Pouvez-vous présenter rapidement le collectif ?
Leila Dixmier - Il s’appelle Devoirs de Mémoires - au pluriel, j’insiste là-dessus. On existe maintenant depuis février 2005. Ce collectif est tout simplement né d’une discussion entre amis autour de Malcom X, lors d’un dîner. Nous nous sommes rendus compte que nous allions fêter le quarantième anniversaire de son assassinat, et que rien n’était organisé à cette occasion en France. D’ailleurs, peu de chose a été fait, y compris aux États-Unis. Il nous semblait pourtant qu’il s’agissait d’une figure déterminante du xxe siècle, mais dont l’image publique avait néanmoins véhiculé de nombreux stéréotypes. Il nous apparaissait nécessaire de redécouvrir le personnage, en révélant l’ensemble de son cheminement, notamment certains aspects peu connus, comme l’humanisme progressiste qui marqua son action à la fin de sa vie. Nous voulions nous évertuer à comprendre son parcours. C’est de là qu’est parti le concept de Devoirs de Mémoires. Autrement dit, réussir, dans une sorte de parallèle avec la vie de Malcom X, à passer outre nos erreurs, à se relever, et en appréhendant mieux notre histoire, à avancer en accord avec nous-mêmes.
Quelles ont été vos initiatives depuis le lancement de l’association ?
L. Dixmier - Pour l’instant, nous nous manifestons surtout par l’organisation de conférences. Toutefois, ce n’est absolument pas une fin en soi. Plutôt un départ. Au sein du collectif, nous venons d’horizons très divers. Nous n’étions pas forcément très pointus sur ces questions. On apprend au fur et à mesure. Pour revenir aux conférences, leur but était de remettre un coup de projecteur sur des pages oubliées de notre mémoire commune, l’histoire de la République française, certaines pages arrachées, qui sont aujourd’hui essentielles pour interpréter le présent. Ainsi, la première conférence portait sur les massacres de Sétif et Guelma, le 8 mai 1945. D’un côté, le gouvernement français célébrait la victoire des Alliés sur le nazisme et, de l’autre, il réprimait le désir d’indépendance, en faisant plus de 40 000 morts. La seconde conférence portait sur le poids déterminant du colonialisme dans l’imaginaire national. Mais je le rappelle, ce n’est pas notre finalité exclusive. Travailler avec l’Éducation nationale constitue même l’un de nos objectifs principaux. Parce que, selon nous, la connaissance de l’histoire peut représenter une dimension essentielle dans le quotidien des jeunes aujourd’hui. On s’adresse à une population la plus jeune possible, en espérant que cette génération ne reproduira pas les mêmes erreurs que nos parents. Pour moi, taire les discriminations d’hier, c’est susciter les discriminations d’aujourd’hui. Avec le résultat que l’on connaît..
Justement, dans le contexte actuel, avec la crise des banlieues, pensez-vous avoir un rôle à jouer ?
L. Dixmier - Notre conférence du 23 novembre s’intitulait « Les pratiques policières d’hier et d’aujourd’hui ». Pour nous, les violences en banlieue résultent aussi du fait que, pour ces jeunes, la police incarne le principal visage de l’État. Dès lors, le fonctionnement - présent et passé - des forces de l’ordre doit être éclairé et restitué dans son intégralité. Le fossé n’a jamais été aussi grand. Cette initiative s’inscrit désormais entièrement dans l’actualité, alors qu’elle avait été prévue bien avant que cela ne commence à péter. C’est triste, mais on se rend compte que le problème est profond et que les racines du mal sont anciennes. On réalise aussi que ce que nous sommes en train de construire, avec ce collectif, nous aide tous énormément. Cela nous permet de mettre des mots sur les causes des drames actuels. Nous savons également que nous sommes des débutants. On se familiarise doucement avec le militantisme. Peu d’entre nous possèdent une expérience en la matière, sauf évidemment quelques-uns, comme Olivier Besancenot. Le collectif s’est d’abord monté sur des bases amicales. Il se structure petit à petit. Cela dit, je tiens à rappeler que nous y sommes tout d’abord en tant qu’individus.
À titre personnel, qu’est-ce qui vous a motivée à vous engager dans cette démarche ?
L. Dixmier - J’ai rencontré Jean-Claude Tchikaya lors d’une soirée, un des futurs quatre initiateurs à l’origine du collectif (avec Olivier Besancenot et Didier Morville). Nous avons discuté politique. Je lui avais exposé ma profonde défiance et, pour tout dire, mon quasi rejet. Je lui racontais que je n’avais pas ma carte d’électeur, et que je n’en voyais aucun pour racheter l’autre. Maintenant, le collectif me réconcilie avec la politique au sens noble du terme. Avant, je pensais que c’était hors de ma portée. J’ai véritablement le sentiment qu’on s’occupe des affaires de notre vie au quotidien. Signe de cette évolution, nous avons ainsi l’idée de lancer une journée nationale pour inciter les jeunes à venir s’inscrire sur les listes électorales, tous ensemble, le même jour, en nombre, pour démontrer notre force et notre volonté de peser.
Quels sont vos projets à venir ?
L. Dixmier - Dans l’avenir, j’espère que l’on va rester tel qu’on est. On s’exprime librement entre nous et à l’extérieur. On est ouvert. J’espère que nous allons aboutir à une réelle intervention sur le terrain de l’éducation et prolonger davantage dans le champ de la culture. La culture par la mémoire, c’est l’arme que nous avons choisie. Les jeunes des quartiers doivent intégrer les raisons pour lesquelles ils possèdent une légitimité indiscutable d’être ici, que leurs parents possèdent une affiliation, souvent douloureuse, avec l’histoire de France. Et que, pour progresser, il faut redécouvrir ensemble la totalité de notre histoire, sans zones d’ombre ni tabous.
Propos recueillis par King Martov
• Contact : <http://collectifddm.free.fr/> .