablement les licenciements et de permettre d’organiser la
défense collective.
Il n’y a pas d’interdiction de réembauche d’autres salariés sur le même poste, contrairement
au licenciement économique. Rien n’oblige à regarder pourquoi le salarié demande son
départ, s’il subit par exemple un harcèlement ou une discrimination. L’ouverture des droits
aux ASSEDIC prouve, s’il en est besoin, que c’est bien un licenciement à l’initiative de
l’employeur.
Il s’agit certainement d’un des points de l’accord qui auront le plus de conséquences néfastes
à l’avenir.
Article 12, rupture conventionnelle :
La sécurité juridique du dispositif pour les deux parties résulte de leur accord écrit qui les
lie dès que la réunion de l’ensemble des conditions ci-dessus, garante de leur liberté de
consentement, a été constatée et homologuée par le directeur départemental du travail
précité au titre de ses attributions propres. Celui-ci dispose à cet effet d’un délai préfix de
15 jours calendaires à l’issue duquel son silence vaut homologation.
La contestation des termes de l’accord, par le salarié, relèverait dans ce cas d’une contestation
auprès du tribunal administratif de la décision du directeur départemental, ce qui rend toute
contestation de fait impossible auprès des prud’hommes.
– Possibilité de changer des éléments fondamentaux du contrat de travail (salaire,
niveau de qualification, lieu de travail, type d’horaire, etc.)
Article 11 : Encadrer et sécuriser les ruptures de contrat de travail
Le contrat de travail doit déterminer ceux de ses éléments qui ne pourront être modifiés
sans l’accord du salarié. Afin d’atteindre l’objectif de pouvoir déterminer, a priori et de
manière limitative les éléments qui doivent toujours être considérés comme contractuels,
les parties signataires conviennent de l’ouverture d’une réflexion dans les plus brefs
délais. Cette réflexion portera également sur l’application du principe selon lequel la
modification des clauses contractuelles à l’initiative de l’employeur et les modalités de
réponse du salarié sont encadrées dans une procédure, de manière à assurer la sécurité
juridique des parties.
Ce point, peu mis en évidence par la presse, ouvre la voie à des remises en cause
fondamentales, que ce soit par le biais d’accords collectifs au rabais ou par des décisions
portant sur les individus. Paradoxalement, il réaffirme et renforce la dimension
fondamentalement inégalitaire du contrat de travail (on parle de modalité de réponse et non
d’accord !), alors même que la rupture conventionnelle voulait nous faire croire à l’égalité des
parties !
– Possibilité de licencier un salarié malade
Article 13 : Les ruptures pour inaptitude d’origine non professionnelle
En cas de rupture du contrat de travail due à la survenance d’une inaptitude d’origine non
professionnelle et en cas d’impossibilité de reclassement dans l’entreprise, les indemnités
de rupture dues aux salariés peuvent être prises en charge soit par l’entreprise soit par un
fonds de mutualisation à la charge des employeurs.
La signature d’un contrat de travail engage une personne. C’est cette particularité qui est à
l’origine de la création de richesse. Mais la contrepartie en est une absence de garantie, dans
le temps, du maintien de cette force de travail achetée dans le cadre du contrat de travail
initiale.
L’obligation de reclassement était la règle jusqu’à maintenant. L’accord avalise le
licenciement pour inaptitude, ce qui est un comble de la part d’organisations syndicales ! Il
réaffirme certes l’obligation de reclassement, mais pour combien de temps ? et de plus,
l’employeur ne serait plus obligé de payer lui-même les indemnités de licenciement.
Rappelons enfin que le certificat d’aptitude avait été institué sous Pétain, et qu’il est remis en
cause par des médecins du travail [7].
– Reçu pour solde de tout compte
Article 11 :
Le reçu pour solde de tout compte : Le reçu pour solde de tout compte fait l’inventaire des
sommes reçues par le salarié lors de la rupture du contrat de travail. La signature du
salarié atteste du fait que l’employeur a rempli les obligations formalisées dans le reçu
pour solde de tout compte. Cette signature peut être dénoncée par le salarié dans un délai
de 6 mois. Au delà de celui-ci, il est libératoire.
