Le premier enjeu réside dans le décalage entre le terrain et la liste des syndicats dits représentatifs nationalement. Ces cinq syndicats (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC) participent aux négociations nationales, tout comme à la gestion (juteuse) de la Sécurité sociale et autres organismes paraétatiques. De plus, ils n’ont pas à prouver qu’ils sont représentatifs pour être présents dans une entreprise. Ils peuvent présenter des listes au premier tour des élections de délégués du personnel ou de comité d’entreprise. L’enjeu est donc d’importance. Mais cette liste, établie par décret en 1966, ne correspond plus à la réalité. C’est ainsi que Solidaires n’a pas été invité à participer à la négociation sur le contrat de travail, contrairement à la CFTC que l’on cherche pourtant vainement sur le terrain.
Le second enjeu, pour la droite, est de redonner un sens à la négociation collective. La forme autoritaire de « l’État sarkozyen » fait oublier le désir libéral de se dégager de l’État. CFDT et Medef sont attachés à recréer un espace social où dominent les compromis, quitte à laisser l’État valider et imposer à tous le résultat de la négociation (loi ou procédure d’extension). Pour ça, il faut donc des syndicats légitimes.
Dans la négociation qui s’ouvre, l’axe CGT-CFDT (déclaration commune de décembre 2006) défend que la représentativité, à tous les niveaux, doit être basée sur l’audience syndicale. C’est effectivement un gage de contrôle par les salariés qui peuvent sanctionner (électoralement) un écart de conduite syndical. Dans ce scénario, la présentation libre au premier tour des élections professionnelles garantit le droit d’expression. Le financement (de l’État ou de l’entreprise) pourrait être proportionnel aux suffrages recueillis. La perte de la présomption irréfragable (la garantie automatique de la reconnaissance de représentativité) serait ainsi compensée. Mais cette approche est critiquée par SUD ou l’Unsa, pour qui le droit au pluralisme implique, dès lors qu’un certain seuil est franchi, que tout syndicat dit alors représentatif ait les mêmes droits et les mêmes moyens. Droit au pluralisme ou respect du vote des salariés, deux logiques s’affrontent donc dans le champ syndical.
La partie patronale, quant à elle, hésite aussi entre deux positions. Le renforcement de l’interlocuteur syndical, rendu plus légitime, permettrait d’aller plus loin dans les remises en cause des acquis des salariés, d’autant que le mouvement syndical majoritaire paraît bien complaisant en ce moment. Les syndicats deviendraient de véritables « partenaires sociaux ». Mais ceci reviendrait à sacrifier les interlocuteurs traditionnels, notamment FO ou la CGC.
La dispersion syndicale s’appuie aujourd’hui sur le fonctionnement d’un système qui reconnaît au salarié le droit constitutionnel de choisir son syndicat. Mais l’institution de seuils (on parle de 10 %…) sonnerait le glas d’un syndicalisme radical tel que Solidaires. Pour le plus grand plaisir du patronat. Cette contradiction entre droit de représentation et émiettement syndical ne peut être résolue que par un engagement conscient, politique, pour l’unité syndicale. Pourquoi pas une réunification ?
Louis-Marie Barnier
* Paru dans Rouge n° 2237, 31/01/2008.
Courrier des lecteurs
Représentativité syndicale. Je voulais, en tant que responsable juridique de l’Union syndicale Solidaires, réagir à un papier de Louis-Marie Barnier. Dans la livraison de Rouge datée du 31 janvier 2008, Louis-Marie Barnier présente les enjeux du débat sur la représentativité syndicale. Il signale, à juste titre, la volonté du patronat d’empêcher le développement de Solidaires et de ses syndicats. Il conclut cependant son propos en faisant état « d’une contradiction entre droit de représentation et émiettement syndical » qui ne pourrait « être résolue que par un engagement conscient, politique, pour l’unité syndicale. Pourquoi pas une réunification ? »
L’Union syndicale Solidaires ne prend pas les manœuvres du patronat comme étant une aubaine pour l’unité syndicale, mais comme la poursuite d’un combat contre le syndicalisme de lutte et de transformation sociale. La centrale unique, comme réponse aux attaques du patronat sur la liberté de choix des travailleurs, ne nous paraît pas être la bonne. La défense du pluralisme syndical et de la liberté fondamentale des salariés de choisir leur organisation syndicale nécessite l’unité et la mobilisation de tous les anticapitalistes. Car, si le patronat arrivait à ses fins, ce serait la capacité de lutte des travailleurs qui s’en trouverait affaiblie. Une attaque contre une liberté n’est jamais une bonne nouvelle pour les anticapitalistes
Thierry Renard
* Courrier paru dans Rouge n° 2240, 21/02/2008.