• Vous avez arrêté le travail pendant 46 jours. Pourquoi cette grève fut-elle si longue ?
Krzysztof Labadz – Les mineurs et le comité de grève souhaitaient parvenir à un accord, mais le précédent directeur de Budryk, Piotr Bojarski, n’en voulait pas, ni le vice-Premier ministre, Waldemar Pawlak, qui était seulement capable de nous insulter. Et le PDG de la Société minière de Jastrzebie (JSW), qui possède Budryk, Jaroslaw Zagorowski, ne voulait pas plus aboutir. Nous avons montré que nous voulions terminer cette grève, à condition que nos revendications soient satisfaites. Nous n’avons pas donné dans la « surenchère », contrairement à ce qui fut dit dans les médias, et nous avons réduit nos demandes autant que possible. Nous avons commencé notre lutte en exigeant l’alignement des salaires de Budryk sur ceux de la JSW, soit une augmentation de 193 euros. Plus tard, nous avons dit que nous étions prêts à reprendre le travail avec seulement 166 euros. Cela n’a pas eu lieu, car l’employeur ne voulait pas d’accord. Mais nous leur avons tendu la main. Nous voulions gagner comme les autres de la JSW, car c’est notre droit. La loi interdit la discrimination salariale au sein d’une même entreprise.
• Quelle était l’atmosphère parmi les grévistes ?
K. Labadz – Très bonne ! On s’entraidait. Des liens très forts d’amitié et de camaraderie se sont tissés. Cette unité, c’est bien la seule chose que nous devons au PDG Zagorowski ! Les gens ont été scandalisés par les mensonges des médias, et par les propos de Zagorowski, du Premier ministre, Pawlak, et des prétendus syndicalistes.
• Solidarnosc et le Syndicat des mineurs (ZZG), qui collabore par ailleurs avec le Parti de la gauche européenne, ont été très agressifs contre vous…
K. Labadz – Les syndicats qui ne soutenaient pas la grève, ZZG et Solidarnosc, me rappellent ceux qui brisaient les grèves dans les années 1980. Ils ne sont pas avec les salariés, ils sont avec ces messieurs les PDG. Ils trempent dans diverses entreprises et sociétés liées aux directions des mines. Il s’agit plus d’entrepreneurs que de syndicalistes. À la JSW, les chefs de Solidarnosc sont directeurs de clubs sportifs financés par cette entreprise : comment pourraient-ils s’opposer à la direction ? On ne mord pas la main qui vous nourrit.
• Solidarnosc a même organisé des briseurs de grève contre vous…
K. Labadz – Ces briseurs de grève furent une poignée, comme on l’a vu lors du face-à-face à l’entrée de la mine. La majorité de ceux qui étaient de l’autre côté était des salariés de sous-traitants, à qui on avait dit qu’ils pouvaient reprendre le travail et que la grève était finie. C’était simplement une provocation ! Une curiosité : le porte-parole d’Attac-Pologne, membre de Solidarnosc, figurait parmi les briseurs de grève. Une sorte d’altermondialiste antisalariés…
• Comment se déroulait la grève ? Comment informiez-vous les grévistes sur le déroulement des négociations ?
K. Labadz – D’abord, lors d’une assemblée générale en surface, nous racontions brièvement le déroulement des négociations. Puis, nous descendions au niveau –1 000, où nous les présentions à ceux qui menaient la grève de la faim. Une fois leurs avis pris, nous faisions de même au niveau –700, où se trouvaient les autres grévistes. Finalement, en surface, nous présentions les opinions de ceux d’en bas et, par téléphone et haut-parleurs, tous les mineurs, en assemblée générale, pouvaient suivre directement la discussion. Car ce ne sont pas les leaders qui décident de l’éventualité de la fin de la grève : ce doit être une décision de tous les grévistes.
• Qu’est-ce qui maintenait votre moral ?
K. Labadz – Nous étions certains de gagner ! Nous avons fait la grève pendant les fêtes de fin d’année, 31 décembre compris, et nous avons décidé de continuer tant qu’un accord salarial ne serait pas signé. Malgré de multiples tentatives, ils n’ont pas réussi à nous briser. Nous restions unis. Les nombreux soutiens, non seulement de Pologne mais de tous les pays, nous ont énormément aidés. C’est édifiant, cela montre qu’il n’y a pas une indifférence généralisée. Pour moi, c’est très important qu’un cinéaste, estimé dans le monde entier comme Ken Loach, nous ait soutenus, alors que nos élites intellectuelles se taisaient. Dans les années 1980, les intellectuels soutenaient les luttes ouvrières. Le fait qu’aujourd’hui ils soient de l’autre côté de la barricade témoigne de leur dégénérescence. Ils sont tombés bien bas. Le soutien de nos femmes, de nos mères et de nos filles fut aussi essentiel. Elles sont allées spécialement à Varsovie défendre notre cause auprès du vice-Premier ministre, Pawlak. Mais celui-ci a eu peur d’elles, et il a quitté la capitale pour ne pas les rencontrer.
• Qu’avez-vous obtenu ?
K. Labadz – Dans des conditions difficiles, nous avons remporté un grand succès. Les mineurs de Budryk ont obtenu l’augmentation de leurs taux horaire de 1,38 euro à partir d’octobre 2007, et une augmentation de 10 % à partir de février 2008. De plus, ils recevront 608,50 euros de compensation pour l’année passée. L’un des principaux points de l’accord stipule la création d’un groupe de travail chargé de préparer l’unification des salaires dans toutes les mines de JSW. Deux nouvelles primes ont aussi été créées, au mérite et en fonction de la production réalisée. Le mode de calcul du temps de travail horaire sera rétabli selon les mêmes principes que dans les autres mines de la société. Les salariés qui ont aujourd’hui des contrats à durée déterminée se verront offrir des CDI, après six mois de travail. Enfin, jusqu’à la décision du tribunal, les organisateurs de la grève ne seront pas considérés comme pénalement responsables.
• Justement, n’avez-vous pas peur de cette responsabilité pénale, dont la direction vous menace ?
K. Labadz – Nous avons l’espoir que la vérité triomphera.