C’est dans les PME que cet article aura le plus d’impact. Il faut d’abord noter que la
conflictualité dans les PME est en augmentation, même si elle ne se concrétise pas par des
grèves, et peut prendre de multiples formes [8]. Les recours devant les prud’hommes contre des
licenciements abusifs sont souvent l’occasion, pour les salariés, de remonter dans le temps et
de demander l’application de tous leurs droits. Il s’agit ici d’une régulation a posteriori des
relations sociales, que la valeur juridique accordé au solde de tout compte vise à limiter.
– Conciliation prud’homale
Article 11
Seule la constatation de l’impossibilité de parvenir à une conciliation par les juges, ouvre
le droit de saisir le bureau de jugement. Ainsi la conciliation partielle ouvre le droit de
saisir le bureau de jugement.
Le bureau de conciliation (composé d’un juge patronal et un juge salarié) pourrait décider de
la validité d’une proposition de conciliation proposée par l’employeur, même si elle est
inférieure aux demandes du salarié, et l’imposer au salarié !
Article 11 : La réparation judiciaire du licenciement
Sans préjudice des dispositions de l’article L. 122-14-5 du code du travail, et en
respectant la distinction opérée par l’article L. 122-14-4 du même code, les parties
signataires conviennent de travailler avec les Pouvoirs Publics à la possibilité de fixer un plafond et un plancher au montant des dommages et intérêts susceptibles d’être alloués en
cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La somme forfaitaire libératoire est une vieille revendication du patronat. Le « plafond »
libératoire dont il est ici question préfigure ce genre de dispositif.
– Organisation de la flexibilité au sein d’un groupe par exemple, création d’un
congé de mobilité :
Article 8 : Afin de sécuriser les mobilités, les entreprises de plus de 300 salariés
examineront les conditions et les modalités dans lesquelles une "période expérimentation
mobilité" pourrait être mise en place. Elle permettrait au salarié de découvrir son nouvel
emploi et prévoirait les conditions dans lesquelles l’intéressé pourrait revenir dans
l’entreprise si le nouvel emploi ne lui convenait pas.
A la contractualisation des évolutions du contrat de travail, déjà notée, entre organisations
syndicales et patronales au niveau national, correspond la valorisation de la dimension
contractuelle du contrat de travail. Mais loin de reconnaître l’inégalité de ce contrat de travail,
l’accord renforce toutes les dimensions unilatérales de ce contrat : séparation conventionnelle,
transformation des éléments du contrat de travail, etc. C’est la construction d’une relation
imaginaire du travail, liant un salarié libre à un employeur libre, négociant tous deux
librement les termes de l’accord salarial.
C’est la dimension contractuelle qui est valorisée ici, avec le renforcement d’une construction
imaginaire d’un contrat réglé de gré à gré, entre parties équivalentes… le contrat
synallagmatique rempli de devoirs réciproques, mais où les devoirs patronaux sont réduits au
minimum. Cette construction imaginaire complète en effet la volonté du MEDEF de se
dégager de ses responsabilités.
2. Une déresponsabilisation qui s’inscrit dans une tendance générale
Ce report du risque salarial sur le salarié rejoint l’offensive du MEDEF pour réduire le contrat
de travail à un simple échange salarial entre une entreprise et un salarié.
– Dépénalisation du droit des affaires
« Le 7 septembre2007, Sarkozy Nicolas devant les tribunaux de commerce : Sarkozy veut
leur éviter d’être « stigmatisés par l’échec ». Il le dit tout net : « La justice commerciale doit
être, selon moi, l’élément moteur de la compétitivité des entreprises. » On avait pourtant
cru comprendre que les tribunaux de commerce sont une juridiction au service des
justiciables - chefs d’entreprises, certes, mais aussi créanciers et salariés. Emporté par son
élan, Sarkozy remet une couche sur la dépénalisation du droit des affaires, une semaine
après son discours au Medef, toujours sur ce faux mode interrogatif : « Qu’est-ce qui
justifie que, lorsqu’il existe des sanctions prononcées par l’administration ou une autorité
de régulation, viennent s’y ajouter des sanctions prononcées par une juridiction pénale ? »
L’idée paraît juste en apparence : mettre fin à la triple peine (administrative, disciplinaire
ou pénale) pour les délits financiers. Chemine pourtant le fond de sa pensée : « Comment
comprendre que, dans les cas qui ne mettent en cause que des intérêts privés et
pécuniaires, il puisse encore être fait recours au droit pénal ? » Laurence Parisot opine
vigoureusement. (Libé 7 sept 07) »
– Dépénalisation du droit du travail, par la suppression, par exemple, lors de la
recodification prévue, de toutes les peines de récidive
– Disparition de la responsabilité individuelle de l’employeur en matière de sécurité du
travail, remplacée par la responsabilité de l’entreprise. La recodification du Code du
Travail met au même niveau les responsabilités de l’employeur et du salarié [9].
