Après avoir lu nombre de ses œuvres et partagé son inquiétude sur le devenir de la modernité, j’ai rencontré Jean Chesneaux au Conseil scientifique d’Attac en 2003. C’est aussi au nom d’Attac que je m’exprime ici, pour le remercier de nous avoir fait partager son regard aiguisé et exigeant, puisé dans un long parcours d’intellectuel et de militant.
Il a habité le dernier siècle en historien spécialiste de l’Asie Orientale, en militant communiste devenu un temps maoïste, mais peut-être plus fondamentalement en défenseur depuis longtemps de la cause écologiste. Une cause globale comme il aimait à le dire et sans doute un fil conducteur et la marque d’une part décisive de sa vie et de sa pensée. Cette cause, nous la retrouvons indirectement avec le lecteur des Voyages extraordinaires de Jules Verne, soucieux des dérives possibles du rationalisme et du positivisme. Nous la partageons avec le voyageur à la recherche d’expériences de vie, en complicité profonde avec le nouveau et l’inconnu, au lieu de la consommation frénétique qu’il était toujours prompt à pourfendre. Nous la défendons avec celui qui accompagna les paysans du Larzac défendant leur terre tout comme Jean-Marie Djibaou et les paysans Kanak, avec celui qui dénonça les essais nucléaires de Mururoa et fut un responsable de l’association Greenpeace. Nous la vivons avec un homme exprimant dans ses gestes le sens de la mesure et dans ses mots l’exigence de la phrase juste, de la définition exacte et appropriée au lieu de la profusion langagière « postmoderne » et de l’abâtardissement du langage et de la pensée.
Porté par un long compagnonnage avec Walter Benjamin avec qui il partage la pensée inquiète et attentive du possible effondrement de la modernité, il exprima précocement la conscience que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les sociétés humaines dans leur ensemble sont menacées dans leur existence physique et matérielle du fait de leur « activisme économique et technique ». Sa présence au conseil scientifique d’Attac et sa « sommation » à modifier les catégories de pensée devant la catastrophe environnementale ont contribué à la prise en compte par Attac de la dimension écologique des questions sociales et de la construction d’une nouvelle culture politique. Il co-animait le groupe de travail « Écologie et Société » et il a contribué à la réussite du séminaire organisé par Attac le 24 mars 2007 : « Les mouvements sociaux confrontés à la crise écologique ». Ce fut certainement une de ses dernières interventions publiques. Nous lui témoignons notre reconnaissance en lui laissant aujourd’hui encore le dernier mot :
« Acceptons-nous de prendre la mesure politique de ce moment tout nouveau ? Pour la première fois dans leur histoire multimillénaire, les sociétés humaines sont menacées dans leur existence physique, et cela du fait même de leur activisme économique et technique inconsidéré. L’humanité se révèle capable de détruire la base même de son être historique. On peut déjà anticiper, au moins dans leur ordre de grandeur, les effets funestes de processus comme la hausse du niveau des océans et le réchauffement des moyennes thermiques. Souligner que nous vivons un moment de tous les dangers ce n’est pas céder à la panique. C’est affronter les exigences de ce qu’un intervenant a appelé ce matin la transition écologique. C’est-à-dire l’entrée dans une ère historique où le destin même de l’humanité dépend de son aptitude à préserver les conditions écologiques de son existence.
C’est pour affronter ce moment singulier qu’il nous faut élargir notre culture politique à de nouveaux outils conceptuels et de nouveaux indicateurs, devenir familiers avec de nouveaux types de dossiers et encore élaborer un nouvel imaginaire ».