– Débat ouvert sur la responsabilité engagée du salarié en matière de sécurité du travail
dès lors qu’il n’a pas suivi les consignes, de plus en plus nombreuses, des employeurs
ou le port de protections individuelles (EPI)
– Montée de la notion d’inaptitude à l’emploi, l’inaptitude devient un motif usuel de
licenciement (au lieu de se demander comment faire évoluer le travail pour un salarié
qui est une personne et qui ne peut donc être apte à tout le temps, on définit le contrat
de travail comme la vente d’une main d’œuvre, un objet, et donc l’inaptitude remet en
cause l’objet du contrat de travail)
– Obligation pour le salarié de maintenir son aptitude à tenir un emploi,
La figure de l’employeur disparaît au profit de celle de l’entreprise, ce qui ne peut que
renforcer la dimension inégalitaire du contrat de travail. Ceci permet aux employeurs de se
masquer derrière un système économique, symbolisé dans l’entreprise, qui contraint d’autant
plus le salarié à la résignation.
Mais toute relation de travail relève à la fois d’une dimension de contrat et d’une dimension
de statut collectif.
II. Contrat de travail fluide / responsabilité de l’employeur
La facilitation des possibilités de rupture ou d’adaptation du contrat de travail répond aux
besoins de l’employeur qui veut pouvoir ajuster l’outil de production, et donc sa part variable
que représentent les salariés, aux sollicitations du marché. Mais ce qui donne sens à l’accord
sur le contrat de travail, réside dans ce qui n’y figure pas et qui, d’après nos informations, n’a
pas fait l’objet de débats dans les négociations : les nouvelles formes de la responsabilité de
l’employeur. Ceci s’appuie sur le cadre collectif du contrat de travail
1. Le cadre collectif du contrat de travail :
Le droit romain a conduit à mettre en avant le contrat. Le travail relève aussi d’une « situation
d’appartenance personnelle à une communauté » [10] (comme le dit A. Supiot à propos de
l’Allemagne, dans une tradition germaniste qui influence les relations de travail dans tous les
pays européens à des degrés diverses), basée sur des droits collectifs et une reconnaissance
collective. C’est notamment le cas quand le droit contractuel collectif, en France, est doublé
d’une procédure d’extension des conventions collectives qui transforment un droit collectif
négocié en statut de salariés d’une branche. Le travailleur devient défini par la profession ou par la couverture sociale (comme salarié), pas seulement par l’activité subordonnée (Supiot p
25). Les conventions collectives, les grilles de classification, le règlement intérieur s’imposent
alors aux salariés sans qu’ils y consentent explicitement. Le contrat de travail intègre ce statut
collectif de travailleur de façon implicite.
Il faut revenir ici sur la contrepartie intégrée dans le nouvel accord sur le contrat de travail,
mise en avant comme des mesures de « sécurisation des parcours professionnels ».
Article 14 : Ouvrir l’accès à la portabilité de certains droits
Pour garantir le maintien de l’accès à certains droits liés au contrat de travail, en cas de
rupture de celui-ci ouvrant droit à prise en charge par le régime d’assurance chômage, un
mécanisme de portabilité est, dès à présent, mis en place (…)
les intéressés garderont le bénéfice des garanties des couvertures complémentaires santé
et prévoyance appliquées dans leur ancienne entreprise pendant leur période de chômage
et pour un durée maximum égale à 1/3 de la durée de leur droit à indemnisation, sans
pouvoir être inférieur à 3 mois.
que, sans préjudice des dispositions de l’accord national interprofessionnel du 5 décembre
2003 relatives à l’accès au DIF en cas de rupture du contrat de travail, ils pourront
mobiliser le solde du nombre d’heures acquises au titre du DIF, multiplié par le montant
forfaitaire horaire prévu à l’article D.981-5 du Code du Travail (soit 9,15 euros). La mise
en œuvre de cette disposition se fait à l’initiative du bénéficiaire : - en priorité pendant
leur prise en charge par le régime d’assurance chômage, en accord avec le référent chargé
de leur accompagnement, au cours de la première moitié de leur période d’indemnisation
du chômage, afin d’abonder le financement d’actions de formation, de bilan de
compétence ou de VAE, ou de mesures d’accompagnement prescrites par ledit référent, - et, en accord avec leur nouvel employeur, pendant les deux années suivant leur
embauche, afin d’abonder le financement d’actions de formation, de bilan de compétence
ou de VAE dans le cadre de la formation continue du salarié.
Ces contreparties ne sont que des droits attachés à la personne. Certes ils représentent une
transgression du contrat de travail passé avec un employeur seul, mais la responsabilité
collective des employeurs n’est pas ici au centre de ce nouveau droit.
2. Le cadre collectif du marché du travail
Les entreprises voient un « mouvement de déconcentration productive et de concentration du
pouvoir de décision » [11] : le nombre de salariés dans des entreprises de 50 à 500 salariés,
appartenant à un grand groupe, est passé de 367 000 à 690 000 entre 1985 et 2000, le nombre
de salariés dans des entreprises de 10 à 49 salariés, appartenant à de grands groupes, est de
92OOO salariés… Les mêmes auteurs de conclure que « la figure de l’employeur apparaît
structurellement fuyante ».
Entre les structures de groupe et les liens de sous-traitance, le mythe d’une entreprise
autonome et libre de ses choix ne tient pas longtemps. C’est justement cette réalité
économique, que le contrat de travail devrait refléter. La responsabilité des décisions
économiques doit trouver un prolongement dans une responsabilité juridique. Les employeurs (ou même l’employeur, le dirigeant du groupe ou de l’entreprise sous-traitante) doit figurer
comme responsable du contrat de travail puisque ses décisions économiques placent en
situation de subordination réelle le salarié, qu’il soit dans une PME ou une filiale éloignée du
centre. L’obligation de reclassement, tout comme l’obligation de fournir du travail, doivent
être formalisées dans ce cadre [12].
Le droit organise « un certain transfert de risques, de la personne du travailleur sur la tête de
l’employeur, et dans certains cas, sous certaines limites, vers la collectivité » [13]. Pour A. Lyon-
Caen, « une redistribution des risques requiert une redistribution des responsabilités », il
suggère une extension des responsabilités des entreprises dans certaines situations de
décentralisations productives, au nom du « principe de justice ». La généralisation de la
notion de « statut », conférant des droits automatiques, collectifs mais aussi des droits aux
individus (comme le statut de la fonction publique), répond çà cette situation de statuts
différents entre salariés coopérant pourtant dans un travail commun [14].
Ces quelques éléments, seulement esquissés, montrent ce qu’une véritable négociation sur le
contrat de travail doit intégrer. Il s’agit de contrer ce sentiment d’insécurité généralisé que
visent à créer les revendications patronales.
Le débat sur cet accord sur le contrat de travail ne peut que rebondir à l’occasion de sa
traduction législative (annoncée pour la fin du premier semestre 2008). Il montre un
déséquilibre entre les cadeaux offerts au patronat et les quelques avancées sur l’utilisation du
droit à la formation chez le nouvel employeur après un licenciement. Mais surtout, il ouvre la
voie à des remises en cause fondamentales dans le contrat de travail au cours des prochaines
négociations. Il annonce enfin, objet de futurs combats, une nouvelle convention UNEDIC
défavorable aux chômeurs pour le deuxième semestre, mais la réduction de la durée
d’indemnisation et l’intégration d’opérateurs privés dans le service public de l’emploi,
annoncés dans l’accord, font déjà craindre le pire.
Ce texte succède à des négociations secrètes. L’ampleur des effets, à long terme, sur le contrat
de travail des millions de salariés du privé (et par effet indirect, sur les salariés de droit privé
employé s par le secteur public) justifie au contraire un débat le plus large. Il n’est que temps
de se mobiliser.